Prince Harry, Le suppléant, Fayard, 2023
— Par Catherine Chahnazarian
La majeure partie du livre constitue un récit de vie qui se lit comme un roman. Le point de vue subjectif est totalement assumé, le contenu vraiment intéressant. Harry annonce assez vite la couleur avec une anecdote sur Charles faisant sa gymnastique, mais on entre assez peu dans l’intimité de la famille, Harry centrant son récit sur les étapes de sa vie à partir de la mort de Diana : Ludgrove School, Eton, les soirées festives (très gosses de riches), les vacances au Botswana, l’amitié exceptionnelle qu’il y découvre, l’humanitaire, l’armée, la guerre, le stress post-traumatique et, enfin, la rencontre avec Meghan.
Bien sûr, Harry règle des comptes, mais surtout avec les médias, tandis que les reproches à la famille restent allusifs, relativement modérés. Bien sûr, les souvenirs peuvent être reconstruits. Mais même s’il fallait ne tenir compte que de la moitié de ce qui est dit, il n’en demeure pas moins que la souffrance qui s’exprime est poignante. On ne peut que comprendre le besoin de raconter l’histoire telle que lui — et plus tard eux, avec Meghan — l’a vécue.
La dernière partie du Suppléant dévie par contre vers plus délicat. Des détails auraient pu être tus, être remplacés par un point de vue surplombant. Harry semble parfois un peu de mauvaise foi ou aveuglé. Il y a de quoi, car les relations avec son père sont compliquées, celle des deux frères se dégrade. Des événements factuels importent beaucoup à Harry mais, fondamentalement, les différends sont culturels (William comme Charles sont pris dans un terrible carcan de convenances, une spécifique façon de penser) ou dus à des tiers (la reine elle-même semble à la merci de personnels du Palais dont le pouvoir est hallucinant). Mais sans doute est-ce encore trop tôt pour que Harry puisse le résumer simplement. Ses blessures et sa colère ont des racines profondes : le sentiment d’avoir été laissé seul avec son chagrin et son désarroi à la mort de sa mère et dans les années qui ont suivi ; le harcèlement des paparazzi, l’acharnement de certains médias ; l’obligation de se taire et de se taire encore alors que cela bouillonne en lui ; l’impression d’être sacrifié au profit de la tranquillité d’autres membres de la famille royale, d’être détesté de ceux qui tirent les ficelles. On est pris de pitié pour tant de souffrance, et d’admiration pour la – finalement – si longue fidélité de Harry à la Monarchie. Mais il a fait de nous des voyeurs.
Un récit à découvrir pour découvrir Harry, pour se faire une opinion personnelle après toutes ces années où la presse a été la seule à s’exprimer.
Catégorie : Essais, Histoire… (Royaume-Uni). Traduction : Nathalie Bru et Santiago Artozqui.
Liens : chez l’éditeur américain (le titre original est Spare) ; chez l’éditeur français.