Le Roman vrai d’Alexandre

Mini-cycle de Noël-Nouvel An
Catégorie : l’autobiographie
Domaine : le divertissement

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Biographies et autobiographies (France)
Par Marie-Hélène Moreau

     Alexandre Jardin est un auteur prolifique. Depuis son premier succès littéraire en 1986 avec Bille en tête, prix du premier roman, il a enchaîné les succès – Le zèbre et Fanfan, notamment – et imprimé son style fantasque dans le monde littéraire en mettant en scène des personnages romanesques dont il faisait son double. C’est également comme cela qu’il se présentait sur les plateaux télé. Un bon client, comme on dit, extraverti et drôle. 

     Tout ceci n’était que mensonge comme nous l’apprend le titre explicite de ce récit autobiographique. Cette fois, promis juré, il va dire la vérité. Terminés, les héros romanesques et les histoires folles, Alexandre Jardin est en réalité un homme triste, traumatisé par une famille dysfonctionnelle dont il a conjuré l’existence par l’écriture, en s’inventant une personnalité débridée bien loin de la sienne. Un grand-père collabo – déjà évoqué dans son livre Des gens très bien – à l’origine de la propension familiale au mensonge, un père dont la mort imminente lui sera cachée jusqu’à la fin, une mère dont la relation aux hommes affecta profondément la relation filiale, un frère suicidé – thème de son récent ouvrage Frères – et des ex-femmes castratrices, voilà la vraie vie d’Alexandre Jardin qu’il a tenté d’effacer à travers ses romans, dans lesquels son double est un être à la légèreté débridée. Voilà qui renouvelle singulièrement le genre linéaire de l’autobiographie !

     On n’est pas obligé de le croire, bien sûr. Ne continue-t-il d’ailleurs pas à parler de roman là où il est censé parler de sa vie ? On peut même penser que tout cela n’est qu’une de ses énièmes lubies, voire une façon pour un auteur en mal de lecteurs de ressusciter leur intérêt. Mais l’exercice autobiographique auquel il se livre ici, à défaut d’enthousiasmer, ne peut que susciter de la curiosité. Admiration pour les uns – il risque ici sa carrière, à tel point que son éditeur historique l’a lâché –, malaise pour les autres – ne se donne-t-il pas le beau rôle, notamment face à ses ex-femmes ? –, difficile de trancher. Le style est un peu pompeux – c’est sa marque qui, elle, n’a pas changé – et sans doute tout cela aurait-il tenu dans un livre plus court, mais l’exercice n’est pas dénué d’intérêt en ce qu’il interroge le rapport d’un auteur à son œuvre.

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Alexandre Jardin
Le Roman vrai d’Alexandre

Éditions L’Observatoire
2019

Lien : site officiel de l’auteur

Et moi, et moi, et moi

Mini-cycle de Noël-Nouvel An
Catégorie : l’autobiographie
Domaine : le divertissement

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Biographies et autobiographies (France)
Par Anne-Marie Debarbieux

Dans cette autobiographie rédigée avec brio et humour à 80 ans, Dutronc retrace les étapes d’une carrière brillante à la fois dans la chanson et le cinéma. Il évoque de multiples rencontres avec de nombreuses personnalités qui ont émaillé sa carrière artistique et sa vie personnelle. Il nous livre mainte anecdote qui nous amuse, nous émeut ou nous fait rêver. Il fait revivre toute une époque.

C’est enlevé, écrit dans un style alerte, rempli d’anecdotes amusantes ou émouvantes. On se laisse prendre bien volontiers au ballet des concerts, des tournages, des projets ou des frasques qui ont jalonné une vie d’artiste assez inclassable. Et l’évocation des grands noms d’artistes qu’il a côtoyés ou avec lesquels il a travaillé nous fascine et fait revivre des chansons maintes fois écoutées, des films parfois vus et revus, des personnalités que nous aurions aimé rencontrer.

Dilettante, désinvolte, provocateur, c’est l’image que Dutronc donne souvent de lui, l’image qu’il cultive tout en la nuançant. Car ce dilettante qui  décrète que « travailler, d’accord, mais encore faut-il en avoir le temps », qui raconte ses frasques avec une certaine complaisance amusée, dit aussi que ceux qui le réduisent à un type cool et déconneur se trompent. Car il se définit aussi comme pudique, parfois timide et n’aimant pas inquiéter ses amis. Ce bavard aime aussi le silence, cet homme de scène aime la solitude, ce parisien n’aime rien autant que son refuge en Corse avec ses chats. Et ce dilettante a sans doute travaillé bien plus qu’il ne le laisse croire.

