Crépuscule

Philippe Claudel, Crépuscule, Stock, 2023

— Par Anne-Marie Debarbieux

L’assassinat sauvage et inexplicable du curé, fût-il peu charismatique, émeut la communauté d’une petite ville tranquille, dans un pays jamais nommé, à une époque elle aussi indéterminée. L’enquête, amorcée par Nourio, le policier, peu habitué à une tâche d’une telle ampleur, n’avance pas. Afin de ne pas semer la suspicion généralisée, la peur, en un mot le désordre, il est urgent de trouver une réponse, c’est-à-dire un coupable. Que le crime soit un acte crapuleux isolé ou un assassinat prémédité dans une intention politique précise, peu importe finalement, seule compte la désignation d’un bouc-émissaire pour endosser l’acte barbare. Claudel n’a rien inventé. Nous ne sommes pas ici très loin de la fable de La Fontaine dans laquelle l’âne innocent est désigné coupable d’avoir provoqué la peste. La recette est simple : désigner un coupable qui va attiser la haine et provoquer le soulagement. Or, le coupable, c’est toujours l’autre, celui qui est différent. Peu importe que nous ayons vécu jusqu’ici en parfaite harmonie avec lui. Les foules sont versatiles. Quant à Nourio, l’enquêteur officiel, il suffit de le flatter pour le neutraliser. Et tant pis pour lui s’il se montre trop scrupuleux. La petite ville devient le théâtre de crimes, expéditions punitives et autres exactions. Nourio, qui voyait dans cette enquête une voie de reconnaissance, est manipulé et tout se joue sans lui.

Ainsi falsifie-t-on l’Histoire en inventant des coupables et en détournant sans scrupule la vérité. La violence nourrit la peur qui, associée à l’humiliation, fait taire en l’homme ce qu’il a de meilleur.

La démonstration de Philippe Claudel est implacable, le regard sur l’humanité est noir ! Les animaux semblent parfois plus humains que les hommes. Seuls quelques personnages échappent à la bassesse générale, mais ils sont si fragiles… Roman actuel (ou fable universelle sur la loi du plus fort), Crépuscule est en tout cas un constat accablant sur l’humanité.

Le regard de Claudel est plus sombre que jamais mais l’écriture reste si belle ! Si noires que soient certaines descriptions, elle reste élégante, crue parfois, mais jamais relâchée, même pour évoquer ce qui est sordide. À d’autres moments elle devient ironique. À de très rares moments, elle est même presque douce.

Catégorie : Littérature française.

Lien : chez l’éditeur.

Le Silence et la Colère

Pierre Lemaitre, Le Silence et la Colère, Calmann-Levy, 2023

— Par Anne-Marie Debarbieux

Le dernier roman de Pierre Lemaitre répond aux attentes de ses lecteurs qui attendaient avec impatience le nouveau livre où ils seraient plongés pendant près de 600 pages sans que l’intérêt ne faiblisse, au point de l’achever en pensant : « déjà ! ».

Second tome de la série commencée avec Le Grand Monde, ce récit met en scène des personnalités attachantes, ou à tout le moins intéressantes, avec leurs conflits ou affinités d’intérêt et de tempérament, sur fond d’une image de la France durant les 30 Glorieuses. Entreprise familiale avec son patriarche, milieu de la presse qui s’active sur tous les fronts, développement du grand magasin qui vend à prix cassés sans état d’âme pour les salariés sacrifiés à la loi du profit, village voué à la disparition pour que l’on construise un barrage, répression de l’avortement, Pierre Lemaitre nous dresse un tableau de quelques aspects de cette France qui revit. Et bien sûr des histoires d’amour ou de désamour qui jalonnent une histoire familiale évidemment complexe.

Ça fonctionne très bien parce que Pierre Lemaitre est à la fois très documenté – et son livre est à certains égards un véritable tableau de la France, celle des petites gens comme des décideurs –, et parce qu’il nous attache très vite à des personnages très humains. L’écriture est fluide, la narration bien rythmée, les personnages ont de l’épaisseur et les relations humaines et les histoires d’amour jalonnent tous les moments du récit.

