Le journal d’un prisonnier

Mini-série Best-sellers
Essais, Histoire…
Par Catherine Chahnazarian

Quand j’ai ouvert ce blog avec des amis, j’ai établi quelques règles. Notamment, nos articles ne dépasseraient pas 2.500 signes, espaces compris, et on éviterait de polémiquer sur des sujets glissants. À la lecture du Journal d’un prisonnier, j’avais trop à dire pour rester dans le volume imparti et trop de remarques sur la forme et sur le fond, sur la personnalité de l’auteur, sur l’effarement de devoir reconnaître que c’était le même qui avait dirigé la France. Je ne m’en sortais pas dans ma critique du livre, alors j’ai abandonné. Pas le livre, que j’ai lu jusqu’au bout, mais d’en faire une critique précise. Je me suis dit : restons modeste et prudente. Disons simplement que peut-être que son électorat féminin tombe à genoux devant le récit de son malheur ; peut-être que son camp politique n’a pas honte de ses fréquentations ; que ses avocats ne sont pas gênés de sa défense simpliste ; que ses psychiatres ne sont pas inquiets de tout cet amour qu’il voit partout, lui le « symbole » de la droite qui n’a « de compte à régler avec personne » bien que son livre évoque Règlements de comptes à O.K. Corral… Houla, ça y est, ma phrase s’allonge, je m’emballe. Disons simplement : peut-être.

*

Nicolas Sarkozy
Le journal d’un prisonnier
2025

L’Étranger

Mini-série Best-sellers
Littérature française

Par Anne-Marie Debarbieux

J’aime beaucoup les œuvres de Camus, même si L’Étranger n’est pas celle à laquelle je suis la plus sensible. Et j’aime beaucoup le cinéma de François Ozon. Mais adapter sans la trahir et sans la simplifier une œuvre aussi particulière et aussi complexe me paraissait un défi quasi impossible !

Pourtant, j’ai été conquise par le film d’Ozon qui propose un Meursault, incarné par Benjamin Voisin, que Camus n’aurait pas renié. Le choix du noir et blanc m’a paru excellent car conforme au cinéma de l’époque et apportant une sorte d’uniformité qui sert bien le personnage. Et le film restitue parfaitement la vie grouillante d’Alger, comme les paysages austères de la campagne accablée de soleil, ou encore la plage et les bords de mer animés ou quasi déserts.

Meursault… Comment « habiter » un personnage que caractérise son indifférence au monde, son insensibilité apparente à la mort de sa mère, son indifférence devant la brutalité de son voisin à l’égard de son chien, ou celle d’un autre voisin à l’égard de sa compagne, son absence d’émotion devant une femme qui l’aime, son geste incompréhensible de tirer sur un homme qui ne le menaçait pas ? Condamné à mort par la justice des hommes, Meursault ne s’agace que devant l’insistance du prêtre qui veut absolument lui imposer de donner un sens à ce qui, à ses yeux, n’en a pas. Cela nécessite un jeu très épuré et à la fois expressif de la part de l’acteur, et Benjamin Voisin y excelle.

À la sortie du cinéma, une spectatrice devant moi disait à sa voisine avoir beaucoup aimé le film mais ne pas comprendre pourquoi il s’appelait « L’Étranger ». J’ai préféré voir dans cette remarque une preuve supplémentaire de la complexité de la restitution de Meursault que propose Ozon. Meursault ne se sent pas étrange, il se sent étranger, indifférent à tout, pas seulement aux conventions sociales. Cela me semble très bien restitué dans le film qui alterne les vues de la ville animée, que Camus connaissait bien, et la solitude absolue du personnage, qui n’est ni bon, ni méchant, qui ne cherche rien, n’attend rien, n’est ni heureux ni malheureux parce que cela n’a pas de sens.

La sortie du film a fait remonter le livre parmi les meilleures ventes et l’a remis au programme de nombreuses classes de français. Rappelons qu’au-delà d’un procédé aujourd’hui banalisé consistant à écrire à la première personne et au passé composé, Camus a osé une écriture moderne, plate et directe par rapport aux canons de l’époque, factuelle, afin de rendre l’indifférence du personnage. L’Étranger est une œuvre majeure de la littérature du XXe siècle.

