Thérapie et L’art de la fiction

Hommage à David Lodge (1935-2015) – suite et fin

Par Catherine Chahnazarian

Ça m’ennuierait d’achever cette série spéciale sur David Lodge sans vous parler de Thérapie. Mais je n’ai pas pris le temps de relire ce roman et peut-être que c’est un peu exprès. C’est un de mes meilleurs souvenirs de lecture de toute ma vie et j’ai peur d’y toucher.

Le héros, cette fois, travaille pour la télé. Il traverse une crise existentielle dont le lecteur découvre les détails réalistes et pathétiques dans le journal qu’il tient (le héros, pas le lecteur, évidemment) – sachant que toute ressemblance avec vous-même ou des amis à vous sera forcément fortuite !

Comme souvent, Lodge est sans pitié avec son personnage, nous réserve des surprises et nous amuse avec une finesse exquise.

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Je ne voudrais pas non plus clore cette série sans vous parler d’au moins un de ses essais sur la littérature – que David Lodge a enseignée à l’université de Birmingham pendant près de trente ans, de 1960 à 1987. Il y en a un qui est traduit en français et qui n’est pas épuisé.

L’art de la fiction est en fait constitué des chroniques que l’auteur a publiées chaque semaine dans l’Independent on Sunday (journal britannique) pendant toute une année. Il ne s’adresse donc pas ici à un public universitaire. Il n’emploie le vocabulaire technique que lorsqu’il est nécessaire et parce qu’il faut appeler un chat un chat. Spontanéité du discours, clarté et valeur du contenu – sans prétention, sans hauteur, sans lourdeur non plus. Il faut seulement que les coulisses de la littérature vous intéressent.

Chaque chapitre commence par deux ou trois courts extraits d’auteurs britanniques ou américains célèbres, donnés en version originale puis en français. Lodge s’y adosse ensuite pour développer son sujet : « Le suspense », « Le monologue intérieur », « La présentation d’un nouveau personnage », « Le roman expérimental », « L’allégorie », « Le titre » ou « La structure narrative »… Il y a ainsi cinquante chapitres passionnants à prendre dans le sens et au rythme que vous voudrez.

Si vous aimez écrire, vous y trouverez sûrement quelques tips !

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David Lodge

Thérapie
1995
Seule la version numérique est disponible chez Payot & Rivages, dans la traduction de Suzanne V. Mayoux

L’art de la fiction
1992
Traduction française : Michel et Nadia Fuchs pour les Éditions Payot & Rivages
(2014 pour la dernière édition de poche)

Jeu de société

Hommage à David Lodge (1935-2025) – 6

La Trilogie du campus : Changement de décor, Un tout petit monde, Jeu de société

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Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Daniel Kunstler

Arrivent les années 1980 et la Grande-Bretagne ne parvient plus à préserver ses illusions de grandeur. Son empire, sur lequel le soleil ne se couchait jadis jamais, est en miettes en dépit d’une minable victoire militaire face à l’Argentine. Son déclin économique s’accélère, et l’heure est à l’austérité promue par Margaret Thatcher, avec des sacrifices qui accablent les plus démunis. Le berceau industriel du pays – des villes telles Birmingham et Manchester –, déjà gris et oppressant, s’enlaidit de ferraille rouillée et autres détritus. Le constructeur de voitures, British Leyland, est en déconfiture.

De cette toile de fond du troisième volet de la Trilogie du campus, émergent deux personnages : Robyn, jeune chargée de cours de littérature à l’université de Rummidge (Birmingham), et Vic, PDG d’une manufacture de pièces en métal, chargé de composer avec l’atrophie de ses clients. Ne trouvant pas de solutions réelles à la crise, le gouvernement recourt à des astuces, dont un programme d’observation (shadowing) entre académiques et chefs d’entreprise. L’idée (espoir éphémère) est que la compréhension mutuelle conduirait à un retour de fortune pour l’industrie britannique. Ainsi, Robyn, académique de gauche, et Vic, cadre de droite, sont contraints de passer leurs journées ensemble. D’emblée, ils s’entre-détestent. Robyn sympathise avec les ouvriers traités en serfs, jusqu’à saboter l’autorité de Vic. Vic, comme Thatcher, n’a que mépris pour les études autres que scientifiques promues par les universités, qu’il considère d’ailleurs comme des refuges pour enfants gâtés. Je ne raconterai pas la suite, mais vous ne vous étonnerez pas d’apprendre que la situation se retourne au cours du roman.

