Hommage à David Lodge (1935-2025) – 6
La Trilogie du campus : Changement de décor, Un tout petit monde, Jeu de société

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Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Daniel Kunstler
Arrivent les années 1980 et la Grande-Bretagne ne parvient plus à préserver ses illusions de grandeur. Son empire, sur lequel le soleil ne se couchait jadis jamais, est en miettes en dépit d’une minable victoire militaire face à l’Argentine. Son déclin économique s’accélère, et l’heure est à l’austérité promue par Margaret Thatcher, avec des sacrifices qui accablent les plus démunis. Le berceau industriel du pays – des villes telles Birmingham et Manchester –, déjà gris et oppressant, s’enlaidit de ferraille rouillée et autres détritus. Le constructeur de voitures, British Leyland, est en déconfiture.
De cette toile de fond du troisième volet de la Trilogie du campus, émergent deux personnages : Robyn, jeune chargée de cours de littérature à l’université de Rummidge (Birmingham), et Vic, PDG d’une manufacture de pièces en métal, chargé de composer avec l’atrophie de ses clients. Ne trouvant pas de solutions réelles à la crise, le gouvernement recourt à des astuces, dont un programme d’observation (shadowing) entre académiques et chefs d’entreprise. L’idée (espoir éphémère) est que la compréhension mutuelle conduirait à un retour de fortune pour l’industrie britannique. Ainsi, Robyn, académique de gauche, et Vic, cadre de droite, sont contraints de passer leurs journées ensemble. D’emblée, ils s’entre-détestent. Robyn sympathise avec les ouvriers traités en serfs, jusqu’à saboter l’autorité de Vic. Vic, comme Thatcher, n’a que mépris pour les études autres que scientifiques promues par les universités, qu’il considère d’ailleurs comme des refuges pour enfants gâtés. Je ne raconterai pas la suite, mais vous ne vous étonnerez pas d’apprendre que la situation se retourne au cours du roman.
Jeu de société provoque moins de rires que les autres volets de la trilogie. En effet, ici une certaine tristesse imprègne la comédie. L’ambiance morose de l’époque que décrit David Lodge est trop réelle pour céder toute la place à la drôlerie. La crise dans les Midlands attise les troubles sociaux, et les mesures de redressement mises en place ont favorisé irréversiblement le secteur financier de Londres. Des villes comme Birmingham tentent de remonter la pente à coup de nouvelles infrastructures avec un succès mitigé : sa municipalité tombera en faillite en 2023.
Tout en restant fidèle à ses desseins comiques, Jeu de société est à mon sens le plus sérieux des trois volets de la Trilogie. Car les problèmes de société évoqués ne se sont pas encore résolus.
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David Lodge
Jeu de société
1988
En français chez Payot & Rivages dans la traduction d’Yvonne et Maurice Couturier