Bref on attend impatiemment la suite !

Catégorie : Littérature française.

Lien : chez l’éditeur.

Une poignée de vies

Marlen Haushofer, Une poignée de vies, Actes Sud, 2020
(Ed° Paul Zsolnay Verlag, Vienne, 1955)

— Par Anne-Marie Debarbieux

Betty, que l’on croyait morte, réapparaît une vingtaine d’années après sa disparition, potentielle acquéreuse de la maison qu’elle habitait jadis et où vivent encore ses proches. Curieusement, ils ne la reconnaissent pas et elle ne révèle pas son identité. Hébergée pour quelques jours, elle trouve dans la chambre d’amis des photos anciennes et autres souvenirs qui ravivent des périodes révolues (cela commence en 1912). Ce préambule étant posé, le roman commence véritablement sur l’évocation que Betty fait du passé, depuis son enfance jusqu’à sa fuite.

Après avoir connu les années de pensionnat dans une institution catholique aux principes rigides destinés à former et éduquer de futures et respectables mères et épouses, après avoir traversé les doutes et les ambiguïtés de l’enfance et l’adolescence entre deux amies très chères, Betty aborde enfin ce qu’elle croyait être la vraie vie.

Éprise de liberté, elle ne sait pas exactement ce qu’elle cherche et tente de s’adapter à la vie de bonne mère et bonne épouse à laquelle on l’a préparée et qu’elle rêvait sans doute tout autre. À quoi aspire -t-elle ? Elle semble inadaptée à la vie qu’elle mène mais en même temps, elle semble lisse, sans passion, sans révolte… Résignée ? Difficile à dire. Quel est le poids du carcan social et celui d’une personnalité très complexe ?

De ce fait elle échappe un peu au lecteur qui a du mal à la cerner, et partant, à ressentir une véritable empathie pour elle. Elle intrigue plus qu’elle ne séduit.

Comme Emma Bovary à laquelle elle fait penser à plusieurs reprises, Betty est victime d’une époque, d’une éducation, d’une certaine idée de la condition féminine, mais ces pistes semblent insuffisantes pour cerner son mal de vivre. Betty garde ses mystères, les critères sociologiques ne suffisent pas à la cerner et c’est peut-être là la réussite de l’auteure que de laisser à son héroïne une étrangeté qui éveille l’intérêt du lecteur tout en prenant le risque de susciter en lui un léger sentiment d’ennui.

Catégories : Redécouvertes, Littérature étrangère (Autriche). Traduction : Jacqueline Chambon.

Liens : chez Actes Sud.


Échange sur Une poignée de vies

— Anne-Marie Debarbieux et Catherine Chahnazarian

Catherine

J’ai trouvé le début inutilement forcé. Mais, plus j’ai avancé dans ce roman, plus j’ai aimé ce dont il voulait témoigner : d’une personnalité inhabituelle et sans doute pathologique qui se remémore sa jeunesse au cours d’une nuit d’insomnie, ses mal-être et ses apaisements, ses révoltes et ses fausses résignations. Enfant, déjà, peut-être traumatisée par la guerre (la Première) et par un incident dans une étable, elle est borderline, a des visions, ne maîtrise pas toujours ses pulsions. La manière dont elle gère ses amitiés, les inimitiés aussi, les bonnes sœurs et les règles qu’elles imposent avec bienveillance, tout est un peu étrange dans le rapport à l’amitié, l’amour et la souffrance.

Un petit suspense parcourt ce récit psychologique. On peut en effet imaginer des scénarios ayant mené Betty à la situation exposée au début et s’interroger sur la manière dont elle s’y est prise pour fuir ou les raisons qu’elle s’est données… Mais ce qui compte, c’est ce regard porté sur les différentes phases de sa vie, une « poignée de vies ».

(Bravo à Billy and Hells pour la couverture !)