Jeu de société provoque moins de rires que les autres volets de la trilogie. En effet, ici une certaine tristesse imprègne la comédie. L’ambiance morose de l’époque que décrit David Lodge est trop réelle pour céder toute la place à la drôlerie. La crise dans les Midlands attise les troubles sociaux, et les mesures de redressement mises en place ont favorisé irréversiblement le secteur financier de Londres. Des villes comme Birmingham tentent de remonter la pente à coup de nouvelles infrastructures avec un succès mitigé : sa municipalité tombera en faillite en 2023.  

Tout en restant fidèle à ses desseins comiques, Jeu de société est à mon sens le plus sérieux des trois volets de la Trilogie. Car les problèmes de société évoqués ne se sont pas encore résolus.

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David Lodge
Jeu de société
1988

En français chez Payot & Rivages dans la traduction d’Yvonne et Maurice Couturier

Un tout petit monde

Hommage à David Lodge (1935-2025) – 5

La Trilogie du campus : Changement de décor, Un tout petit monde, Jeu de société

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Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Daniel Kunstler

Un récit situé dans un passé même rapproché ne reste d’actualité que dans la mesure où il informe le présent. Changement de décor et Jeu de Société traitent comiquement, d’une part, d’un monde universitaire qui se radicalise dans les années 1960, de l’autre du déclin industriel du Royaume-Uni dans les années 1980. Ces moments ont durablement marqué le cours de l’histoire.

Un tout petit monde, c’est autre chose. Le contexte est celui de conférences littéraires internationales aux sujets éphémères qui ne passionnent personne, pas même les participants, à moins que leurs communications contribuent à leur rang socio-académique. Ce qui les intéresse bien plus, c’est de voyager dans le luxe, boire comme des marins en permission, et s’offrir des aventures libertines aux frais de la princesse.

L’histoire est certes cocasse, faisant tours et détours drôles et inattendus. Ainsi, dix ans plus tard, les deux protagonistes de Changement de décor ont inversé leurs rôles. Le chaud lapin américain, Morris Zapp, s’est calmé avec l’âge, et se soucie plus de son statut et de ses finances. Par contre, Phillip Swallow, l’anglais terne du premier roman de la Trilogie, a pris goût, lors de son séjour en Californie, à l’exubérance sexuelle qui règne sur le campus américain auquel il est détaché. Un troisième personnage, Persse, un irlandais vertueux et attendrissant, s’éprend d’une conférencière et la poursuit en vain sur trois continents…

Le problème pour moi, en tant que lecteur, est que le contexte me paraît plus désuet que celui des autres volets de la Trilogie. David Lodge, lui-même professeur de lettres, est bien assez expert en la matière pour se moquer des forums centrés sur des sujets ésotériques sans suite, telle la subtile distinction entre signifiants et signifiés dans l’œuvre de romanciers que personne ne lit. Mais la princesse aux frais de laquelle tout se passe est de nos jours bien plus près de ses sous, et préfère placer ses fonds ailleurs : le cadre d’Un tout petit monde n’est plus très réaliste.

Je me suis indéniablement amusé à la lecture de ce deuxième volet, mais un peu moins intéressé.
Jugez par vous-même.

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David Lodge
Un tout petit monde
1984

En français chez Payot & Rivages dans la traduction d’Yvonne et Maurice Couturier

Hors de l’abri

Hommage à David Lodge (1935-2015) – 4

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Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Catherine Chahnazarian

Timothy a cinq ans et une tenue spéciale pour les alertes à enfiler directement sur son pyjama. Car c’est le Blitz : l’aviation nazie pilonne la capitale anglaise. La tenue de Timothy est la même que celle de Churchill, alors il n’a pas peur ! Jusqu’à ce que…

Ce roman d’inspiration autobiographique commence donc en 1940 « dans l’abri ». Après la guerre, l’abri, ce sera le cocon familial, la vie sérieuse d’un enfant de famille catholique pas très riche qui subit l’interminable rationnement. Puis, à seize ans, Timothy a l’occasion de faire un voyage. Il part seul en Allemagne rejoindre sa grande sœur qui, comme la tante de David Lodge à l’époque, travaille pour les Américains. Qu’est-ce que l’Allemagne de 1951 ? Que penser des Allemands ? Et des Américains ? Inquiétudes, étonnements, questionnements, le jeune homme acquiert rapidement une maturité qui le transforme. Mêlé à un groupe d’adultes qui n’ont pas grand-chose en commun avec ses parents, il découvre et comprend bien des choses en apprenant à regarder ailleurs, autrement, à se décentrer.