Sans être une inconditionnelle de Dutronc que je considère comme un artiste brillant mais qui n’atteint pas cependant le niveau des plus grands dont il a parfois été très proche, j’ai pris plaisir à cette lecture. Je regrette seulement que les allusions à Françoise Hardy soient assez peu nombreuses. Dutronc le souligne lui-même d’ailleurs mais sans s’en expliquer. Ce qui conforte l’idée de pans de vie soigneusement préservés. 

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Jacques Dutronc
Et moi, et moi, et moi
Éditions du Cherche Midi
2023

Initiales B.B.

Mini-cycle de Noël-Nouvel An
Catégorie : l’autobiographie
Domaine : le divertissement

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Biographies et autobiographies (France)
Par Catherine Chahnazarian

Brigitte Bardot n’est pas qu’une femme libre, féministe avant l’heure. Est-elle d’ailleurs cette femme-là ? Fragile, ne supportant pas la solitude, sans cesse à la recherche de piliers pour la soutenir, l’image de la femme libre en prendrait un coup si Brigitte n’avait pas en même temps une obstination à faire ce qui lui plaît, moyennement attachée aux convenances. Après la guerre, elle veut vivre ! C’est pourquoi elle se sent libre de tomber et retomber amoureuse et de se laisser aller à ses pulsions… Une coureuse ? Certainement pas. Une infidèle ? Dans le milieu bourgeois qui l’a vue naître, sans doute ; dans le milieu du cinéma, quelle importance ? La morale n’a pas grand-chose à voir dans tout ça, il s’agit simplement d’être soi. Égocentrisme peut-être, mais spontanéité naïve aussi, une candeur qui la rend superstitieuse et la maintient longtemps dans une timidité étonnante : on l’imagine toujours sûre d’elle, s’affirmant, faisant des choix réfléchis, alors que bien des situations la trouvent perdue voire paniquée, incertaine de ce qu’elle vit, de ce qu’il faut faire. Elle est tantôt un chaton pris dans des phares au milieu d’une route, tantôt une lionne dont, même comme lecteur, on peut se sentir agressé. Sa manière de raconter, cash, brutale parfois, citant des noms sans souci de froisser ou de s’attirer un procès, est encore bien elle, simplement elle – non sans limite pourtant, non sans éthique, et non sans humour !

Brigitte paraît monolithique et sa dureté même est touchante : l’expérience semble avoir peu amorti les chocs, relativisé les conflits, apaisé les tensions, adouci les opinions. Cet être complexe, fragile et déterminé à la fois, on ne peut (commencer à) le comprendre qu’en se souvenant que c’est enfant qu’elle a traversé la Seconde Guerre mondiale, et en tant que jeune femme qu’elle a vécu la Guerre d’Algérie ; qu’en sachant que ses parents se sont montrés d’une dureté incroyable ; qu’en considérant sérieusement cette renommée inouïe qui a fait d’elle la première artiste française à vivre l’enfer d’être attendue au bas de chez elle, poursuivie dans la rue, etc. Ce harcèlement, qui nous semble aujourd’hui presque normal tant il est généralisé, est décrit dans Initiales B.B. de l’intérieur, par une femme qui, à 30 ans à peine, avait à peu de choses près sa carrière derrière elle.

Souvenirs, anecdotes, opinions — sur son enfance, ses débuts, le cinéma, ses voyages, ses parents, ses amis, ses amants, des acteurs, les animaux… Et quelques photos.

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Brigitte Bardot
Initiales B.B.
Éditions Grasset
1996, réédité en 2020

Soit dit en passant

Woody Allen, Soit dit en passant, Stock, 2020

Par François Lechat.

J’ai acheté l’autobiographie de Woody Allen parce que j’aime ses films et que j’adore son personnage cinématographique, qui m’a toujours fait rire. Mais je l’ai aussi achetée dans un souci de réparation morale. Car Woody Allen fait l’objet d’une telle campagne de dénigrement, aux États-Unis, qu’il a failli ne pas trouver d’éditeur, et cette difficulté s’est répétée en France. Or personne ne devrait jamais être privé de son droit d’expression, d’autant que nul n’est forcé d’acheter ou de lire un livre.

