Hors de l’abri

Hommage à David Lodge (1935-2015) – 4

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Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Catherine Chahnazarian

Timothy a cinq ans et une tenue spéciale pour les alertes à enfiler directement sur son pyjama. Car c’est le Blitz : l’aviation nazie pilonne la capitale anglaise. La tenue de Timothy est la même que celle de Churchill, alors il n’a pas peur ! Jusqu’à ce que…

Ce roman d’inspiration autobiographique commence donc en 1940 « dans l’abri ». Après la guerre, l’abri, ce sera le cocon familial, la vie sérieuse d’un enfant de famille catholique pas très riche qui subit l’interminable rationnement. Puis, à seize ans, Timothy a l’occasion de faire un voyage. Il part seul en Allemagne rejoindre sa grande sœur qui, comme la tante de David Lodge à l’époque, travaille pour les Américains. Qu’est-ce que l’Allemagne de 1951 ? Que penser des Allemands ? Et des Américains ? Inquiétudes, étonnements, questionnements, le jeune homme acquiert rapidement une maturité qui le transforme. Mêlé à un groupe d’adultes qui n’ont pas grand-chose en commun avec ses parents, il découvre et comprend bien des choses en apprenant à regarder ailleurs, autrement, à se décentrer.

Nous traversons donc un pan de l’Histoire de l’Angleterre et de l’Europe à travers les yeux d’un enfant devenant progressivement adolescent et découvrant la sexualité, comme le suggère la couverture du livre, mais pas que, loin s’en faut. La variété de ses personnages (de bons catholiques, d’anciens soldats, des jouisseurs, des enfants gâtés…) permet à l’auteur d’être à la fois dans la psychologie et la sociologie. De même que la variété des lieux. L’abri, la maison familiale, le lieu des vacances annuelles, les gares, le foyer où loge Timothy, les sites allemands visités sont autant de cadres où se joueront des événements prenants ou attachants, qui surviennent à l’échelle d’un enfant mais s’inscrivent dans un contexte dont l’auteur nous livre l’essence, en un court roman, avec habileté.

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David Lodge
Hors de l’abri
1970

Disponible uniquement en version numérique chez Payot & Rivages, dans la traduction d’Yvonne et Maurice Couturier.

Le Cauchemar

Hans Fallada, Le Cauchemar, Denoël, 2020

— Par Jacques Dupont

Pour les résistants à l’hitlérisme, 1945 aurait pu être l’an 0, celui de tous les espoirs. Or, en tant qu’Allemands, ils sont méprisés par les Alliés, et exclus de l’exercice du pouvoir en faveur d’ex-nazis – qui aux yeux des vainqueurs en ont l’expérience. L’après-guerre fut pour les opposants au nazisme un cauchemar continué. C’est le titre sans équivoque et le thème du dernier roman de Hans Fallada, écrit à chaud entre 1945 et 1946.

Largement autobiographique, le livre présente un couple, les Doll. Il est écrivain et a connu le succès. Elle est beaucoup plus jeune que lui. Le nazisme ne les a pas séduits.

Les Russes approchent de leur village de l’Est, et les Doll s’apprêtent à les recevoir en libérateurs. Ils leur démontreront, par leur seule existence et la qualité de leur accueil, que tous les Allemands n’étaient pas nazis, qu’il y en eut qui résistèrent, de bons Allemands, de braves gens.

Le ridicule de cet espoir ne tarde pas à leur sauter aux yeux. Au titre d’intellectuel, l’homme est étonnamment nommé maire de sa localité. A ce titre, il châtie d’anciens nazis, ce qui déplaira finalement à tout le monde. Le couple partira pour Berlin, ville dévastée, où ils possèdent un appartement qu’ils comptent bien récupérer. Bien sûr, cet appartement a été pillé, et il a été réquisitionné par le service de l’aide au logement.

Fallada, en introduction au Cauchemar indique qu’il imaginait pouvoir, à côté des défaites et du découragement, écrire aussi « des actes nobles et courageux », retrouver après-guerre la solidarité des nuits dans les abris antiaériens. Cela ne lui fut pas donné. Il s’en excuse : son roman – « un document humain » – est un « rapport médical » sur la bassesse, la férocité, l’humiliation mais surtout sur l’apathie qui s’est emparée de la « partie la plus décente du peuple allemand » entre avril 1945 et l’été suivant. Un écrit peu réjouissant, dit-il encore, mais nécessaire.

À Berlin, et de façon très métonymique, le couple des Doll sombrera dans la morphine, tentant d’échapper au réel. Hans Fallada (sa biographie d’écrivain et de journaliste est un roman) a connu l’hôpital psychiatrique, la désintoxication de l’alcool et de la morphine. Son addiction l’emportera en 1947.

Catégorie : Littérature étrangère (Allemagne). Traduction : Laurence Courtois.

Lien : chez l’éditeur.

L’ambition du bonheur

Katharina Fuchs, L’ambition du bonheur, JC Lattès, 2022

— Par Sylvaine Micheaux

Anna et Charlotte, les deux grands-mères de l’autrice, sont toutes deux nées en octobre 1899 et se rencontreront à la fin du récit lors du mariage de leurs enfants. Anna est née pauvre dans une famille nombreuse vivant dans une petite ferme de la forêt de la Sprée. Pour soutenir financièrement sa famille, elle entre très jeune en apprentissage chez une couturière. À la fin de la Première Guerre mondiale, elle part tenter sa chance à Berlin. Charlotte, elle, est la fille d’un gros propriétaire terrien, près de Leipzig, qui, avec un bon sens des affaires, s’agrandit rapidement. Fille unique, elle ne rêve que de diriger le domaine, et son père, lui, cherche un gendre qui pourra le faire.

On suit à tour de rôle les deux jeunes femmes dans la première moitié du vingtième siècle. La saga est addictive, le récit est fort et émouvant. Elles deviennent épouses et mères, doivent faire des choix décisifs et surtout affrontent deux guerres mondiales, qui modifient beaucoup le rôle des femmes dans la société. 

Le plus grand intérêt du roman est de passer de l’autre côté du miroir, car si on connaît plutôt bien l’Histoire de ces années du côté français, on découvre là ce qu’ont vécu les civils allemands, la peur, la faim, l’armistice de 1918 et la dette démesurée que les alliés font peser sur la nation allemande, la crise de 29, la montée du nazisme et la manière dont il va prendre la main sur la société allemande, jusqu’à la défaite avec l’armée russe qui fond sur Berlin.

Une histoire passionnante.

Catégorie : Littérature étrangère (Allemagne). Traduction : Céline Maurice.

Lien : chez l’éditeur.

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