Nous traversons donc un pan de l’Histoire de l’Angleterre et de l’Europe à travers les yeux d’un enfant devenant progressivement adolescent et découvrant la sexualité, comme le suggère la couverture du livre, mais pas que, loin s’en faut. La variété de ses personnages (de bons catholiques, d’anciens soldats, des jouisseurs, des enfants gâtés…) permet à l’auteur d’être à la fois dans la psychologie et la sociologie. De même que la variété des lieux. L’abri, la maison familiale, le lieu des vacances annuelles, les gares, le foyer où loge Timothy, les sites allemands visités sont autant de cadres où se joueront des événements prenants ou attachants, qui surviennent à l’échelle d’un enfant mais s’inscrivent dans un contexte dont l’auteur nous livre l’essence, en un court roman, avec habileté.

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David Lodge
Hors de l’abri
1970

Disponible uniquement en version numérique chez Payot & Rivages, dans la traduction d’Yvonne et Maurice Couturier.

Changement de décor

Hommage à David Lodge (1935-2025) – 3

La Trilogie du campus : Changement de décor, Un tout petit monde, Jeu de société

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Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Daniel Kunstler

Passons d’emblée à la conclusion : Changement de décor m’a fait tordre de rire. Du coup je me suis demandé ce qui fait d’un roman comique une réussite. Car la comédie n’est pas un genre littéraire facile; au contraire, elle doit éviter que le burlesque ne sombre dans le ridicule. Pour sa part, David Lodge a joint l’improbable au plausible, aussi bien dans le traitement des personnages que dans celui des situations. Lodge juxtapose deux professeurs d’université, un Anglais plutôt fade, à la vie bien rangée et sans grande ambition, et un Américain, brillant, adultère récidiviste et narcissique. Suite à un pacte académique, un échange est conclu : Philip Swallow, l’Anglais, accepte une chaire provisoire en “Euphoria” (la Californie, plus précisément Berkeley), l’Américain Morris Zapp, éconduit par l’épouse qu’il a trompée, se fait nommer à “Rummidge” (Birmingham). Les personnalités contrastées incarnent la dissemblance culturelle de leurs milieux universitaires respectifs. 

Tout en se moquant sans pitié de ces deux hommes, l’auteur leur rend le service de les humaniser. L’image stéréotypique de professeurs universitaires est celle d’hommes – dans les années 1970, les enseignantes sont une petite minorité – hautains et doctes qui ne quittent leurs tours d’ivoire que pour semer des perles de sagesse au bénéfice d’étudiants indignes du savoir qui leur est offert. David Lodge en fait des mortels aux aspirations matérielles, voire bourgeoises, et aussi portés que quiconque sur l’argent et le sexe. Les établissements universitaires qui les emploient recèlent autant de machinations qu’une cour impériale. En outre, les personnages ne restent pas figés. Swallow s’éveille au contact avec l’effervescence du campus américain, Zapp prend goût au statut exalté qu’il occupe dans une université de moindre réputation.

J’ai des liens personnels avec l’université de Californie à Berkeley. J’ai vécu à proximité pendant trente ans, et l’ai côtoyée comme conférencier et mentor. David Lodge a bien capté son ambiance des années 1970, sa frivolité compensant une opposition vertueuse aux tendances guerrières, racistes et puritaines des pouvoirs politiques. Ceci dit, il faut souligner que les normes académiques de Berkeley sont restées très élevées ; je m’en porte témoin.

Régalez-vous à la lecture de ce premier volet de la Trilogie du campus, histoire à la fois bouffonne et intelligente.

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David Lodge
Changement de décor
1975

En français :
Editions Rivages
Traduction : Yvonne et Maurice Couturier

Vous lisez l’Anglais ? Essayez la version Penguin.

La vie en sourdine

Hommage à David Lodge (1935-2025) – 2

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Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Marie-Hélène Moreau

Lire et relire un livre de David Lodge est toujours un plaisir même s’il est, cette fois, teinté d’un brin de tristesse compte tenu de la disparition de l’immense écrivain. J’ai ressorti de ma bibliothèque La vie en sourdine et m’y suis replongée avec délectation. Il suffit en effet de se laisser porter par cette prose parfaitement fluide et ce sens du détail, admirer cette érudition jamais pesante et rire à cet humour si représentatif de ce que l’on nomme souvent l’humour anglais pour passer un moment de total bonheur de lecture.

Tout comme David Lodge, le héros de ce roman est un universitaire, et tout comme lui également, il est sourd, c’est dire la part autobiographique que recèle le texte même si la fiction y a aussi une large place. Desmond est un professeur de linguistique à la retraite, une retraite anticipée qu’il regrette un peu car il peine à combler le vide de ses journées, d’autant que sa femme, Fred, a démarré tardivement une carrière réussie de décoratrice. Entre sa surdité qui l’isole de plus en plus et la perte progressive d’autonomie de son père dont il reste seul à s’occuper, les motifs de se réjouir ne sont guère nombreux en cette fin d’année, d’autant que Desmond déteste les fêtes de fin d’année. Une rencontre va cependant bousculer sa routine déprimante, celle d’une étudiante américaine sollicitant son aide pour l’élaboration d’une thèse consacrée aux lettres de suicide.

