Giulia Enders, Le charme discret de l’intestin, Actes Sud, 2015. Illustrations par Jill Enders.
Catherine Chahnazarian.
Ce livre peut faire du bien à ceux qui sont souvent constipés ou le contraire ; ceux qui font trop de prouts ; ceux qui sont toujours malades pendant les vacances ; ceux qui se demandent pourquoi ils ont chaque fois envie d’un dessert après avoir mangé des beignets alors que c’est déjà si gras (page 114) ; ceux à qui on a toujours dit que leurs maux de ventre leur venait de la tête – alors qu’on sait maintenant que ça marche aussi dans l’autre sens et que les psychothérapies ne peuvent pas grand-chose contre un déséquilibre bactérien –; ceux qui sont allergiques à plein de choses ou qui ont une peau atopique ; et ceux qui veulent savoir si les hommes préhistoriques mangeaient du tigre ou si c’était l’inverse (p. 262).
Ce livre, au contraire de ce qu’on pourrait croire quand on est mal renseigné – et si l’on n’a pas lu la table des matières – ne se contente vraiment pas de nous dire quelle position adopter pour bien déféquer ou à quoi doivent ressembler nos excréments (mais il le fait et il a raison car notre éducation sanitaire est souvent moins complète qu’il le faudrait – tabous obligent). Giulia Enders décrit le système digestif, de la bouche à l’anus ; elle nous raconte notre système immunitaire ; elle aborde, de manière simple, tout à fait pédagogique et tout à fait convaincante, la question du deuxième cerveau, et nous parle avec amour du peuple bactérien qui nous habite et qui fait que nous sommes des univers à nous tout seuls ! « Notre microbiote intestinal peut peser jusqu’à deux kilos et héberge environ 100 billions de bactéries », soit 100 millions de millions (p. 190) (1). Il faut bien sûr nous méfier des « mauvaises » bactéries, mais il faut aussi nourrir les bonnes sinon nous tombons malades !
Certaines choses ne sont pas nouvelles (mon père et mon grand-père les savaient déjà), mais d’autres le sont et exigent que nous modifiions – parfois radicalement – nos représentations. Giulia Enders nous apprend par exemple que sans nos bactéries nous ne serions rien, notamment parce que nous bénéficions du patrimoine génétique de nos microscopiques habitants et qu’ils nous nourrissent en se nourrissant, fabriquent des graisses, des protéines, des vitamines… « L’alimentation occidentale se compose à 90 % de ce que nous mangeons et, pour les 10 % restants, de ce que nos bactéries nous donnent chaque jour à manger. » (p. 239) « Si vous avez les nerfs solides, c’est peut-être parce que vous disposez d’un gros stock de bactéries productrices de vitamine B. » (p. 191)
Ce livre nous explique aussi comment fonctionnent des médicaments dont nous avons parfois besoin, comme les différentes variétés de laxatifs — qui n’agissent pas du tout de la même façon et s’appliquent donc à différents cas ; il nous dit même comment laver nos maisons !
Sans se passer des termes médicaux, Giulia Enders développe ses explications sur un mode léger, en personnifiant nos bactéries et nos organes et en utilisant nombre de comparaisons et d’expressions courantes qui rendent sympathiques des informations qu’on pourrait trouver beurk. Ainsi de cette histoire de gâteau que l’on avale, qui a déjà excité notre nez et nos papilles gustatives : il poursuit sa course vers l’estomac et… « Une fois le gâteau arrivé (…), les parois de l’estomac accélèrent leurs mouvements comme les jambes sur une piste d’élan, et – paf ! – allongent une bonne bourrade au bol alimentaire. Le gâteau fait un vol plané, rebondit sur la paroi stomacale et repart dans l’autre sens. (…) Travaillant ainsi de concert, le pas de course et la bourrade produisent ensemble ces gargouillis typiques… » (p. 113).
Je m’interdis, pour faire court, de relater ici des expériences scientifiques que nous raconte Giulia Enders et qui m’ont amusée, éblouie ou laissée comme deux ronds de flanc. Je ne vous fais évidemment pas la liste des 130 ouvrages répertoriés dans la bibliographie – que l’auteure intitule « Sources principales ». Mais je tiens à tirer un coup de chapeau à la traductrice, Isabelle Liber, qui a dû bien s’amuser mais aussi travailler énormément.
Enfin, le texte est assorti de dessins réalisés par la sœur de Giulia Enders, Jill Enders, et qui participent au plaisir de lire ce best-seller.
Giulia Enders est née en 1990 à Mannheim (Allemagne). C’est à Francfort qu’elle a fait son PhD en gastroentérologie, domaine pour lequel elle s’est passionnée après la guérison de sa (spectaculaire) maladie de peau par un changement radical de son alimentation.
Catégorie : Essais, Histoire (Allemagne). Traduction : Isabelle Liber.
Liens : chez l’éditeur ; courte interview de l’auteure (anglais, sous-titres français) ; interview Slate (présentation de son travail – anglais, sous-titres français) ; sa communication à Science Slam Berlin en 2012 (allemand, sous-titres français). Les Science Slams sont des podiums auxquels assiste un public de non-spécialistes et où de jeunes étudiants viennent présenter leur sujet de thèse. Le meilleur (élu par le public) remporte un prix. En 2012, Giulia Enders a remporté les Science Slams de Freiburg, Berlin et Karlsruhe.
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(1) Quelques autres chiffres : de toutes les bactéries que nous transportons sur nous ou en nous, 99 % se trouvent dans notre intestin (p. 188) ; « plus de la moitié des bactéries de notre tube digestif sont tellement habituées à nous qu’elles ne peuvent pas survivre ailleurs » (en les sauvegardant, vous participez donc à la biodiversité en même temps qu’à votre bien-être) (p. 192) ; 95 % des bactéries qui existent sur Terre ne nous sont pas du tout nuisibles (p. 291).
N.B. : Les références de page sont celles de la 1ère édition. Il y en a eu d’autres depuis, révisées et augmentées.