Anne-Marie

Dire que je n’ai pas trop aimé ce livre est excessif. J’ai bien aimé l’écriture, et même l’intrigue qui, même si elle est parfois à la limite du vraisemblable, est intéressante ; mais le personnage principal ne m’a pas beaucoup touchée. Cette femme me reste extérieure, je ne m’attache pas à elle. Elle ne m’inspire ni sympathie ni antipathie. Elle m’échappe. Une personnalité perturbée, oui, pathologique, je ne suis pas allée jusque-là, peut- être parce que son entourage ne semble pas la trouver étrange, et j’ai un peu de mal à imaginer qu’une personnalité aussi perturbée ne suscite pas de questionnement.

Catherine

Peut-être est-ce une question d’époque. Au sortir de la Première Guerre mondiale, tant de gens étaient « perturbés » !

Je crois que son entourage de jeunesse (sœurs au couvent, amies), parce qu’il la trouvait étrange, lui a appris à faire semblant de l’être moins (ce qu’elle appelle « mentir »), et que c’est cette solution qui lui permet, une fois adulte, d’avoir un semblant de vie normale, bien qu’elle recherche la brutalité avec son amant et que l’ennui lui apparaît avec une force telle qu’elle doit partir, quitter sa famille.

Le retour après une longue absence, je l’ai ressenti comme un moment de nostalgie, un de ces moments où elle est capable de ressentir quelque chose (la tristesse que son ex-mari soit mort et que son fils soit orphelin), mais vu sa personnalité, cela ne dure pas et il faut qu’elle s’en aille de nouveau car elle est incapable de vivre normalement. J’ai aussi compris qu’elle était malade, mais je n’en suis pas sûre. Condamnée peut-être ? C’est au lecteur de choisir… Moi j’aime bien ça.

Anne-Marie

Je me suis demandé aussi si le rapprochement avec Bovary était volontaire ou non. Emma Bovary est une victime, mais elle est aussi « pas très futée » et son manque d’envergure a quelque chose de touchant. Dans le roman de M. Haushofer je me sens comme désemparée (je ne sais pas si c’est le bon terme mais c’est celui qui me vient).

Catherine

Je crois que les allusions sont volontaires. A un moment ou l’autre, je me suis dit que c’était presque explicite. J’aurais dû noter les passages. Je crains toujours de surinterpréter mais je pense que M. Haushofer s’inspire du personnage d’Emma pour le revisiter, raconter la jeunesse que Flaubert ne raconte pas, en la plaçant dans un après-guerre que l’autrice comprend bien puisqu’elle écrit au début des années 1950, ce qui laisse planer le doute sur les causes des comportements étranges.

Anne-Marie

Finalement cette héroïne nous échappe, on ne peut que s’en tenir à des hypothèses en interprétant les petits indices que le texte distille çà et là. On ne peut pas s’approprier la complexité du personnage.

C’est quand même là la preuve du grand talent de l’autrice !

Le dernier gardien d’Ellis Island

Gaëlle Josse, Le dernier gardien d’Ellis Island, Noir sur Blanc, 2014

— Par Anne-Marie Debarbieux

Lors d’un voyage à New York, l’autrice a visité Ellis Island, passage obligé jusqu’en 1954 de tous les candidats à l’immigration venus d’Europe, et aujourd’hui transformé en musée. Elle a été saisie par toutes les traces de vie, de destins qui se sont joués en ces lieux austères où se décidait en quelques jours le sort des arrivants. S’inspirant très librement du journal de bord du directeur du centre, elle a fait de ses notes un roman pétri d’humanité : cet homme, viscéralement attaché à ces lieux, qui n’a jamais voulu changer de poste et évoluer vers une carrière moins dure et plus gratifiante, en est le personnage principal.