*

Albert Camus
L’Étranger
Gallimard
1942

Liens : la Blanche de Gallimard ; l’édition Folio ; un précédent article d’Anne-Marie Debarbieux sur Albert Camus.

Les morts ont la parole

Mini-série Best-sellers
Littérature francophone (Belgique)
Par François Lechat

Depuis la parution de ce premier recueil de souvenirs d’un médecin légiste, Philippe Boxho est devenu un phénomène d’édition. Il a même figuré dans le top 10 des livres de « non-fiction » avec trois titres simultanément ! Comme si rien n’était plus délectable que de lire des histoires de morts violentes, de suicides plus ou moins manqués, de crimes soi-disant parfaits, d’analyses et de dissections…

Le thème, bien entendu, est accrocheur, et j’ai lu le premier Boxho avec un certain plaisir. On apprend forcément une foule de choses, il y a des anecdotes sidérantes, et pas de mauvaise graisse : l’auteur va droit au but (si l’on excepte quelques réflexions vaguement philosophiques qui tiennent en une phrase parfaitement banale). C’est divertissant, et instructif sans être exagérément truffé de termes techniques. Et Philippe Boxho, qui vit et travaille à Liège, en Belgique, prend bien soin de ménager son lectorat franco-belge en précisant ce qui distingue les deux pays dans le domaine de la médecine légale.

Pour autant, il faut dire que ce professionnel bardé de titres d’excellence (professeur d’université, membre de l’Académie royale de médecine…) écrit avec une platitude déconcertante. C’est sans doute voulu, pour créer un courant de sympathie malgré la noirceur du sujet, et cela marche. Mais, ajoutée à de petites fautes de langue, à des procédés répétitifs et à des maladresses, cette platitude situe le premier livre de Boxho au degré zéro de la littérature : en comparaison, Freida McFadden fait figure de styliste ! Pour autant, ne boudez pas votre plaisir si le thème vous intéresse.

*

Philippe Boxho
Les morts ont la parole

Kennes Editions
2022

Existe aussi en Livre de poche

Titres parus à ce jour : Les morts ont la parole (2022), Entretien avec un cadavre (2023), La mort en face (2024), La mort c’est ma vie (2025).

Le Cercle des jours


Mini-série Best-sellers
Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Pierre Chahnazarian

Ken Follett veut nous décrire les sociétés humaines à l’époque de la construction du cercle de pierres géantes de Stonehedge, 2.500 ans avant notre ère. Les éleveurs y côtoient avec plus ou moins d’harmonie et de contacts les agriculteurs, dirigés par un despote, et les hommes des bois, qui fichaient la paix à tout le monde. Mais les mineurs, un petit groupe d’ « ingénieux »…

La grande prêtresse veut achever le monument de pierres, les ingénieux pensent trouver la solution pour le transport, mais une grande sécheresse et l’appétit de certains vont déclencher des guerres. Bref, les méchants sont très mauvais, les bons sont très bons, et ceux-ci vont s’unir pour qu’enfin on puisse dignement fêter solstices et équinoxes !

Voilà, ça ne vole pas très haut, ça ne doit pas tellement plaire aux anthropologues, mais ça délasse.

*
Ken Follett
Le Cercle des jours

Robert Laffont
2025

Terre des Hommes

Mini-série Best-Sellers
Redécouvertes
Littérature française
Par Catherine Chahnazarian

Récemment réédité avec des illustrations de Riad Sattouf, le livre ne figure pas par hasard parmi les meilleures ventes. La force de persuasion de Gallimard est toujours impressionnante mais Saint-Exupéry reste un auteur mythique et Terre des Hommes un des livres les plus célèbres de la littérature française.

Franchement, j’adore cette édition. Les dessins sont merveilleux, évoquent Saint-Ex sans l’imiter, illustrent avec justesse et émotion les récits du célèbre aviateur. Car, pour ceux qui ne connaîtraient pas Terre des Hommes, ce sont des témoignages que nous livre là un casse-cou des débuts de l’aviation, du temps où, sur son siège, le pilote était à l’air libre, emmitouflé comme il le pouvait contre le froid, la pluie, la neige, avec une casquette et des lunettes pour couper le vent. Il n’y avait pas de radars et d’instruments de navigation comme aujourd’hui, on repérait les routes en mémorisant les vallées et les montagnes et, la nuit, on se fiait aux étoiles. Entre pilotes, on se passait les bons tuyaux et, lorsque l’un d’eux ne rentrait pas, on partait à sa recherche sans moyens.