Écrit sous la forme d’un journal intime sur une période de quelques mois, La vie en sourdine aborde, outre les thèmes principaux du handicap lié à la surdité et la fin de vie, divers sujets aussi différents que les centres de loisirs type Center Parc, l’expérience de la visite du camp d’Auschwitz, le petit monde universitaire ou encore le difficile travail des infirmières des hôpitaux publics britanniques, sans oublier les hauts et les bas de la vie de couple, finement décrits à travers les relations entre Desmond et sa femme. Tout cela s’imbrique comme par magie et se lit sans ennui. Intéressant, touchant, drôle, La vie en sourdine (dont le titre anglais Deaf sentence est un jeu de mot entre deaf, surdité, et death, mort, tout un programme !) est un classique de David Lodge.

À lire et relire donc, et sans modération.

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David Lodge
La vie en sourdine

2008

En français :
Éditions Rivages
Traduction : Yvonne et Maurice Couturier

Vous lisez l’Anglais ? Essayez la version Penguin.

L’homme qui ne voulait plus se lever

Hommage à David Lodge (1935-2025) – 1

C’est avec tristesse que nous avons appris la mort de David Lodge, un auteur merveilleux par sa drôlerie, son intelligence et sa culture, ses formidables compétences littéraires, son sens de l’observation, son humanité. Professeur de littérature, il est connu autant pour son approche théorique de cet art qui ne peut se contenter d’inspiration que pour son œuvre propre : de nombreux romans mais aussi du théâtre et, bien sûr, des essais.

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Nouvelles et textes courts (Grande-Bretagne)
Par Florence Montségur

Le recueil paru en 1997 contient 6 nouvelles. Il y en a 8, si je comprends bien, dans l’édition de 2019 que je ne possède pas. Ceux qui ne connaissent pas David Lodge y découvriront son talent, son humour, sa sensibilité. Je leur conseille – je conseille à tous – de lire l’introduction après coup, pour l’apprécier d’autant mieux. David Lodge y explique, pour chaque nouvelle, le contexte d’écriture, l’inspiration, le thème, une anecdote. Ceux qui ont lu Lodge mais ne connaissent pas ces nouvelles s’amuseront à faire des liens au sein de son œuvre.


« Sous un climat maussade » (1987)

Deux jeunes couples d’Anglais, sages comme il le faut dans les années 1950 avant le mariage, passent des vacances au soleil qui rendent la tension sexuelle insupportable. Le feront-ils ou ne le feront-ils pas ? On souffre pour eux.

« Mon premier job » (1980) – ma préférée

Le premier job, dans une gare londonienne, d’un jeune homme qui deviendra professeur de sociologie. Une autre vision des années 1950 à travers un petit emploi comme on n’en fait plus — quoique, non, je retire ce que je viens d’écrire, c’était complètement con.

« L’hôtel des Paires et de l’Impair » (vers 1985)

David Lodge déroule ici son art de la mise en abîme. C’est très habile. Et cela se moque – oserais-je dire –  de la raideur anglaise, à une époque où, à la Côte d’Azur, la pudeur répondait à d’autres codes…

« L’homme qui ne voulait plus se lever » (hiver 1965-1966)

Une idée simple : un homme refuse un matin de sortir de son lit. Les conséquences aux plans familial, financier, spirituel, médical… sont logiques mais, en même temps, qui d’autre pour écrire un truc pareil ? Vous méditerez sur la fin – ou pas, selon la dépressivité de votre propre état.

« L’avare » (années 1970)

En quelques phrases, Lodge pose un décor précis. Images évocatrices de l’immédiat après-guerre, traits de l’enfance, personnalité du principal protagoniste, tout est ciselé en deux temps trois mouvements. La fin n’est pas drôle, mais jusque-là, la plongée est si profonde qu’on n’en veut pas à l’auteur.

« Pastorale » (1992 ?)

Un adolescent met en scène une Nativité pour le club de jeunes de la paroisse et ses motivations ne sont ni religieuses ni littéraires. Les thèmes de cette amusante nouvelle sont l’attirance sexuelle et le préjugé social.

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À lire en anglais si vous le pouvez. Mais la traduction française de Suzanne V. Mayoux chez Rivages (poche) est vraiment excellente.

L’éditeur renseigne ici toutes les œuvres de David Lodge traduites en français.