Le roman est donc constitué de tranches de vie, de destins qui se croisent et se jouent en quelques jours à Ellis Island. Car les raisons de demander asile sont multiples et souvent tragiques : après des parcours souvent difficiles et chaotiques, l’Amérique représente l’espoir de changer de vie et d’échapper parfois à la mort. Ellis Island est promesse de paradis après l’enfer mais tout le monde n’ira pas au paradis. Certains cas nécessitent une enquête qui parfois demande du temps. D’un côté donc, des aspirants à l’Amérique comme à une terre promise, comme ce couple traqué pour des raisons politiques, comme cette jeune fille avec son frère lourdement handicapé, comme cet interprète italien au passé trouble ; de l’autre, un directeur qui représente la loi mais qui peut parfois l’interpréter au gré d’une intuition ou d’un élan du cœur. C’est un fonctionnaire scrupuleux, efficace, pas méchant homme, assisté pendant un temps par son épouse, qui accepte le rôle ingrat d’infirmière des corps et des âmes dans ce lieu de transit où se propagent toutes sortes de maux. Mais un directeur ne peut l’impossible, il reste lui-même soumis à des règlements, à une hiérarchie, et aussi à ses propres émotions, un directeur a ses failles et peut se montrer compréhensif comme impitoyable. Tout sonne juste dans ce petit livre qui est à la fois historique et très humain.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur.

L’intrusion

Quentin Lafay, L’intrusion, Gallimard, 2020

— Par Anne-Marie Debarbieux

Le terme « roman » n’est peut-être pas vraiment adéquat pour qualifier ce petit ouvrage qui est plutôt un témoignage personnel dont l’auteur a modifié les circonstances réelles. Il a en effet été victime, alors qu’il était conseiller d’Emmanuel Macron, d’un piratage informatique qui a touché les sphères politiques mais aussi sa vie personnelle.

L’auteur, qui s’exprime à la première personne, montre bien à quel point tout ce que nous entrons dans nos conversations sur Internet est indélébile et que toute personne malveillante et compétente peut faire intrusion dans notre vie la plus intime et nous détruire en entraînant avec nous tous ceux qui apparaissent dans nos messages professionnels ou privés.

On ne trouvera pas dans ce court ouvrage de personnage qui ait vraiment de l’épaisseur. L’auteur n’a pas cherché à approfondir les rapports humains, il les effleure, et c’est dommage car il aurait pu donner beaucoup plus de densité à son récit. Cependant son texte, alerte, bien écrit, est très prenant car il montre clairement que personne (même un jeune homme hautement compétent et avisé) n’est à l’abri de la seconde d’inattention qui laisse ouvrir sur Internet un message dévastateur. Le verdict est sans appel : il n’y a plus rien à faire ! On ne peut endiguer le raz de marée.

Si l’auteur évoque le chaos que devient sa vie, le récit ne s’achève pas vraiment. Il se clôt sur une mise en garde. Car le but de l’auteur est bien là : faire oeuvre de prévention à l’égard de tous ceux qui ne mesurent pas la portée parfois très dangereuse de ce qu’ils écrivent. Car tous les messages ne sont pas réfléchis. Ils n’expriment souvent que la vérité d’un moment. Et surtout il ne faut pas avoir la naïveté de croire que même sécurisés ils sont totalement confidentiels. Ils sont indélébiles et leur divulgation peut être destructrice même à long terme. La toile est une araignée !

Catégorie : Littérature française.

Lien : chez l’éditeur.

Petite philosophie de la Mer

Laurence Devillairs, Petite philosophie de la Mer, La Martinière, 2022

— Par Anne-Marie Debarbieux

Autrice de divers ouvrages philosophiques, Laurence Devillairs est aussi une passionnée et grande connaisseuse de la mer. Dans ce petit ouvrage original, composé de textes courts, elle évoque la mer, nous en dit les odeurs, les mouvements, les couleurs, en d’autres termes elle nous transporte très agréablement. Mais elle nous fait réfléchir aussi en établissant des liens entre la mer et l’homme pour exprimer ce que la mer nous apprend de nous-mêmes, et les leçons de vie qu’elle nous donne.

Ainsi reviennent comme des leitmotivs ses incitations à sortir de nous-mêmes, à savoir prendre des risques, oser l’imprévu, s’affranchir du quotidien et ne pas nous cantonner au rassurant, au déjà vu, au déjà appris. A l’exemple des requins qui ne survivent qu’en bougeant continuellement, la mer nous incite à ne pas tomber dans l’inertie. Pour autant elle ne nous invite pas non plus à une vaine agitation et encore moins aux comportements qui contribuent à la défigurer. Curiosité, indépendance, découverte, la mer nous invite à une sorte d’oisiveté active, à une contemplation qui est aussi ressourcement. La mer nous invite à ce que les anciens appelaient « l’otium ».