La langue de Saint-Exupéry n’est évidemment plus tout à fait la même que la nôtre. Elle est plus savante et l’auteur a du goût pour les formes littéraires, cela peut peut-être déconcerter les jeunes, mais accrochez-vous, cela en vaut la peine. Notamment pour les aventures de Guillaumet…

Voilà un beau cadeau à offrir pour Noël !

*

Antoine de Saint-Exupéry
Terre des Hommes

Gallimard
1939-2025

La femme de ménage

Mini-série Best-sellers
Littérature américaine
Par Daniel Kunstler

À la lecture d’un polar ou d’un mystère, je ne m’attends normalement pas à y découvrir de grandes qualités littéraires, comme si le prix de la détente imposait leur abandon. Mais en y réfléchissant, bon nombre d’auteurs de romans policiers ont la plume pointue et évocatrice. Izzo, Kate Atkinson, Simenon, Grisham, John Le Carré, Stieg Larsson, et j’en passe. Malheureusement, si ce livre est emblématique de ses autres romans, Freida McFadden ne figure pas parmi eux. 

Comme pure distraction, La Femme de ménage est efficace. En lisant, on a effectivement envie de connaître la suite ; cela doit compter pour quelque chose. Mais à vrai dire, si un long trajet en avion n’avait pas prétexté une lecture sans effort, j’aurais eu l’impression d’avoir perdu mon temps.

Le livre nous présente quatre personnages principaux. Millie Calloway est une reprise de justice en liberté conditionnelle. Son casier judiciaire la prive d’emploi, jusqu’à ce que la maîtresse de maison d’une vaste villa de la banlieue new-yorkaise, Nina Winchester, l’engage comme bonne à tout faire. Nina est volatile, oscillant entre la bienveillance et la cruauté. Andrew, le mari, exhibe une affection ostentatoire, et donc suspecte, pour son épouse. Enfin, il y a le jardinier, Enzo qui feint ne pas parler anglais, mais prévient Millie du grand danger qu’elle court… en italien. L’indice du péril n’est autre que la chambre de bonne, un espace étriqué dans le grenier qui contraste avec les pièces somptueuses de la demeure, et qui servira de salle de torture. Je ne dirai pas plus sur le fil du récit.  

Outre des protagonistes découpés dans du carton, particulièrement fastidieuse est l’insistance maintes fois répétée sur la beauté du mari, ses biceps, son athlétisme sexuel, et même ses costumes avec cravates assorties. Le jardinier aussi est beau et fort, bien entendu, et fait baver les voisines. Le recours obstiné à ce même refrain, c’est vraiment agaçant. (J’ai lu La Femme de ménage en VO; il se peut que la traduction française laisse une autre impression.) Ceci dit, la structure du récit a son côté astucieux dans l’alternance du narrateur, Nina prenant le relais de Millie.

Je n’aime pas critiquer des auteurs, conscient du travail requis pour produire un roman. Et je n’irai pas jusqu’à recommander qu’on évite nécessairement celui-ci, car il est indéniablement distrayant. Mais en même temps je pense qu’il y a moyen de mieux réconcilier la distraction propre au genre policier et une plus ample valeur littéraire. D’autres y ont réussi.

*

Freida McFadden
La femme de ménage

City Éditions
2023

Disponible en J’ai lu

Le mensonge suffit

Littérature française
Par Florence Montségur

Voilà un petit livre divertissant qui mélange différents ingrédients. Le plus inattendu, ce sont les parodies de vieilles publicités américaines, graphiquement très réussies. Le moins inattendu, c’est l’annonce d’un futur totalitaire dans lequel tous nos comportements sont enregistrés et évalués – comme en Chine déjà aujourd’hui. Le plus actuel, c’est le rôle de l’intelligence artificielle : ici un robot humanoïde qui interroge un citoyen ordinaire et l’accuse de meurtre. Et comme ce pauvre homme, évidemment, nie et se défend, il perd son calme, il sort des phrases politiquement incorrectes, et il aggrave son cas, ce qui crée un réel suspense quant au sort qui lui sera réservé.