Un tramway nommé Désir

Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE

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Par Catherine Chahnazarian

Dans nos mémoires, Un tramway nommé Désir, c’est ce film dans lequel Marlon Brando, tout jeune, à peine sorti de l’Actors Studio, incarne une virilité sauvage et une sensualité indécente pour l’époque. Son personnage, Stanley Kowalski, vulgaire et dur, est servi par un texte sauvage et dur, dépêtré des carcans académiques et des modes littéraires. Ni belles phrases ni envolées, l’écriture est avant tout sociologique, le texte sent la pauvreté, le sexe et la sueur. Non, sans Tennessee Williams, pas de marcel taché sur le corps brillant du jeune Brando.

Pourtant, qu’il est difficile à lire, ce texte ! C’est que tout y est écrit. Des didascalies disent tout non seulement du décor à mettre en place mais du moindre geste, du moindre mouvement des acteurs, de la direction des regards, du phrasé… Tout est précisé et le lecteur, sans cesse coupé dans son élan, ne parvient pas à faire la lecture fluide à laquelle il est habitué. C’est qu’une pièce est faite pour être jouée.

On est à La Nouvelle-Orléans, il fait chaud et moite. Stanley ramène de la viande à la maison – un deux pièces minable – et repart aussitôt pour aller jouer aux boules. Stella, sa compagne, dont la vie entière tourne autour de Stanley, court le rejoindre et n’assiste pas à l’arrivée inopinée de sa sœur, Blanche, sorte de bourgeoise débarquant dans un monde qui n’est pas le sien. C’est l’élément perturbateur d’un équilibre fragile. Le mélodrame éclaire un milieu social où la brutalité est accentuée par la pauvreté et la sensualité par la chaleur et par le huis clos que vient paradoxalement renforcer la présence de la rue dans le décor. Cette atmosphère interpelle votre vision des mœurs, de l’amour, de l’équilibre mental. L’impossible ascension sociale de Stanley comme la dégradation sociale de Stella et Blanche ramènent l’humanité à ses frustrations et à ses échecs, à son rapport relatif à la réalité, à ses dépendances aussi – au sexe, à l’alcool, au jeu, au regard des autres, à ce qu’ils croient être la féminité et la virilité, ou le bonheur.

Quelque chose d’animal, dans cette pièce si éloignée du théâtre français, trouble encore aujourd’hui et rappelle qu’écrire doit toujours servir une idée vraie.

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Tennessee Williams
Un tramway nommé Désir
Titre original : A Streetcar Named Desire, 1947
Prix Pulitzer 1948

Le texte est aujourd’hui disponible en français chez Robert Laffont, en Pavillons Poche, dans une adaptation de Pierre Laville.
Le film d’Elia Kazan avec Marlon Brando et Vivien Leigh est sorti en 1951. Pour vous en faire une idée

En un combat douteux…

Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE

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Par François Lechat

En un combat douteux n’est pas le plus célèbre roman de Steinbeck. Il s’agit pourtant de son premier grand livre, écrit avant Des souris et des hommes et Les raisins de la colère, consacré à la terrible crise sociale qui a secoué la Californie à partir du krach boursier de 1929.

La singularité d’En un combat douteux réside surtout dans le fait que Steinbeck n’a pas cherché à plaire. Le thème du livre, une grève des ouvriers chargés de la cueillette de pommes dans d’immenses vergers, est directement inspiré des grandes grèves qui ont marqué la Californie en 1933 dans des secteurs connexes (le coton, les pêches…) qui réduisaient les salariés à la misère. Un sujet grave, donc, traité dans un texte rédigé en quelques semaines et que Steinbeck lui-même qualifiait de « brutal », de « terrible ». Une forme de littérature prolétarienne, assumée comme telle, qui a frappé à l’époque par son réalisme, son style brut, ses longs dialogues, souvent tendus, qui traduisent les hésitations et les difficultés inhérentes à un combat inégal, incertain, « douteux » comme le dit la formule de titre empruntée à la Bible.

En un combat douteux aurait pu être un roman communiste, puisque les principaux meneurs de la grève décrite par Steinbeck appartiennent au Parti. Mais ce n’est en aucune manière un livre théorique ou dogmatique : ses protagonistes ne débattent pas sur des idées mais sur les actions à mener. Steinbeck s’est appuyé sur de nombreux récits oraux de grèves similaires, et il a créé des personnages échappant aux étiquettes, simplement humains, authentiques, oscillant entre faiblesse et grandeur. Son sujet n’est pas la Révolution mais la dynamique des groupes, qui sont en proie à une instabilité permanente, qui discutent sans cesse de la manière de s’organiser face aux briseurs de grève, à la police, aux milices qui veulent mater la contestation. Sur un sujet qui se prêtait à la propagande, Steinbeck offre un roman sans message, écrit du point de vue des ouvriers mais dont l’issue n’est pas donnée, Steinbeck laissant au lecteur le soin de l’imaginer à partir d’une brève indication.

