Quelque chose à te dire

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Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux

Elsa Feuillet, qui commence à se faire un petit nom en littérature, a placé en exergue du livre qu’elle vient de publier, une citation de la grande écrivaine trop tôt disparue, Béatrice Blandy, qu’elle admire particulièrement. Cette marque de reconnaissance envers celle qui fut en quelque sorte sa muse lui vaut d’être contactée par le mari de la défunte qui, très touché par cette marque d’attention, souhaite la rencontrer.

Si elle est flattée de cet intérêt, Elsa y voit aussi une occasion extraordinaire d’approcher un peu l’univers de la grande dame qu’était à ses yeux Béatrice Blandy. Elle accepte donc le rendez-vous avec un mélange d’enthousiasme, de curiosité et d’appréhension.

Mais que cherche-t-elle exactement ? Et que cherche exactement l’homme qui l’invite à entrer dans l’intimité de la grande dame et dans un monde tellement différent du sien ? Il paraît rapidement évident qu’il poursuit un but précis.

Le roman prend alors un tour de thriller littéraire plutôt prometteur. Le lecteur ne démêle pas immédiatement tous les fils d’une situation qui demeure incertaine voire troublante, mais il voit quand même assez rapidement quels peuvent en être les enjeux.

Ce livre se lit donc agréablement, les thèmes sont intéressants, il nous fait entrer dans le monde de la création littéraire, dans celui de l’édition, mais il reste un peu à la surface des choses.

Ce roman intéressant manque un peu de densité.

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Carole Fives
Quelque chose à te dire
Éditions Gallimard
2024

Disponible en Folio

Nos autres critiques de Carole Fives : Tenir jusqu’à l’aube, Une femme au téléphone, Le jour et l’heure.

Le jour et l’heure

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Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux

Edith a toujours été de ceux qui veulent tout contrôler. Même la fin de sa propre vie quand elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable pour laquelle aucun traitement ne peut plus lui être proposé.

Quand les quatre enfants montent à l’arrière de la voiture familiale avec leurs parents à l’avant, on pourrait croire à un joyeux départ en vacances. Sauf qu’ils sont adultes, qu’ils laissent conjoints et enfants pour répondre à l’injonction de leur mère de se rendre avec elle à Bâle où elle a décidé de mettre un terme à sa vie. Elle a prévu un programme qu’elle souhaite avant tout dénué de tristesse et de pathos. Est-ce si facile ? Est-ce un suprême panache, un suprême défi ? Une suprême preuve d’amour ? Ou une dernière emprise sur les siens ? Ou un peu de tout cela ?

L’objectif de ce petit roman très prenant n’est pas d’entrer dans le débat de la légitimité du choix de décider de programmer le jour de son « départ » lorsqu’on a épuisé toutes les ressources de la médecine. L’objectif est de s’interroger sur la manière dont les proches peuvent vivre cette situation. Une chose est d’en admettre intellectuellement le principe, autre chose est de la vivre le moment venu. Utilisant le procédé des voix alternées, en de très courts chapitres, Carole Fives explore les pensées de chaque personnage qui, en fonction de sa propre sensibilité, de sa propre histoire, de son propre rapport à la mort, va vivre ce moment ultime. On n’est jamais préparé à la mort de ses proches, mais encore moins dans les conditions imposées par Edith. Chacun relit sa vie et cherche à affronter le mieux possible une situation particulièrement douloureuse.

En les entraînant dans ce voyage sans retour pour elle, Edith a-t-elle fait un ultime cadeau à ses proches ? À chacun sa réponse…

Carole Fives prouve ici encore son grand talent pour exprimer l’ambiguïté des relations familiales.

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Carole Fives
Le jour et l’heure

Éditions JC Lattès
2023

Une femme au téléphone

Carole Fives, Une femme au téléphone, Gallimard (L’arbalète), 2017

Par Anne-Marie Debarbieux.

On connait depuis des siècles les romans épistolaires et il en est de splendides, ces dernières années quelques écrivains se sont risqués aux romans par e-mails, mais je n’avais encore jamais lu de roman entièrement présenté sous forme d’entretiens téléphoniques, encore que le terme « entretien » soit ici inexact, puisque seule parle une mère qui s’adresse à sa fille sans qu’il y ait d’échange. On imagine qu’elle laisse des messages sur un répondeur, ou qu’elle inonde son interlocutrice d’un flot de paroles que celle-ci ne parvient pas ou se refuse à interrompre. C’est donc une conversation tronquée que nous présente Carole Fives dans un roman bref où une fille « ne peut pas en placer une » ou choisit de ne pas répondre aux déluges verbaux de sa mère.