Le même auteur a déjà produit deux autres livres dans la même veine : le cauchemar technologique qui nous attend. Le style reste léger, il ne prétend pas être profond. Et c’est bien comme ça.

*

Christopher Bouix
Le mensonge suffit

Au Diable Vauvert
2025

Yapou, bétail humain

Littérature étrangère (Japon)
Par François Lechat

Dans une vie de grand lecteur, on croise quelques livres hors normes, des livres dont on n’aurait jamais cru que quelqu’un puisse en avoir l’idée. Yapou, bétail humain est de ceux-là, à l’égal des 120 journées de Sodome pour le scandale mais avec un raffinement intellectuel bien supérieur.

Au 40e siècle de notre ère, les humains ont fondé l’Empire EHS, qui régit la Terre et d’autres planètes. Les rapports entre les hommes et les femmes y sont inversés : les femmes ont tous les privilèges, les hommes sont en position subalterne, s’habillant et se maquillant comme des poupées. Mais d’autres rapports de caste régissent l’Empire : la plèbe est misérable, les « nègres » sont tous des serviteurs obéissants et, surtout, bien en dessous d’eux, on trouve les Yapous, qui forment littéralement un bétail humain.

Comme leur nom le suggère, ces Yapous sont des descendants de Japonais que la science et un dressage méticuleux ont transformé en « meubles viandeux » de toute nature : leur corps a été remodelé, compressé, charcuté, et leur cerveau endoctriné, pour qu’ils rendent tous les services possibles et imaginables à l’aristocratie d’EHS. Les plus spectaculaires sont les setteens, des WC humains dont la forme est parfaite pour se soulager en toute facilité et qui se nourrissent du type de boisson et de nourriture que je vous laisse imaginer. Mais on en trouve des centaines d’autres, que l’auteur décrit avec un luxe de détails : des jouets sexuels, évidemment, ou encore des paires de ski viandeuses, dont on dirige la trajectoire d’un simple mouvement de l’orteil…

Sur EHS plus encore que chez Sade, seule compte la satisfaction immédiate des pulsions corporelles : aucune ambition de sens ou de grandeur, juste le règne de la paresse et du plaisir – ce qui, dans ce roman entamé par l’auteur dans les années 1950, annonce étrangement notre rapport au numérique.

Mais l’essentiel est ailleurs, dans la thèse de Shozo Numa, Japonais humilié par le traitement infligé à son pays après la Seconde Guerre mondiale, selon laquelle les Yapous tirent un plaisir masochiste de leur avilissement. Un plaisir obtenu par des méthodes de conditionnement, mais un plaisir intense, qui conduit à vivre comme des délices les pires pratiques scatologiques et sexuelles, sur lesquelles l’auteur s’étend pendant des centaines de pages (le récit en compte 1.300).

Je n’en dis pas plus, sinon qu’il faut essayer ce roman et lire les quatre postfaces de l’auteur pour découvrir une vision fulgurante de notre époque d’après-guerre, même si Numa, masochiste revendiqué, se complaît dans la fange.

*

Shozo Numa
Yapou, bétail humain

Traduction : Sylvain Cardonnel
Éditions Laurence Viallet
2022

Un pont sur la Seine

Littérature française
Par François Lechat

Peut-on faire un bon roman sans suspense, sans dialogues et (presque) sans action ? Sans doute, puisqu’Un pont sur la Seine séduit de bout en bout en jouant la carte de la sensibilité, de l’Histoire, des petites histoires qui font la grande.

Au centre du récit, qui démarre à la fin du 19e siècle, un pont reliant deux petites villes par-dessus la Seine, dans les environs de Paris. L’une est rurale et viticole, spécialisée dans le raisin de grande qualité. L’autre est ouvrière et industrielle, siège de l’usine Schneider, qui produit des locomotives électriques. Deux mondes qui se font face, que la Seine sépare mais que le pont relie. Le premier tend vers la tradition, le second tend vers le progrès ; le premier dépend des caprices de la nature, le second devra affronter, dans la seconde moitié du 20e siècle, les errements du capitalisme mondialisé. Et comme les membres de certaines familles passent d’une rive à l’autre, comme on vit d’un côté mais que l’on va au bal de l’autre, comme les générations se succèdent sans vouloir se ressembler, il y a de la place pour des histoires de famille, de guerre, d’amour, de carrière. Et pour des vengeances, aussi, car la lutte des classes ne concerne pas seulement les patrons et les ouvriers : on s’affronte aussi entre salariés, pour des symboles ou des petites vexations.