En un combat douteux est évidemment disponible en format de poche, mais n’hésitez pas à vous faire plaisir : il figure dans le volume de la Bibliothèque de la Pléiade consacré à Steinbeck, aux côtés de ses deux autres romans californiens et d’À l’est d’Eden. Avec, en prime, une introduction générale, des notices et des notes aussi claires que savantes.

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John Steinbeck
En un combat douteux

Titre original : In Dubious Battle, 1936

En Folio
traduction : Edmond Michel-Tyl

En Pléiade
traduction : J.-C. Bonnardot, Maurice-Edgar Coindreau, Edmond Michel-Tyl et Charles Recoursé ; direction : Marie-Christine Lemardeley-Cunci.

De si jolis chevaux

Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE

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Par Daniel Kunstler

Les années 1950 sonnent le glas de l’élevage du bétail en pâturage au Texas et, par conséquent, du cowboy de nos imaginations. Les vastes ranchs se dépeuplent et le paysage se voit envahi par des derricks. Ça devait arriver tôt ou tard : la grande richesse de l’ouest américain était largement minérale, métaux précieux au Colorado, pétrole au Texas.

Ainsi le ranch ancestral de la famille du héros de Cormac McCarthy dans De si jolis chevaux, John Grady Cody, est mis en vente. John Grady, cavalier imbu de la culture cowboy et du culte du cheval, refuse de céder à leur déclin. À ses  yeux, son avenir au Texas est compromis, et le Mexique encore indompté l’attire avec son compagnon de chevauchée. Sa maîtrise de tout ce qui concerne les chevaux, leur physionomie et leur psychologie, est suprême, et lui assure du travail à condition de franchir vivant le désert au terrain accidenté du nord du pays, ce qui est loin d’être assuré. Arrivé à une immense hacienda, propriété d’un patricien qui fait la loi dans toute la région, John Grady est embauché après avoir démontré ses talents en apprivoisant seize mustangs en l’espace de quatre jours. 

Je ne dévoilerai pas le fil du récit. L’important à saisir est le personnage de John Grady et ce qu’il représente. Son langage dépouillé trahit une intelligence et une sagesse aigües, sa franchise est désarmante, sa maturité étonnante. Car il n’a que seize ans. L’adolescence, avec ses insouciances et rêves éphémères, est un luxe inabordable. Mais bien qu’il assume les responsabilités d’un adulte et affronte des dangers mortels, sa jeunesse l’empêche de contenir l’intensité avec laquelle il vit un amour condamné au naufrage.

Si la violence présente dans les livres de McCarthy peut offusquer, ce n’est pas qu’il y prend goût, mais plutôt qu’il refuse d’édulcorer sa brutalité à la façon désinvolte d’un western hollywoodien classique soucieux de ne pas incommoder. 

De si jolis chevaux – premier volet d’une trilogie de romans individuels –  est à la fois conte d’aventure, histoire d’amour et voyage dans un monde de splendeur et de menace. Il combine réalisme, métaphysique et lyrisme. Le style est rythmé, cinétique, poétique même par moments, avec des passages qui se dispensent de ponctuation. Dire que ce livre est magnifique relève de l’euphémisme ; c’est d’une beauté pas moins qu’émouvante. C’est aussi une façon idéale d’approcher l’œuvre impressionnante de Cormac McCarthy. 

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Cormac McCarthy
De si jolis chevaux
Titre original : All the Pretty Horses (1992)
Disponible en français aux éditions Points
Traduction : François Hirsch et Patricia Schaeffer

84, Charing Cross Road

Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE

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Par Catherine Chahnazarian

Cet échange de lettres entre Helene Hanff et les membres de la librairie Marks & Co est authentique. Il a duré vingt ans.

Autrice dont le talent ne suffit pas à ce qu’elle perce dans le théâtre, son milieu de cœur, Helene vivote en participant à l’écriture de scenarii pour la télévision américaine. Elle peine à accéder à des œuvres qu’elle voudrait lire pour se cultiver : les livres anciens sont difficiles à trouver dans l’Amérique de l’époque ou alors ils sont trop chers. En 1949, elle se tourne vers une librairie londonienne dont elle a vu un encart publicitaire dans une revue. Tout part de là.

84, Charing Cross Road ne devait pas devenir un livre, c’était l’adresse de son libraire, c’était un paquet de lettres et c’est devenu le seul succès d’Helene Hanff. Mais quel succès !

Ça n’a aucune importance de connaître ou non les auteurs dont il question, les livres qu’elle cherche à acquérir et que Frank Doel va lui dégoter. Au pire vous retiendrez quelques titres ou vous aurez envie d’en lire l’un ou l’autre à votre tour (il y a, au fond, de quoi nourrir une mini-série sur la littérature britannique…).

