Expiration

Ted Chiang, Expiration, Denoël, 2020

— Par Catherine Chahnazarian

Ted Chiang n’est pas du genre à tirer à la ligne (une vingtaine de nouvelles en trente ans) et cela se sent. Voici des récits dans lesquels on entre avec surprise et on ressort avec admiration. Perfectionniste (comme son remarquable traducteur), l’auteur livre une œuvre puissante qui force le respect : neufs nouvelles ciselées au plus fin, concises et d’une richesse telle que, dès qu’un texte fait plus de vingt pages, on est convaincu d’avoir lu un roman. Peu importe donc si n’aimez pas trop les nouvelles ; peu importe aussi si vous n’aimez pas trop la science-fiction (moi non plus).

Très différents les uns des autres, ces récits ont en commun de questionner sur l’homme.

« Le marchand et la porte de l’alchimiste » est un conte oriental dont la couverture de cuir pourrait s’effriter entre vos doigts. Un marchand de tissu bagdadi fait une rencontre extraordinaire qui va lui permettre de vérifier que le passé et le futur ne font qu’un. Après des récits dans le récit, la nouvelle se termine sur une ouverture inattendue qui m’a fait sourire.

Dans « Expiration », un anatomiste se livre à une expérience scientifique extraordinaire. C’est tellement bien amené que, la surprise passée, on accepte que le personnage soit qui il est et on visualise la scène comme si on acceptait qu’elle fût possible. Passionnant.

Très courte, « Ce qu’on attend de nous » est une farce bien pensée qui vous prouvera en deux temps trois clignotements que le libre-arbitre n’existe pas ! Une excellente démonstration de ce que l’auteur expliquait dans une interview à France Culture : « Les idées philosophiques et scientifiques peuvent s’imbriquer et s’asseoir dans la fiction ».

« Le cycle de vie des objets logiciels » démarre sur une invention qu’en toute bonne foi une foule de gens se mettent à utiliser avec joie (les inventeurs et les utilisateurs ne sont-ils pas toujours des rêveurs de bonne foi ?). L’auteur nous fait entrer dans un monde virtuel dont les relations avec le monde réel vont se complexifier. « Jax ne veut pas contrôler un avatar à distance : il veut être l’avatar » (p. 167). Un développement narratif hors pair fascine alors le lecteur, pris au piège d’un engrenage effrayant. Pourtant, les personnages conservent cette bonne foi qui rappelle nombre d’entre nous… Une extraordinaire plongée dans un monde auquel on s’habitue en dépit de tout bon sens ; avec des personnages auxquels on finirait par croire ; à travers des situations qui n’en finissent pas de varier et de s’additionner. On se demande où l’auteur va s’arrêter ! Une intéressante réflexion sur l’éducation. Notamment.

Après cela, plus conforme à l’esprit de la nouvelle brève avec sa chute piquante, « La nurse automatique brevetée de Dacey » est une agréable récréation – sur l’éducation également.

Je n’ai évoqué ici que la première moitié du recueil — pour vous en donner un aperçu. Je vous laisse découvrir la suite sans plus rien vous dévoiler.

Catégorie : Nouvelles (U.S.A.). Traduction : Théophile Sersiron.

Liens : chez l’éditeur ; un très intéressant papier de L’Obs sur l’auteur ; une émission de France Culture qui lui est consacrée (ça commence à la minute 11’20 » du podcast).

Une machine comme moi

Ian McEwan, Une machine comme moi, Gallimard, 2020

Par Brigitte Niquet.

Le confinement étant favorable à la lecture, lisons donc et, pourquoi pas, des livres que nous n’aurions sans doute jamais ouverts autrement.

Celui-ci combine l’uchronie et la dystopie (pardon pour ce vocabulaire un peu tordu). Uchronie puisque nous sommes censés être en 1982 mais que tout y est contraire à la réalité historique (Kennedy a survécu à l’attentat de Dallas et Georges Marchais est président de la République, c’est dire !) et dystopie puisque l’intrigue nous raconte l’histoire d’une tentative ratée pour créer des humanoïdes ressemblant à s’y méprendre à des êtres humains, mais des êtres humains dotés d’un cerveau aux possibilités infinies. Dix-huit exemplaires de ces créatures sont en circulation, et Charlie et sa compagne Miranda se sont portés acquéreurs d’un « Adam » (les versions féminines sont des « Ѐve », comme il se doit). C’est ici, bien sûr, que les ennuis commencent. Adam tombe amoureux de Miranda qui n’est pas insensible à son charme, et ils passent une nuit d’enfer. « On se croirait dans Jules et Jim, a écrit un critique, si Jim était un robot ». Le problème, c’est qu’Adam est, certes, un robot mais par bien des côtés, c’est aussi un homme et il ne parvient pas à vaincre ses contradictions. D’ailleurs, une épidémie de suicides inexpliqués ne tarde pas à frapper les hommes-machines, et l’amour non payé de retour est loin d’être seul en cause.

Le scénario est complexe, les personnages attachants et le roman prenant, même si l’on n’est pas très amateur de SF. On peut cependant regretter un certain manque de rythme : nombre de chapitres regorgent de détails inutiles pendant que l’action se traîne. Mais le tout vaut le détour, même sans coronavirus.

Catégorie : Littérature française (Science-Fiction).

Liens : chez l’éditeur ; la critique de Dans une coque de noix, du même auteur, par François Lechat.

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