Dans une langue classique, fluide et travaillée, Pauline Dreyfus s’empare de ce pont, véritable personnage, pour raconter deux pans de l’Histoire de France au 20e siècle. À découvrir si l’on aime les mœurs de province et l’histoire des mentalités. Ou à découvrir, surtout, si l’on ne connaît pas la dureté de la vie agricole, la plus soumise qui soit à la roue de la fortune.

*

Pauline Dreyfus
Un pont sur la Seine

Grasset
2025

Le liseur du 6h27 — La fissure

Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux

Il y a quelques années, l’auteur nous avait séduits avec Le liseur du 6h27 dans lequel Guylain, que ses proches pensent bras droit d’un éditeur, est en réalité chargé de déverser dans une énorme broyeuse des stocks de livres invendus. Il conjure ce métier destructeur dont il a honte en récupérant au hasard des feuillets rescapés dont il fait lecture à voix haute chaque matin dans le RER de 6h27. Il acquiert ainsi un public conquis et fidèle et il est même sollicité pour faire des lectures dans une maison de retraite. Expérience gratifiante qui séduit un auditoire qui l’écoute avec enthousiasme, séduit surtout par la convivialité que suscite sa prestation. Sa vie reprend sens. Puis un jour, Guylain trouve dans le RER une clé USB, il y découvre une sorte de journal qui le touche et il n’a de cesse d’en retrouver l’autrice, vouée elle aussi à un quotidien peu gratifiant.

Ce petit livre, à la fois original et rempli d’humanité, m’a poussée à découvrir un nouveau roman de Jean-Paul Didierlaurent.

Dans La fissure, une entreprise de fabrication artisanale de nains de jardin agonise devant la concurrence chinoise. Xavier, qui en était depuis des années l’une des chevilles ouvrières en tant que responsable commercial, voit sa vie professionnelle s’effondrer. Il se réfugie alors dans sa petite résidence secondaire des Cévennes qu’il rénove avec passion depuis plusieurs années avec l’aide de sa femme. Mais il découvre une fissure dans un mur de la terrasse, qu’il tente en vain de colmater. Dès lors le lecteur comprend que c’est toute sa vie qui commence à se lézarder et que la fissure en est le signal d’alarme. Xavier remet tout en question et décide de changer complétement de vie, il quitte même son épouse pour entreprendre un long voyage avec pour seul compagnon le dernier nain de jardin fabriqué par son entreprise, un personnage un peu facétieux et pittoresque curieusement doté de la parole, qui s’exprime librement et donne son avis sur tout. Commence alors une épopée burlesque et touchante à la fois, qui mène Xavier à l’autre bout du monde et constitue l’essentiel du roman.

C’est drôle souvent, émouvant parfois, sans doute invraisemblable, mais l’on s’attache à cette sorte de fable qui évite assez bien les écueils d’un récit qui pourrait n’être qu’une métaphore facile et un peu farfelue. Ce n’est pas un grand livre – il n’en a sans doute pas la prétention – mais, comme Le liseur, il est original et se lit avec plaisir.

*

Jean-Paul Didierlaurent

Le liseur du 6h27
Au Diable Vauvert (2014)
Folio (2022)

La fissure
Au Diable Vauvert (2018)
Folio (2019)

Taormine

Littérature française
Par Catherine Chahnazarian

J’ai pris Taormine un peu au hasard dans le rayon poches d’une librairie qui en proposait beaucoup du même auteur. J’ai ainsi découvert qu’Yves Ravey avait écrit un grand nombre de romans, tous courts à en croire le rayon, et j’avais justement envie d’une lecture qui occuperait simplement mon week-end. À part la démarche (parce que j’ai lu les deux premières pages dans la librairie) consistant à écrire au « je » et au passé composé, comme s’il était définitivement acté que le niveau des lecteurs s’arrête là, il m’a semblé que Taormine pourrait être divertissant. Et oui, c’est divertissant – sans être trop léger.