84, Charing Cross Road est une histoire d’amitié, de respect, de partage. D’autant plus simple et sans prétention qu’elle est authentique. C’est déliceux, plein de bienveillance gratuite, d’enthousiasme et d’humour. Il y a même une recette de pudding !

Ce livre est attachant au dernier degré, y compris la postface de Thomas Simonnet (si vous trouvez cette édition) qu’il faut lire pour achever de cerner le personnage d’Helene Hanff – et verser une dernière larme si vous êtes sensible.

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Helene Hanff
84, Charing Cross Road

1970

La version française dans la traduction de Marie-Anne de Kisch a été publiée aux éditions Autrement. La nouvelle édition contient une préface de Daniel Pennac. La version au Livre de Poche avec la postface de Thomas Simonnet est épuisée mais disponible sur des sites de revente. Essayez de vous la procurer chez un petit libraire d’occasion afin de prolonger le système mis en place par Helene ?

De sang-froid

Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE

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Par Marie-Hélène Moreau

Oeuvre immense de la littérature américaine, De sang-froid est ainsi sous-titré : Récit véridique d’un meurtre multiple et de ses conséquences. On ne saurait dire mieux car il ne s’agit nullement ici d’une œuvre fictionnelle, mais du compte-rendu implacable d’un fait divers.

Dans les années cinquante, dans une petite ville tranquille du Kansas, deux délinquants tuent sans raison apparente les quatre membres d’une même famille. Ils seront rattrapés, condamnés et exécutés. Truman Capote, passionné par cette affaire, passera des mois à rencontrer et interroger tous les protagonistes, y compris les accusés. Il en tirera ce texte dense et passionnant, et en restera passablement traumatisé, plongeant dans une profonde dépression.

La construction du livre est particulièrement intéressante. Au lieu de se situer directement après le crime, l’auteur choisit de démarrer son récit dans les heures le précédant, présentant alternativement les derniers moments de la famille assassinée et ceux de leurs assassins en chemin. Saisissant contraste. D’un côté les Clutter, famille respectée de fermiers, un mère fragile des nerfs, un père bienveillant, une fille adolescente appréciée de tous ainsi que son jeune frère. De l’autre, deux jeunes hommes au passé délinquant, l’un issu d’une famille dysfonctionnelle, affublé de surcroît d’un handicap physique, le second pétri de frustrations. Rien ne devait faire se croiser leurs chemins. Le crime en lui-même ne sera décrit que tardivement dans le livre comme si, au-delà des terribles faits, ce qui intéresse surtout l’auteur est de comprendre ce qui a pu pousser ces deux hommes à le commettre. On suit ainsi longuement leur cavale et leur emprisonnement. De nombreuses lettres, de proches notamment, tentent par ailleurs d’apporter des réponses en dressant d’eux des portraits troublants.

L’auteur ne les juge jamais. Il rapporte simplement des faits et décrit en détail les relations entre tous les protagonistes, victimes, coupables, mais aussi forces de l’ordre et habitants de la paisible ville dans laquelle le crime s’est produit. Plus que la simple chronique d’un fait divers, De sang-froid dresse ainsi le portrait d’une certaine société américaine. Il pointe également les faiblesses du système judiciaire américain dont la peine de mort reste un élément clé.

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Truman Capote
De sang-froid

Titre original : In Cold Blood, 1966
Disponible en Folio
Traduction : Raymond Girard

Angle d’équilibre

Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTERATURE AMÉRICAINE

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Par Daniel Kunstler

La conquête de l’Ouest telle qu’elle figure dans les westerns hollywoodiens contient indéniablement des germes de véracité : un vaste territoire largement aride, un ordre social boiteux, le culte du cheval, une frontière mexicaine poreuse, la gâchette facile. Cependant, la synthèse de ces éléments au grand écran a le plus souvent déformé la réalité historique en faveur d’un tableau fallacieux. En outre, le personnage mythique du cowboy suggère une économie agraire alors que l’essor de la région délimitée par les Rocheuses et la côte du Pacifique doit autant à ses ressources minérales. La ruée vers l’or ne fut qu’un début.  

Sans écarter les éléments constitutifs de l’imagerie populaire, Wallace Stegner nous rapproche de la vérité vécue de ceux et celles qui ont migré vers l’ouest après 1860. Son héroïne, Susan Ward, abandonne les salons de Manhattan et suit son mari, Oliver, ingénieur des mines qui résiste mal aux caprices des financiers siégeant à New York et Londres. Il se laisse malmener au point de soumettre sa famille au nomadisme à travers l’ouest américain. La poursuite d’une stabilité professionnelle et matérielle les conduit en Californie, au Colorado, au Mexique et dans l’Idaho. A chaque escale, la cupidité des patrons les confond. Susan, qui exerce à distance son métier de chroniqueuse pour des périodiques new-yorkais, se persuade qu’elle aime d’amour ce mari viril et attentionné, mais ne peut ensevelir sa rancune.  Elle se sent plus d’atomes crochus avec Frank, le jeune collègue d’Oliver.