Savoir prendre le large, ne pas se couler dans le conformisme, mais savoir se ménager des escales, vivre sur une île, admirer le phare qui veille et rassure, se ménager des digues pour se protéger quand c’est nécessaire, toutes les leçons de vie sont dans la mer pour peu que l’on ne la réduise pas au lieu d’un consumérisme débridé et souvent destructeur.

Ces analyses à la fois simples, vivantes et pertinentes, ne peuvent que séduire tous ceux qui aiment la mer.

Catégorie : Essais, Histoire.

Lien : chez l’éditeur.

Les morts ne nous aiment plus

Philippe Grimbert, Les morts ne nous aiment plus, Grasset, 2021

— Par Anne-Marie Debarbieux

Écrivain et psychanalyste, Paul est devenu un spécialiste de la question du deuil. C’est le thème de nombreuses conférences qui lui valent une grande notoriété et l’intérêt d’un large public. Cependant, après la mort tragique d’Irène, son épouse, Paul n’échappe pas à la règle commune en découvrant que, confronté lui-même à la perte d’un être cher, submergé par le chagrin, il n’est pas plus armé qu’un autre pour faire face à la tragique douleur de l’absence, de la solitude et d’un sentiment de culpabilité de n’avoir « rien vu venir », trop occupé par sa passion pour son métier et les affres de son inspiration littéraire. La consolation est d’autant plus difficile et complexe qu’elle laisse entrevoir la possibilité de vivre sans l’autre ce qui peut engendrer une certaine forme de culpabilité.

C’est alors que, contre toute attente, Paul, qui ne croit en aucun au-delà réconfortant, finit par se laisser convaincre par un étrange personnage qui prétend, en dehors de toute référence religieuse ou de toute forme de croyance ou de magie, lui donner le moyen de retrouver avec son épouse disparue un lien qui l’aidera à vivre sans elle. Paul est vulnérable, au nom de l’éternel conflit entre la raison et le « mais quand même ? » qui susurre que l’impossible est peut-être possible.

De quoi s’agit-il ? Les « consolateurs » et marchands d’illusions parfois très lucratives mais très attractives sont-ils plus dangereux aujourd’hui qu’hier ? C’est évidemment le centre du roman.

Ce livre, très bien écrit, n’est sans doute pas le meilleur de Grimbert mais il est néanmoins passionnant et n’est pas sans évoquer la série remarquable « En thérapie » diffusée sur Arte : bien construit, il met en scène un nouvel Orphée en quête d’impossible retour de l’être cher vers le monde des vivants. Aussi nombreuses que soient les hypothèses en ce domaine la question du lien entre le monde des morts et celui des vivants reste au cœur de l’humanité.

Catégorie : Littérature française.

Lien : chez l’éditeur.

À la récréation

À la récréation (coll.), Nouvelle Cité, 2022

— Une brève d’Anne-Marie Debarbieux

C’était le thème d’un concours littéraire organisé par les éditions Nouvelle Cité. Un petit recueil réunit les 4 lauréats.

Pas mal du tout ! Des textes bien écrits, intéressants, très divers. J’ai pris un réel plaisir à cette lecture qui constitue en quelque sorte… une récréation entre des lectures plus denses et plus longues.

Catégorie : Nouvelles et textes courts.

Liens : chez l’éditeur.

Somb

Max Monnehay, Somb, Seuil, 2020 (disponible en poche chez Points)

— Par Anne-Marie Debarbieux

Le héros de ce polar captivant n’est pas un flic mais un psychologue qui intervient en milieu carcéral. C’est dire que des confidences sordides, des vies en lambeaux, des personnalités perturbées, c’est son quotidien et sa spécialité. Il a de l’expérience, du recul, il est estimé et écouté des policiers.

Tout bascule pourtant le jour où c’est la femme de Jonas Somb, son meilleur ami, qui est retrouvée sauvagement assassinée. Tout accuse le mari qui apparaît très vite comme le suspect numéro 1.