Nombreux sont les lecteurs qui trouvent ce livre drôle. Certes il l’est, car les propos décousus, les sujets qui passent du coq à l’âne, les délires de la parole que l’on n’endigue plus et qui oscille constamment entre l’affection et les reproches, sont savoureux et souvent amusants. Cependant je trouve ce livre tragique plus que comique et s’il m’a fait rire, ce n’est pas d’un rire franc et libérateur. Une mère, certes vieillissante, malade, un peu seule, un peu perdue, parle à sa fille. Sujets sérieux ou anodins, confidences parfois impudiques, petites joies ou grands désespoirs, petits tracas ou inquiétudes fondamentales, tout y passe. Sauf que cette mère-là, on ne voudrait surtout pas l’avoir comme mère ni devenir une mère comme elle ! Elle a des excuses, on peut comprendre son désarroi, peut-être l’âge et la maladie altèrent-t-ils sa lucidité et sa relation aux autres, elle est parfois touchante quand elle s’excuse presque d’être encore là, on peut aussi penser que la fille, interlocutrice silencieuse dont on ne connaît que ce qu’en dit sa mère, n’est peut-être pas non plus une fille idéale, si tant est que ce concept ait un sens. Il n’en demeure pas moins qu’on a du mal à croire que la portée de certains propos ne soit pas consciente et intentionnellement méchante (“Il faut vraiment que ça soit pour toi qu’on mette France Culture ! Tu stresses parce que tu passes à la radio ? Mais il n’y a pas de quoi. Tu te fais un monde avec ça alors que personne n’écoute. C’est pas RTL tout de même”).

Ce petit livre est remarquable. Mais pour moi, il est plus pathétique que drôle.

« C’est MOI la mère, tu n’es que la fille » (p. 41). Un petit « que » restrictif qui en dit long…

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur. Voir aussi Tenir jusqu’à l’aube, de la même auteure.

Tenir jusqu’à l’aube

Carole Fives, Tenir jusqu’à l’aube, Gallimard, 2018

Par Brigitte Niquet.

Je fulmine assez contre les « mauvais » titres pour applaudir à celui-ci, dans la droite ligne de Que nos vies soient un film parfait, précédent opus du même auteur. Deux titres juste assez allusifs pour éveiller des échos dans nos mémoires et nous obliger à retrouver le sentiment qui… l’émotion que… Ah oui, le film parfait, c’était dans une chanson de Lio, et l’autre, c’est dans La chèvre de Monsieur Seguin, la brave petite chèvre qui se battit toute la nuit contre le loup et s’efforça, dans un baroud d’honneur, de « tenir jusqu’à l’aube »… En commençant le livre, on a déjà la larme à l’œil et on caresse le fol espoir qu’elle s’en tire, cette fois, la Blanquette. Sait-on jamais…

La Blanquette ici s’appelle « Elle », on ne connaîtra pas son prénom, sans doute pour que son anonymat la rende plus représentative de toutes les « mamans solo » et du drame permanent que beaucoup vivent en essayant de satisfaire un petit loup de deux ans et demi qui n’en a jamais assez de câlins, de caresses, d’histoires racontées et se conduit avec sa mère en tyran démoniaque. Mais la nuit, au moins, il dort, diront les bonnes âmes. Non, il ne dort pas, le monstre, jamais plus de deux ou trois heures à la fois et si Maman n’accourt pas au premier appel, il se met à hurler, les voisins se fâchent, il hurle de plus belle, c’est un cycle infernal. Alors elle se précipite, berce, lit des histoires, chante des chansons… et attend l’aube. Jusqu’à quand tiendra-t-elle sans y laisser sa santé, minée par le manque de sommeil, son équilibre psychique, compromis par un obsédant sentiment de culpabilité, son travail, qui est sa seule et maigre source de revenus, ou sans se mettre à frapper aveuglément ce gamin qu’elle adore ?

Peut-on faire tout un livre avec « ça » et rien que « ça » (à quoi s’ajoutent en filigrane l’absence du père et ses promesses de visites non tenues) ? C’est une question qu’on pourrait se poser au départ mais qui n’a plus d’objet au bout de quelques pages. Oui, on peut quand on s’appelle Carole Fives et qu’on a autant de cœur que de talent. Et on peut « scotcher » le lecteur comme avec un thriller. D’ailleurs, c’en est un, mais feutré, intimiste, ce sont les pires. Et qu’advient-il de la Blanquette ? Ah ! Il faut lire pour le savoir. On ne révèle pas la fin des thrillers.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur.

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