Noël 2020 – Quels livres offrir ? Osez une publication de Monsieur Toussaint Louverture

— Par François Lechat

J’ai découvert cet éditeur hors norme grâce à Karoo, que je vous ai aussitôt présenté comme un chef-d’œuvre méconnu. Je ne connaissais ni le titre, ni l’éditeur. Ce qui m’a fait craquer est la jaquette, fascinante comme toutes celles de la collection des « Grands Animaux », avec leur brillance, leurs dessins géométriques ou répétés, leurs effets de lumière. Celle de Watership Down, une merveilleuse histoire de lapins errants (sans doute le titre le plus accessible de la collection), réussit l’exploit d’être, selon la luminosité et l’angle sous lequel vous regardez le livre, vert mat ou vert brillant, ou gris sombre, ou uniformément ivoire. Avant même que je la découvre en page de garde, j’avais suivi la consigne de Monsieur Toussaint Louverture : « La jaquette de ce livre a été pensée comme un habit de lumière, tout de beauté et de fragilité, nous vous encourageons à la retirer le temps de savourer l’histoire. »

Vous vous dites peut-être que c’est prétentieux. Mais si vous regardez bien, c’est l’humour qui vous frappera dans chaque titre des « Grands Animaux », « Une collection qui rassure Monsieur Toussaint Louverture » comme il le rappelle en dernière page de ses romans. Au dos de la jaquette, la même formule rituelle, dans laquelle seule l’épithète varie : « Une époustouflante/brutale/flamboyante/aventureuse publication de Monsieur Toussaint Louverture. » Juste à côté, au-dessus du code-barre, un prix qui défie toute concurrence (15,50 € pour le prochain titre qui m’attend, La maison dans laquelle, et qui dépasse les 1 000 pages), assorti d’un « MERCI » que je n’ai jamais trouvé ailleurs. Et, en page de garde ou dans le colophon, des clins d’œil dont on ne se lasse pas. Par exemple le fait de donner les proportions de l’ouvrage, accompagnées d’un commentaire engagé : « C’est un bloc brûlant de vie et de rage », à propos d’Un jardin de sable. Ou la présentation de l’œuvre, qui n’hésite pas à prendre le candidat acheteur à rebrousse-poil : « Ne vous laissez pas décourager, prenez le temps, remettez à plus tard si besoin, mais n’abandonnez pas, c’est l’un des plus grands livres qu’il nous ait été donné de lire », à propos de Et quelquefois j’ai comme une grande idée. Ou une vantardise, comme la mise en avant des 53 millions d’exemplaires atteints par Watership Down de par le monde, aussitôt adoucie par une remarque désabusée : « ce qui, en vérité, n’a absolument aucun sens pour des lapins ».

Si Monsieur Toussaint Louverture prend tant de soin à présenter ses « Grands Animaux », c’est qu’il connaît l’exigence des titres publiés dans cette collection, tous d’origine étrangère, tous soigneusement corrigés ou retraduits, tous remarqués au moment de leur sortie, tous adressés à un public cultivé. Cela ne s’offre pas comme du Guillaume Musso ou de l’Amélie Nothomb.

Mais il a aussi lancé, outre des romans isolés, une collection alternative, « Monsieur Toussaint Laventure », dans laquelle il vient de publier une nouvelle traduction d’Anne de Green Gables, roman canadien délicieusement suranné, adapté sous forme de série sur Netflix. Avec, une fois encore, un soin maniaque apporté à la présentation : papier velouté, gardes d’un magnifique brun doré, reliure cartonnée cousue au fil, recouverte de papier nacré « imprimé en quatre encres spécifiques pour refléter les nuances du couchant ».

Je le répète : osez une publication de Monsieur Toussaint Louverture.

Les livres dont il est question dans cet article peuvent être commandés chez un libraire.

Un jardin de sable

Earl Thompson, Un jardin de sable, Monsieur Toussaint Louverture, 2019

Par François Lechat.

Trop de sexe. Comme le rappelle le préfacier, Donald Ray Pollock (l’auteur d’Une mort qui en vaut la peine), c’est le principal reproche que l’on a fait à Un jardin de sable, brûlot américain paru en anglais en 1970. Et de fait, le héros, Jack, est un véritable obsédé, depuis sa plus tendre enfance jusqu’au moment où nous le quittons, adolescent, plaquant enfin sa mère pour essayer d’entrer dans la marine, à présent que les États-Unis se sont engagés dans la Seconde Guerre mondiale. Et Jack n’est pas le seul à être travaillé par la chose : c’est aussi le cas de son beau-père, d’un flic véreux, d’un nain bagarreur et teigneux… Si l’on ajoute enfin que la mère de Jack, Wilma, repousse bien maladroitement les assauts de convoitise de son fils, et que le plus vieux métier du monde est le seul à ne pas souffrir du chômage, vous aurez compris qu’il faut avoir le cœur bien accroché pour aller jusqu’au bout de ce roman.

Le sexe, pourtant, n’y occupe qu’une part secondaire. Car l’essentiel est ailleurs : dans le tableau de la débrouille des miséreux pendant la Grande Dépression des années trente, au Kansas, quand le travail a disparu, quand les paysans ont dû tenter leur chance à la ville, quand se loger dans un taudis est un soulagement, quand on se trouve réduit à choisir entre une vie de rien, comme celle des grands-parents de Jack, et la glissade vers l’alcool, les chapardages, la prostitution, les combines en tout genre… Sur un mode plus âpre que celui de Steinbeck dans Les raisins de la colère, dans des décors urbains hallucinants, avec un sens du mordant, du  burlesque et du détail qui tue, Earl Thompson fait grandir Jack entre des adultes qui se battent pour survivre, obstinément, rageusement, désespérément. On pourrait penser à Céline pour le sens de l’hénaurme, mais sans le mépris : de toute évidence Thompson a de la tendresse pour tous ses personnages, même les plus répugnants. Comme le dit l’éditeur (le même que celui de Karoo, avec le même soin apporté à la jaquette et au reste) : « C’est la vie. Nauséabonde, tordue, brutale et magnifique. »

Catégories : Redécouvertes, Littérature anglophone ( U.S.A.). Traduction : Jean-Charles Khalifa.

Lien : chez l’éditeur.

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