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Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux
Vingt ans après l’accident de moto qui a coûté la vie à son mari et l’a laissée veuve avec leur jeune fils, dans la maison dont elle rêvait et qu’ils venaient à peine d’acquérir, Brigitte Giraud tente, avant de quitter cette même maison, de cerner les enchaînements de circonstances qui sont à l’origine du drame. En de courts chapitres, elle revient sur le passé et sur les choix de vie, importants (en particulier le choix de l’acquisition de cette maison-là) ou anodins, qui ont peut-être contribué à provoquer à son insu les circonstances du drame.
L’autrice n’a pas la prétention d’apporter une réponse à la question philosophique de la liberté et du déterminisme, elle a seulement besoin d’admettre l’inacceptable et de mettre un semblant de cohérence sur la douleur qu’engendre la mort prématurée d’un proche jeune et en bonne santé. Cela ne mène évidemment qu’aux regrets et au risque de stériles sentiments de culpabilité : « Je n’y suis objectivement pour rien, mais si à tel moment, j’avais pris, nous avions pris une autre décision » ? Qui ne s’est jamais dit « si j’avais su » ? Qui pourrait se résigner aux faits et parviendrait à se considérer comme dédouané de toute responsabilité devant le destin absurde ? La douleur n’est jamais rationnelle.
Ce livre ne méritait peut-être pas la prestigieuse récompense du Goncourt, mais pour autant il ne mérite pas non plus certains jugements sévères dont il a fait l’objet. Le récit de vie, aujourd’hui très répandu, est un art délicat car il doit, tout en restant intime et personnel, avoir une certaine prétention à l’universel ainsi qu’une réelle qualité d’écriture s’il a prétention à entrer dans la littérature. Partage de soi mais en quête de la rencontre de l’autre, le lecteur inconnu. A cet égard, ce livre me semble effectivement un peu inégal : certains chapitres sont très émouvants, et ils sont les plus nombreux, d’autres sans véritable intérêt pour le lecteur (des considérations techniques sur la fabrication du modèle de moto par exemple), mais il exprime surtout très bien l’expérience très humaine de la douleur confrontée à l’absurde. On peut donc ne voir dans ce récit que l’étalage d’une vie qui n’est pas la nôtre mais c’est là un jugement sévère. Ce livre semble écrit à la fois dans la révolte et l’apaisement et il mérite notre intérêt. Il m’a évoqué les livres plus anciens d’Anny Duperey, Le voile noir et Je vous écris.
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Brigitte Giraud
Vivre vite
Éditions Flammarion
2022