Bien entendu, Soit dit en passant revient longuement sur les accusations d’inceste et de viol lancées par Mia Farrow contre Woody Allen. Au terme de ces pages, qui sont d’une grande précision et d’un calme olympien, le doute ne paraît plus permis : comme l’a établi la justice à maintes reprises, ces accusations sont dénuées de fondement. Cela n’oblige personne à approuver la relation d’amour entre Allen et sa très jeune fille adoptive, Soon-Yi. Mais le tableau dressé ici du comportement de Mia Farrow et de l’attitude de certains juges fait froid dans le dos. Et la manière dont Woody Allen y revient en fin d’ouvrage est admirable de nuance et de placidité.

Pour le reste, cette autobiographie est assez conforme à ce que l’on pouvait attendre. Un tableau amusé et haut en couleur d’une famille juive, une enfance et une jeunesse lunaires, un succès progressif et, en permanence, de l’humour et de l’auto-flagellation, apparemment sincère. Woody Allen ne se prend jamais pour un génie, trop convaincu que son œuvre est modeste à côté de celle de ses idoles. Du coup, ses Mémoires constituent, à côté d’anecdotes sur ses sketches et sur ses films, un exercice de célébration du talent d’autrui. C’est sympathique mais parfois lassant, car la plupart des noms évoqués sont inconnus en dehors des États-Unis. Il n’empêche : si Woody Allen s’adresse à ses fans et ne prétend pas créer de suspense, il fait souvent sourire et parfois réfléchir. Et l’on admire son sens de la formule ainsi que le talent, remarquable, de ses traducteurs.

Catégorie : Biographies et autobiographies (U.S.A.). Traduction : Marc Amfreville et Antoine Cazé.

Liens : chez l’éditeur.

Chronique d’hiver

Paul Auster, Chronique d’hiver, Actes Sud, 2013

Par Brigitte Niquet.

Un conseil d’abord : ne lisez pas la 4e de couverture, Actes Sud se faisant apparemment une spécialité de phrases aussi absconses que « le savant puzzle où se déconstruit toute représentation univoque du moi afin que se produise, sous le signe d’une humanité partagée, la plus loyale des rencontres. » Si malgré tout vous achetez le livre, c’est que vous avez une vocation de kamikaze ou un vieux fond de masochisme, à moins que vous snobiez les 4e de couverture, que le seul nom de Paul Auster vous inocule la fièvre acheteuse, que la photo du beau jeune homme ténébreux en couverture vous ait instantanément séduit(e) ou que cet article vous y ait incité(e)… Et comme vous avez eu raison ! Un bémol cependant : le beau jeune homme ténébreux, lorsqu’il écrit ces lignes, est déjà largement sexagénaire et l’objet de ce livre, c’est justement le regard rétrospectif qu’il porte sur sa vie au moment où il entre dans son « hiver ».

Des autobiographies de gens célèbres, il y en a eu beaucoup, plus ou moins talentueuses. Pourtant, celle-ci ne ressemble à aucune autre, ne serait-ce que parce que l’auteur se déconnecte en quelque sorte de celui qu’il fut, l’éloigne de lui comme s’il s’agissait d’un autre en employant constamment pour le désigner ou pour s’adresser à lui le pronom « tu ».  Cet artifice d’écriture, auquel on s’habitue très vite et qui ne semble jamais factice, contribue grandement à la réussite de Chronique d’hiver, sans parler de ce magnifique sens de la phrase, ample, soutenue, limpide pourtant, qui roule comme une vague emportant dans ses flots le lecteur submergé. Nos romanciers amateurs de style haché et de phrases de trois mots devraient en prendre de la graine.

Quant au contenu, on partage d’emblée le sentiment d’urgence qui a poussé Auster à écrire ce livre : « Parle tout de suite avant qu’il ne soit trop tard, et puis espère pouvoir continuer à parler jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à dire. Il ne reste plus beaucoup de temps finalement ».  Non, il ne reste plus beaucoup de temps, tous ceux qui vieillissent le savent sans souvent oser se le dire et apprécieront sans doute que d’autres osent, et avec quelle lucidité, et avec quel talent.

Pour le reste, bien que la vie de Paul Auster n’ait rien eu d’extraordinaire stricto sensu (c’est peut-être pour cela qu’il nous semble si proche et qu’en parlant de lui, on a le sentiment qu’il parle aussi de nous), c’est un régal de le suivre et de faire avec lui l’inventaire de ses « cicatrices », physiques et morales, les unes recouvrant parfois les autres.

Les dernières phrases, déchirantes, vous cueillent de plein fouet :

Une porte s’est refermée. Une autre porte s’est ouverte.
Tu es entré dans l’hiver de ta vie.

Catégorie : Biographies et autobiographies (U.S.A.). Traduction : Pierre Furlan.

Liens : chez l’éditeur.

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