Victor ne peut y croire. Mais ce crime-là le touche de trop près pour que sa voix soit entendue des enquêteurs. Il ne peut être objectif ! Sa conviction ne convainc pas.

Il cherche donc d’autres directions, reprend les faits, mène lui-même son enquête, et surtout il s’interroge : et s’il s’était trompé sur Jonas ? Et s’il avait mal interprété certains moments, certaines réactions de son ami ? Et s’il avait occulté inconsciemment l’importance de certains signes ? Victor relit les différentes étapes de cette relation d’amitié presque fusionnelle et les événements et personnes qui l’ont ponctuée.

Lui, le psy, n’a-t-il pas été submergé par sa propre subjectivité ?

Le lecteur suit les méandres et le va-et-vient de cette introspection : « Mon meilleur ami a-t-il pu à mon insu devenir un meurtrier ? Ai-je une part de responsabilité ? »

Jusqu’à la révélation finale.

Passionnant, ce polar psychologique qui renouvelle le genre et dont l’autrice mérite les récompenses obtenues pour ce roman.

Catégorie : Policiers et thrillers.

Liens : chez l’éditeur ; en Points.

Labyrinthes

Franck Thilliez, Labyrinthes, Fleuve noir, 2022

— Par Anne-Marie Debarbieux

Autour du crime sordide qui ouvre le récit, vont évoluer cinq femmes : cinq parcours de vie que le lecteur sera invité à suivre en alternance, en comprenant que plus la lecture avance, moins la réalité est nette et la vérité facile à établir. Les labyrinthes, plusieurs fois évoqués au fil des pages, sont aussi ceux dans lesquels Thilliez nous entraîne, et ils sont complexes, tout comme les parties d’échecs qui jalonnent les relations entre certains personnages !

Bien entendu, il faut attendre les dernières lignes pour être éclairé sans être vraiment sûr (en ce qui me concerne du moins) d’avoir tout bien compris des méandres de cette intrigue tordue à souhait !

Bien que la majorité des commentaires soient aussi élogieux qu’à l’accoutumée, je ne partage pas tout à fait l’enthousiasme général pour ce nouveau thriller de Franck Thilliez. Certes, il est très bien construit, il témoigne une fois de plus de la passion de l’auteur pour les mécanismes complexes du psychisme humain, en prenant cette fois pour piliers du récit, la mémoire et ses incroyables capacités à oblitérer, déformer, transformer la réalité. Un labyrinthe dans lequel se perdent les personnages et le lecteur qui essaie de suivre le fil d’Ariane que l’auteur manipule à son gré.

Mais de ce fait on s’attache surtout à tenter d’échafauder des hypothèses et à trouver les bons chemins au détriment d’un véritable intérêt pour les personnages, qui restent toujours comme un peu à distance. On cherche les mécanismes psychologiques qui les animent ou dont ils sont victimes, on veut comprendre, mais on ne s’attache pas vraiment à eux et leurs vicissitudes ne nous émeuvent pas vraiment.

Questionnements, curiosité, jeu d’hypothèses certes, mais pas de réelle empathie donc, même si l’auteur s’attarde, comme il sait le faire, sur des scènes terrifiantes et des milieux plus que glauques où la folie et l’ambition semblent anéantir toute humanité à l’égard des victimes. En dépit de cette réserve, ce nouveau Thilliez se dévore comme les précédents !

Catégorie : Policiers et thrillers.

Liens : chez l’éditeur.

Desperate ménagère de + 50 ans

Anne Noblot-Miaux, Desperate ménagère de + 50 ans, The book edition, 2016

— Par Anne-Marie Debarbieux

Un coup de cœur pour ce petit recueil sans prétention de 25 nouvelles dont j’ai croisé l’auteure par hasard dans un salon du livre. Des textes courts, qui racontent des choses de la vie, des histoires de gens ordinaires. C’est bien écrit, souvent drôle, tantôt touchant voire émouvant, mais jamais mièvre, tantôt ironique voire percutant, mais jamais méprisant. Les registres et tonalités sont variés, le regard est souvent amusé, lucide mais bienveillant. Ainsi va la vie ! L’auteure ne traque que la bêtise et les préjugés et elle ne donne de leçon à personne. Bref, cela sonne juste parce que c’est très humain ! Par exemple, la description apocalyptique des courses à l’hypermarché (qui évoque l’humour irrésistible de certains sketches d’Anne Roumanoff), ou celle de l’ado qui prend naïvement son premier émoi pour le grand amour, ou encore l’évocation de la mère de famille qui attend vainement des compliments pour le repas qu’elle s’est donné tant de mal à préparer.