Tout au long de cette courte lecture, j’avoue avoir un peu râlé. D’abord, le narrateur aurait pu être drôle et ne l’est pas, mais c’est finalement un parti-pris qui se défend tout-à-fait. Ensuite, je n’ai pas réussi à bien cerner et me représenter ses deux personnages principaux – lui et sa femme – mais ça fonctionne quand même. Je me suis laissée embarquer par un suspense qui débute très vite : un couple arrive en Sicile pour une semaine de vacances ; ils prennent une voiture de location ; ils quittent l’autoroute dès qu’ils voient le premier symbole « plage »… et ça y est, tout foire. J’ai continué à râler un peu, mais je voulais absolument finir ce livre, parce que je voulais savoir ce qui allait se passer, et parce que je ne comprenais pas ce que je voyais comme une faiblesse : cet humour trop intériorisé par rapport au genre je-suis-con-et-je-raconte-dans-le-menu-détail-les-conneries-que-je-fais.

Et c’est comme ça que je suis arrivée à la chute, qui est formidable. Bravo, monsieur Ravey, c’est bien shooté !

*

Yves Ravey
Taormine
Les Éditions de Minuit
2022/2024

Voir aussi l’article de Marie-Hélène Moreau sur Trois jours chez ma tante, du même auteur.

Au bonheur des filles

Littérature américaine
Par Marie-Hélène Moreau

Pris au hasard sur les rayons d’une bibliothèque (en grande partie, je l’avoue, pour la magnifique photo de couverture de l’édition de Poche), ce roman, même s’il n’a pas connu le succès de Mange, prie, aime, best-seller mondialement connu et porté à l’écran, fut une agréable surprise de lecture.

Dans l’Amérique des années quarante, Vivian Morris, une jeune fille de bonne famille, s’ennuie dans son collège au point de vouloir arrêter ses études. Elle ne sait quoi faire d’elle-même, pas plus que ses parents qui, en désespoir de cause, vont l’envoyer à New York chez sa tante Peg, malgré la réputation sulfureuse de cette dernière. Tante Peg, en effet, dirige un théâtre de revues populaires dans lesquelles des showgirls égayent de petites pièces sans prétention. Dans ce milieu pittoresque et débridé, Vivian va s’épanouir au-delà de toutes ses espérances, devenant même la costumière attitrée des spectacles qui y sont produits à la chaîne, et passant ses nuits à faire la fête. Tel est le point de départ de cette histoire, racontée par Vivian elle-même, dont nous suivrons ensuite toute la vie. Difficulté à faire tourner le théâtre, succès, scandales, tout cela sera bientôt rattrapé par la guerre. Une nouvelle page s’ouvrira ensuite, celle de la maturité.

Avec ses personnages hauts en couleurs et ses rebondissements, le roman ne serait qu’un aimable divertissement s’il n’immergeait le lecteur dans l’Amérique de la guerre et de l’après-guerre. Insouciance face à une guerre lointaine qui va douloureusement les rattraper, destruction de quartiers entiers au nom de la modernité, mais surtout, surtout, place des femmes dans une société corsetée par une morale très patriarcale (la liberté, mais à quel prix !), le roman aborde des thèmes qui lui donnent un intérêt certain et le classent dans la rubrique des romans résolument féministes. L’écriture fluide et légère d’Elizabeth Gilbert contribue sans nul doute également au bonheur du lecteur !

*

Elizabeth Gilbert
Au bonheur des fille
s
Calmann-Lévy
2020

Aussi au Livre de poche

Mona et son manoir

Littérature américaine
Par François Lechat

Je n’ai pas lu les Chroniques de San Francisco, qui ont fait la fortune d’Armistead Maupin depuis 1976 et qui trouvent ici leur épilogue. J’admire d’autant plus son talent, l’absence de familiarité avec les personnages récurrents de ce cycle romanesque n’empêchant pas de plonger dans son univers.

Dès les premières pages, on est saisi par un ton badin, légèrement ironique, qui croque les protagonistes avec gourmandise et nous installe dans une savoureuse comédie de mœurs sur fond de campagne anglaise délicieusement surannée. Le fameux manoir, menacé de décrépitude, qui donne son titre au roman en constitue même un personnage à part entière, tant ce décor est subtilement exploité.

