Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTERATURE AMÉRICAINE
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Par Daniel Kunstler
La conquête de l’Ouest telle qu’elle figure dans les westerns hollywoodiens contient indéniablement des germes de véracité : un vaste territoire largement aride, un ordre social boiteux, le culte du cheval, une frontière mexicaine poreuse, la gâchette facile. Cependant, la synthèse de ces éléments au grand écran a le plus souvent déformé la réalité historique en faveur d’un tableau fallacieux. En outre, le personnage mythique du cowboy suggère une économie agraire alors que l’essor de la région délimitée par les Rocheuses et la côte du Pacifique doit autant à ses ressources minérales. La ruée vers l’or ne fut qu’un début.
Sans écarter les éléments constitutifs de l’imagerie populaire, Wallace Stegner nous rapproche de la vérité vécue de ceux et celles qui ont migré vers l’ouest après 1860. Son héroïne, Susan Ward, abandonne les salons de Manhattan et suit son mari, Oliver, ingénieur des mines qui résiste mal aux caprices des financiers siégeant à New York et Londres. Il se laisse malmener au point de soumettre sa famille au nomadisme à travers l’ouest américain. La poursuite d’une stabilité professionnelle et matérielle les conduit en Californie, au Colorado, au Mexique et dans l’Idaho. A chaque escale, la cupidité des patrons les confond. Susan, qui exerce à distance son métier de chroniqueuse pour des périodiques new-yorkais, se persuade qu’elle aime d’amour ce mari viril et attentionné, mais ne peut ensevelir sa rancune. Elle se sent plus d’atomes crochus avec Frank, le jeune collègue d’Oliver.
Le roman oscille entre le fil de l’histoire et les réflexions du narrateur, Lyman, petit-fils de Susan, historien à la retraite, grincheux, cynique, souffrant et confiné à domicile dans sa villa californienne. Il a pour mission de reconstruire la vie de sa grand-mère qui habitait jadis la même maison bien après les drames qui ont marqué son destin.

Angle d’équilibre est un monument, mais aux origines troubles. Le portrait de Susan s’appuie sur le vécu d’une personne réelle, Mary Hallock Foote (photo ci-contre), qui a laissé une correspondance abondante dont Stegner admirait les qualités littéraires. Avant de publier, il a reçu l’aval de la famille de Foote pour l’utilisation de ses écrits, donc pas de problème de droits d’auteur. Il n’empêche que Stegner reproduit des passages entiers sans attribution, tout en altérant les traits de celle qui les a rédigés. (Est-ce qu’il se serait permis de s’approprier ainsi la plume d’un homme ?) La renommée de Stegner s’en trouve ternie. Regrettable, car Stegner, grand écrivain méconnu en France, nous a légué un corpus d’œuvres magnifique, dont Angle d’équilibre fait partie intégrante.
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Wallace Stegner
Angle d’équilibre
Titre original : Angle of Repose, 1971
Prix Pulitzer 1972
Le texte français est disponible en poche aux éditions Gallmeister
Traduction : Éric Chédaille
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Vue de Leadville dans le Colorado en 1879. La famille Ward ont tenter de s’y établir
à l’époque où la ville commençait à s’enrichir grâce aux métaux précieux extraits des dépôts de plomb.
À son apogée la ville comptait 30,000 habitants et abritait même une grande salle d’opéra
qui recevait des visiteurs tels Oscar Wilde et Sarah Bernhardt.
















