. Tendresse des loups

René Frégni, Tendresse des loups, Gallimard, 1990 (disponible en Folio)

Par Brigitte Niquet

Il est impossible de lire ce livre sans penser, presque à  chaque page, à Belle du Seigneur.  C’est le même hymne à la terrible beauté des femmes et au piège qu’elle représente pour les hommes et pour elles-mêmes, c’est le même lyrisme pour les décrire :

« Victorieuse en sa robe voilière, elle allait dans la rue, blanche nef de jeunesse, allait à larges foulées et souriait, consciente de sa nudité sous la toile fine. Je suis belle, sachez-le, vous tous que je ne regarde pas et regardez une femme heureuse. Ô merveille d’aimer, ô intérêt de vivre. » (Albert Cohen)

« Elle était dans ce clair-obscur entièrement nue, la flaque sombre de ses vêtements autour des chevilles. Ses cheveux liés sur la tête libéraient si haut la nuque que son corps me parut plus flexible et plus long. Debout entre la fenêtre et moi, un fil d’or silhouettait sa pureté. La beauté du crime ! » (René Frégni)

C’est aussi le même amour fou, total, irrémédiable qui va lier Ariane et Solal, Mina et Léo, et les amener à rêver d’absolu et à imaginer qu’ils pourront se suffire à jamais l’un à l’autre.  Mais comme le dit la chanson, les histoires d’amour finissent mal en général, surtout quand les deux partenaires osent faire fi de la condition humaine et de ses limites. Après l’overdose de passion, le désamour et l’ennui  guettent  les tourtereaux. C’est l’homme qui se lasse le premier chez Cohen :

« Pardon chérie je t’aime je te le dis tout seul dans ma chambre je t’aime mais je m’ennuie avec toi je ne te désire tellement pas. »

Et la femme chez Frégni :

« Je t’ai aimé à la folie, je t’aime encore mais les choses changent, on évolue. Il arrivera bien un jour où nous ne nous verrons plus à force de nous voir… »

Mais c’est le même désenchantement et la même issue fatale que chacun va choisir de donner à son rêve avorté.

On aurait tellement voulu qu’ils réussissent (si grande est l’empathie qu’ils dégagent, surtout chez Frégni) mais on savait dès le début que l’échec était inscrit dans le projet lui-même, et on n’en admire que davantage l’auteur de nous avoir tenus en haleine pendant tant de pages, ce à quoi contribue largement dans les deux cas la magnificence du style. Lisez Tendresse des loups (270 pages) et peut-être dans la foulée vous viendra-t-il l’envie de relire ou de lire Belle du Seigneur (1110 pages) : quel que soit le gabarit, c’est du grand art. Nul ne l’ignore depuis Musset : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux ».

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur.

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