Il s’y mêle une sorte d’intrigue policière qui dynamise le récit, mais ce sont bien les rapports humains qui sont au cœur de ces pages très actuelles, une ode à l’émancipation féminine et à la liberté de choix en matière de genre et d’orientation sexuelle. L’auteur trousse une belle histoire d’amour, compliquée comme il se doit, entre son héroïne et la responsable d’un bureau de poste, tandis qu’il fait revenir d’autres figures récurrentes pour des retrouvailles touchantes, même pour qui ne connaît pas les épisodes antérieurs.

J’ai une légère réserve à l’égard d’un discours LGBTQIA+ quelque peu insistant, mais ce qui domine reste une galerie de personnages contrastés, fantaisistes et libres dans leur tête pour les uns, en cours d’émancipation ou de déconstruction pour d’autres.

*

Armistead Maupin
Mona et son manoir

Editions de l’Olivier
2025

Le Ministère de la Peur

Catégorie : Redécouvertes
Par Catherine Chahnazarian

Roman d’espionnage, Le Ministère de la Peur, publié pour la première fois en 1943 et retraduit tout récemment, a pour décor le blitz de Londres — bombardements, abris souterrains, ruines fumantes. À partir de là se déclinent la peur, la méfiance et la trahison. Mais Graham Greene livre surtout un roman psychologique. Le personnage principal, Arthur Rowe, est en proie à des sentiments qui peuvent sembler paradoxaux au regard des événements de sa vie, sentiments que l’auteur explique et déroule avec précision : empathie, pitié, culpabilité, rapports à la justice, à l’enfance et au bonheur. Passionné de psychologie criminelle et influencé par la psychanalyse et le surréalisme (l’une ayant inspiré l’autre, notamment dans le travail sur le rêve), Graham Greene joue sur des ambigüités de langage et de comportement pour nous faire douter de ce que nous comprenons au plan narratif, et sur la complexité de l’esprit humain, de la conscience et de l’inconscient pour donner corps à son personnage.

La postface, bien que manquant un peu de modestie ou d’habileté, m’a convaincue de l’intérêt de cette nouvelle traduction. Quelques fautes d’orthographe et mots incongrus m’ont semblé d’autant plus regrettables, mais l’intrigue pour le moins… intrigante m’a tenue en haleine jusqu’à la fin du livre, même si j’ai trouvé l’épilogue un peu démodé.

*

Graham Greene
Le Ministère de la Peur
Flammarion
2025

La Nuit de L’ours

Policiers et thrillers (France)
Par Sylvaine Micheaux

Angèle, la quarantaine, bien sous tous rapports, analyste dans une grande société, voit sa vie basculer depuis que son mari l’a quittée pour une autre femme, trois mois plutôt, et surtout depuis qu’un jeune homme suicidaire s’est écrasé à ses pieds, manquant de peu la tuer elle aussi. Elle perd pied, voyant apparaitre une petite fille en parka verte, entendant sans cesse une petite ritournelle à l’orgue de barbarie, et commençant à se sentir paranoïaque. Deviendrait-elle folle, elle qui a fait un séjour en psychiatrie pour catatonie à l’adolescente ? Quand, après un bain, l’inscription « va crever » s’affiche dans la buée de son miroir, elle quitte Paris pour se réfugier chez son père, psychiatre émérite qui, hélas, souffre d’un début d’Alzheimer. Il décide de partir avec elle dans un petit village des Pyrénées, berceau de l’enfance d’Angèle, où a lieu ce week-end-là, la fête ancestrale de l’Ours. Confusion des souvenirs, interrogations sur ses parents… Et puis, que se passe-t-il dans la clinique psychiatrique où son père a travaillé ?

Je ne parle  là que des 20-30 premières pages …  C’est inimaginable tout ce qu’il se passe ensuite. La Nuit de l’ours est un excellent thriller où règnent une tension inquiétante, un suspense prenant et des rebondissements incessants. L’autrice, que je ne connaissais pas, a une plume fluide et très efficace, sachant faire monter progressivement l’adrénaline.

À lire à tout prix si on aime le genre.

*

Alexandra Julhiet
La Nuit de l’ours
Calmann Lévy noir
2025

Lire le début

Un Site WordPress.com.

Retour en haut ↑