Viet Thanh Nguyen, Le sympathisant, Belfond, 2017
Par François Lechat.
Difficile de parler de ce livre brillant, hors norme, profondément jouissif, mais qui semblait devoir être sinistre. Qu’on en juge : le héros est un bâtard, né à l’époque coloniale d’une mère vietnamienne et d’un prêtre français, étroitement associé aux opérations américaines au Vietnam, mais sympathisant communiste faisant office d’agent secret au service du Vietcong. Tout ce qu’il faut pour livrer une confession plombante, une lourde soupe politico-psychologique. Et de fait, c’est bien d’une confession qu’il s’agit, notre narrateur devant rendre des comptes devant… vous verrez qui si vous lisez le livre. Le miracle accompli par l’auteur, c’est que l’on comprend tout alors qu’il n’explique presque rien, et que si l’on excepte les chapitres se déroulant au Vietnam (qui pouvaient difficilement être joyeux), il maintient une légère autodérision, une distance permanente du narrateur par rapport à lui-même, qui fait merveille. Cette distance découle évidemment de la double bâtardise du narrateur, biologique et politique : il n’est dupe de rien et ne peut jamais s’engager totalement, trop lié aux Américains pour ne pas se laisser séduire par l’Occident, trop Vietnamien pour basculer vers l’Ouest, trop engagé auprès des communistes pour regarder l’Amérique et ses alliés vietnamiens d’un œil indulgent. Tout ceci, encore une fois, peut paraître trop sérieux, mais ce qui domine, dans ce récit, est le pétillement de l’intelligence, la finesse de l’écriture, le sens du concret. Les femmes, les officiers, les politiciens américains, le tournage d’un film hollywoodien situé au Vietnam…, tout est rendu à un rythme enlevé, avec brio, jusqu’à ce que le propos devienne plus grave car la mort rôde. Un roman virtuose, consacré par le prix Pulitzer en 2016.
Catégorie : Littérature étrangère anglophone (USA). Traduction : Clément Baude.
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