Le roman oscille entre le fil de l’histoire et les réflexions du narrateur, Lyman, petit-fils de Susan, historien à la retraite, grincheux, cynique, souffrant et confiné à domicile dans sa villa californienne. Il a pour mission de reconstruire la vie de sa grand-mère qui habitait jadis la même maison bien après les drames qui ont marqué son destin. 

Mary Hallock Foote

Angle d’équilibre est un monument, mais aux origines troubles. Le portrait de Susan s’appuie sur le vécu d’une personne réelle, Mary Hallock Foote (photo ci-contre), qui a laissé une correspondance abondante dont Stegner admirait les qualités littéraires. Avant de publier, il a reçu l’aval de la famille de Foote pour l’utilisation de ses écrits, donc pas de problème de droits d’auteur. Il n’empêche que Stegner reproduit des passages entiers sans attribution, tout en altérant les traits de celle qui les a rédigés. (Est-ce qu’il se serait permis de s’approprier ainsi la plume d’un homme ?) La renommée de Stegner s’en trouve ternie. Regrettable, car Stegner, grand écrivain méconnu en France, nous a légué un corpus d’œuvres magnifique, dont Angle d’équilibre fait partie intégrante.

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Wallace Stegner
Angle d’équilibre
Titre original : Angle of Repose, 1971
Prix Pulitzer 1972

Le texte français est disponible en poche aux éditions Gallmeister
Traduction : Éric Chédaille

Vue de Leadville dans le Colorado en 1879. La famille Ward ont tenter de s’y établir
à l’époque où la ville commençait à s’enrichir grâce aux métaux précieux extraits des dépôts de plomb.
À son apogée la ville comptait 30,000 habitants et abritait même une grande salle d’opéra
qui recevait des visiteurs tels Oscar Wilde et Sarah Bernhardt.

Inconnu à cette adresse

Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE

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Une brève de Florence Montségur

Un des romans les plus marquants que j’aie lus. Très court, une cinquantaine de pages à peine. Epistolaire.

Deux amis, amateurs d’art, correspondent et font affaire. Martin Schulse s’est établi à Munich tandis que Max Eisenstein est propriétaire d’une galerie de peinture à San Francisco. Nous sommes en 1932, 1933, 1934… Leur amitié peut-elle résister à la vague hitlérienne ?

Inoubliable.

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Kressmann Taylor
Inconnu à cette adresse

Titre original : Address Unknown
Première édition : Story, 1938
Édition française : Autrement, 1999
Existe aussi en J’ai Lu

Traduction : Michèle Lévy-Bram

Le livre des illusions

Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE

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Par Anne-Marie Debarbieux

Brillant universitaire estimé de tous, David Zimmer voit sa vie s’effondrer brutalement après la mort tragique de sa femme et de ses deux enfants dans un accident d’avion. Anéanti, il sombre, vit en reclus, et décourage toutes les tentatives de son entourage pour le sauver de l’abîme. Seuls lui restent quelques livres et en particulier l’entreprise d’une traduction des Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand, pour lequel il se passionne. Jusqu’au jour où la projection d’un vieux film muet d’Hector Mann, réalisateur jadis célèbre puis tombé dans l’oubli avec l’avènement du cinéma parlant, lui arrache un sourire et le ramène doucement à la vie. Dès lors, il se passionne pour Mann dont on a annoncé la mort quelque temps plus tôt, et il entreprend de lui consacrer un nouveau livre. Sa renaissance s’amorce alors doucement.

Mais Mann est-il réellement mort ?

Ce roman, quoique relativement long et complexe, m’a beaucoup plu. D’abord par la structure même qui superpose la vie d’Hector et celle de David. Par ailleurs parce que de nombreux thèmes jalonnent le récit : l’amour, la mort, le souvenir, le cinéma, le pouvoir de l’écriture, la vérité et l’illusion.

Ce roman ne se limite pas à évoquer la reconstruction d’un homme qui a perdu brutalement sa femme et ses enfants. L’intrigue – ou plutôt les intrigues se laissent appréhender progressivement, jouant sur deux modes d’expression, les images et les mots, le cinéma et la littérature.

Lecture un peu exigeante mais passionnante.

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Paul Auster
Le livre des illusions

Titre original : The Book of Illusions
Traduction : Christine Le Boeuf
Éditions Actes Sud
2002

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