On peut penser que la carrière d’Anne Noblot-Miaux, effectuée dans l’univers médical, lui a permis de rencontrer beaucoup de gens très différents qui ont pu constituer un terreau fertile pour lui inspirer quelques traits de ses personnages ! Encore faut-il s’intéresser vraiment aux gens ordinaires pour braquer avec bonheur les projecteurs sur eux le temps d’une histoire fictive de quelques pages !

Catégorie : Nouvelles et textes courts.

Liens : chez l’éditeur.

Fugu

Marie Christine Collard, Fugu, Noir au Blanc, 2018

— Par Anne-Marie Debarbieux

Bouleversée par la révélation d’un secret familial, Caro décide d’anticiper immédiatement  le séjour au Japon prévu un peu plus tard pour la poursuite de ses études. Elle ne part pas tout à fait dans l’inconnu puisqu’elle parle assez bien la langue japonaise et qu’elle a là-bas un ami pour l’accueillir et l’aider à s’insérer. Cependant, vivre dans un pays aussi différent de la France n’est pas si facile et Caro est vulnérable : elle est loin de maîtriser les codes de la culture japonaise et elle est encore sous le choc de l’événement qui a précipité son départ. C’est ainsi qu’elle se trouve rapidement sous l’emprise d’un Franco-Japonais, brillant, séduisant, aux prises avec une double culture qui semble être un poids autant qu’une richesse, et assujetti lui aussi à un passé familial difficile à assumer. Dès lors la passion emporte Caro, en dépit de toutes les mises en garde, et l’amène aux confins de situations extrêmes d’où l’on ne revient pas indemne.

Car Kenji est un homme dangereux, glauque, blessé par la vie, qui cherche à affronter les démons qui le hantent. Perversité ? Machiavélisme ? Excès de souffrance ? Il est bien difficile de cerner le personnage dont la fascination s’exerce aussi sur le lecteur et engendre un vrai suspense psychologique.

En dépit de quelques longueurs peut-être, le suspense est bien ménagé jusqu’au bout et l’intrigue demeure originale dans ce contexte japonais mystérieux, attirant, et très dépaysant.

Catégorie : Littérature française.

Liens : le blog de la maison d’édition, le blog de l’autrice, la page consacrée à Fugu.

Et vous avez eu du beau temps ?

Philippe Delerm, Et vous avez eu beau temps ? La perfidie ordinaire des petites phrases, Seuil, 2018

— Une brève d’Anne-Marie Debarbieux

« Je me suis permis », « Ca r’pousse pas ! », « J’dis ça, j’dis rien », « En même temps, je peux comprendre ». Qui peut prétendre ne jamais prononcer ces mots ?

Savoureux, ce recueil de textes courts qui explore quelques-unes de ces phrases et formules qui émaillent facilement nos conversations. Anodines ? Sans arrière-pensée ? Pas toujours si sûr.

C’est drôle, c’est fin, c’est bien vu ! C’est du  très bon Delerm, à déguster.

Catégorie : Nouvelles et textes courts.

Liens : chez l’éditeur.

Le gosse

Véronique Olmi, Le Gosse, Albin Michel, 2022

— Par Anne-Marie Debarbieux

Impressions un peu mitigées pour ce roman dont on appréhende un peu la lecture, redoutant un déferlement d’émotions, étant donné le sujet : l’enfance maltraitée. Or le récit se présente comme un excellent documentaire, bien écrit, et à ces titres, tout à fait intéressant, mais malgré une trame romanesque plutôt bien menée, il ne parvient pas à nous attacher véritablement au personnage principal. L’autrice a-t-elle voulu éviter le pathos ou a-t-elle malgré elle privilégié l’information sur un sujet aussi grave ? Quoi qu’il en soit, on est à la fois un peu soulagé mais aussi un peu frustré de cette distanciation.

