Il y a deux dimensions dans les romans de Michael McDowell publiés par Monsieur Toussaint Louverture. D’une part, une dimension réaliste, presque matérialiste, avec des rapports de force, des conflits familiaux, de l’âpreté au gain, des conditions de vie difficiles. D’autre part, une dimension fantastique, avec des métamorphoses, des dons improbables, des fantômes, des êtres à mi-chemin de l’humanité et de l’animalité.
La saga Blackwater, le chef-d’œuvre de l’auteur, mêle les deux dimensions de manière particulièrement habile. Les Aiguilles d’or, elles, relevaient de la veine réaliste, tandis que Katie, plaisant mais moins réussi, lorgnait franchement vers le fantastique. Lune froide sur Babylon joue à nouveau sur les deux registres, mais paraît faible en comparaison des premiers titres cités. La part réaliste de l’intrigue, entre pulsions sexuelles et intérêts financiers, est solide mais sans réelle surprise, tandis que la dimension fantastique, très bien mise en scène, devient un peu répétitive à la longue. J’ignore ce qui a guidé l’éditeur dans la programmation de sa « Bibliothèque Michael McDowell », mais après un double début en fanfare (Blackwater et Les Aiguilles d’or, en 2022 et 2023), la qualité des titres s’amenuise. Il reste qu’on lit Lune froide à Babylon avec plaisir grâce au style direct et concis de l’auteur, et que la couverture du volume est toujours une réussite chez Monsieur Toussaint Louverture.
En cinq pages rondement menées, le prologue nous fait assister au meurtre d’un chien et au décès d’une mère de famille. L’un et l’autre accompagnés de détails qui créent une atmosphère de légèreté, pour ne pas dire de farce.
Avec un début pareil on a évidemment envie de lire la suite, aux côtés d’une héroïne attachante et au contact d’une famille assez glaçante. C’est que la Katie du titre dispose à la fois d’un redoutable don de voyance et d’un bon coup de marteau…
Troisième roman de Michael McDowell publié par Monsieur Toussaint Louverture, Katie est de la veine des Aiguilles d’or, mais avec une intrigue plus simple, moins profonde, plus jouissive. Comme l’auteur l’a expliqué lui-même, il s’est beaucoup amusé à écrire ce livre contenant ses meurtres les plus effroyables. C’est de la littérature de genre, donc, qui se repose un peu trop sur l’opposition entre les bons et les méchants et sur des coïncidences, mais qui propose un pur divertissement, sous une de ces couvertures somptueuses dont l’éditeur a le secret.
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Michael McDowell Katie Traduction : Jean Szlamowicz Illustration : Pedro Oyarbide Édition : Monsieur Toussaint Louverture 2024
J’ai découvert cet éditeur hors norme grâce à Karoo, que je vous ai aussitôt présenté comme un chef-d’œuvre méconnu. Je ne connaissais ni le titre, ni l’éditeur. Ce qui m’a fait craquer est la jaquette, fascinante comme toutes celles de la collection des « Grands Animaux », avec leur brillance, leurs dessins géométriques ou répétés, leurs effets de lumière. Celle de Watership Down, une merveilleuse histoire de lapins errants (sans doute le titre le plus accessible de la collection), réussit l’exploit d’être, selon la luminosité et l’angle sous lequel vous regardez le livre, vert mat ou vert brillant, ou gris sombre, ou uniformément ivoire. Avant même que je la découvre en page de garde, j’avais suivi la consigne de Monsieur Toussaint Louverture : « La jaquette de ce livre a été pensée comme un habit de lumière, tout de beauté et de fragilité, nous vous encourageons à la retirer le temps de savourer l’histoire. »
Vous vous dites peut-être que c’est prétentieux. Mais si vous regardez bien, c’est l’humour qui vous frappera dans chaque titre des « Grands Animaux », « Une collection qui rassure Monsieur Toussaint Louverture » comme il le rappelle en dernière page de ses romans. Au dos de la jaquette, la même formule rituelle, dans laquelle seule l’épithète varie : « Une époustouflante/brutale/flamboyante/aventureuse publication de Monsieur Toussaint Louverture. » Juste à côté, au-dessus du code-barre, un prix qui défie toute concurrence (15,50 € pour le prochain titre qui m’attend, La maison dans laquelle, et qui dépasse les 1 000 pages), assorti d’un « MERCI » que je n’ai jamais trouvé ailleurs. Et, en page de garde ou dans le colophon, des clins d’œil dont on ne se lasse pas. Par exemple le fait de donner les proportions de l’ouvrage, accompagnées d’un commentaire engagé : « C’est un bloc brûlant de vie et de rage », à propos d’Un jardin de sable. Ou la présentation de l’œuvre, qui n’hésite pas à prendre le candidat acheteur à rebrousse-poil : « Ne vous laissez pas décourager, prenez le temps, remettez à plus tard si besoin, mais n’abandonnez pas, c’est l’un des plus grands livres qu’il nous ait été donné de lire », à propos de Et quelquefois j’ai comme une grande idée. Ou une vantardise, comme la mise en avant des 53 millions d’exemplaires atteints par Watership Down de par le monde, aussitôt adoucie par une remarque désabusée : « ce qui, en vérité, n’a absolument aucun sens pour des lapins ».
Si Monsieur Toussaint Louverture prend tant de soin à présenter ses « Grands Animaux », c’est qu’il connaît l’exigence des titres publiés dans cette collection, tous d’origine étrangère, tous soigneusement corrigés ou retraduits, tous remarqués au moment de leur sortie, tous adressés à un public cultivé. Cela ne s’offre pas comme du Guillaume Musso ou de l’Amélie Nothomb.
Mais il a aussi lancé, outre des romans isolés, une collection alternative, « Monsieur Toussaint Laventure », dans laquelle il vient de publier une nouvelle traduction d’Anne de Green Gables, roman canadien délicieusement suranné, adapté sous forme de série sur Netflix. Avec, une fois encore, un soin maniaque apporté à la présentation : papier velouté, gardes d’un magnifique brun doré, reliure cartonnée cousue au fil, recouverte de papier nacré « imprimé en quatre encres spécifiques pour refléter les nuances du couchant ».
Je le répète : osez une publication de Monsieur Toussaint Louverture.
Les livres dont il est question dans cet article peuvent être commandés chez un libraire.