Le destin du petit Joseph bascule dans l’horreur lorsque, déjà orphelin de père, puis de mère, il ne peut plus vivre avec sa grand-mère, qui sombre dans la démence. Le voilà donc pupille de la nation et voué à connaître les placements et orphelinats qui sont en réalité des bagnes où des adultes pervers et sans scrupules exercent en toute impunité des sévices de toutes sortes dont on peine à croire qu’ils aient pu exister. Enfants exploités, épuisés, affamés, terrorisés en permanence et gratuitement humiliés. Situations extrêmes dont l’autrice n’a pourtant rien inventé : on croit lire certaines pages des Misérables, alors qu’il s’agit de faits datant du XXème siècle, quelques années avant le Front populaire, et d’enfants confiés par l’État à des établissements privés qu’il est censé contrôler, mais dont en réalité il se soucie fort peu.

Toutefois, le témoignage implacable se nuance un tant soit peu dans la dernière partie du livre, que l’autrice éclaire avec bonheur, suggérant par là que l’avenir de Joseph n’est pas forcément condamné d’avance.

Le roman de Véronique Olmi a le mérite d’attirer notre attention sur un pan scandaleux mais réel de notre Histoire : l’exploitation en France d’enfants orphelins en théorie protégés par l’État. Une situation qui, n’en doutons pas, existe malheureusement encore aujourd’hui dans d’autres parties du monde.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur ; toutes nos critiques de Véronique Olmi sont référencées dans le classement par alphabétique par auteur.

Regardez-nous danser

Leïla Slimani, Regardez-nous danser, Gallimard 2022
(Le pays des autres – tome 2)

— Par Anne-Marie Debarbieux

Éternel syndrome des « suites » ? Ce second volet ne m’a pas autant captivée que le premier. Il est pourtant très intéressant, très bien écrit (certains passages sont même remarquables), mais je me suis un peu moins attachée aux personnages, sans que je sache vraiment en cerner la raison. Amine, le père, à force de travail et de ténacité est devenu un riche propriétaire qui ne résiste pas aux signes extérieurs, presque indécents, de sa réussite. Mathilde, malgré son évolution sociale, s’occupe toujours de son dispensaire. Mais elle est rattrapée par sa fille Aïcha, brillante étudiante en médecine issue de l’université de Strasbourg. C’est en effet à la génération suivante, Aïcha (et son ami Mehdi), Selma et Selim, les 3 enfants d’Amine et Mathilde, qu’est consacré essentiellement ce second volume : ils incarnent la difficulté pour cette génération de se situer, de se construire, dans un pays qui a acquis son indépendance mais qui vit sous le règne autoritaire d’Hassan II et peine à se forger une unité et des repères : appât du gain, désir d’ascension sociale, émancipation des mœurs, évolution de la condition des femmes, mais aussi vanité des faux paradis, pauvreté persistante des classes populaires, attachement à la tradition, à la famille, aux racines. Le choc des cultures est difficile à vivre et les modèles de réussite individuelle se teintent parfois d’impression de trahison. Difficile de concilier des aspirations contradictoires dans un pays dont le régime ne facilite pas tous les choix et où l’accès aux études reste encore restreint. Et à un âge où amours et passions sont au cœur des préoccupations et des choix !

Devant cette vie compliquée, il faut finalement être fort, et le fragile Selim se perd dans l’aspiration à une liberté qui est un leurre, tandis que Mehdi l’intellectuel a le privilège de s’interroger sur son évolution et son avenir. Entre ces extrêmes, tous se cherchent et tâtonnent : Comment être heureux ? Comment rester soi-même ? Questions d’une jeunesse qui doit trouver sa voie entre modernité et tradition.

(A noter qu’un index permet au lecteur qui n’aurait pas lu le premier tome de se repérer facilement dans les personnages).

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur ; nos autres critiques de Leïla Slimani.

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