De si jolis chevaux

Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE

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Par Daniel Kunstler

Les années 1950 sonnent le glas de l’élevage du bétail en pâturage au Texas et, par conséquent, du cowboy de nos imaginations. Les vastes ranchs se dépeuplent et le paysage se voit envahi par des derricks. Ça devait arriver tôt ou tard : la grande richesse de l’ouest américain était largement minérale, métaux précieux au Colorado, pétrole au Texas.

Ainsi le ranch ancestral de la famille du héros de Cormac McCarthy dans De si jolis chevaux, John Grady Cody, est mis en vente. John Grady, cavalier imbu de la culture cowboy et du culte du cheval, refuse de céder à leur déclin. À ses  yeux, son avenir au Texas est compromis, et le Mexique encore indompté l’attire avec son compagnon de chevauchée. Sa maîtrise de tout ce qui concerne les chevaux, leur physionomie et leur psychologie, est suprême, et lui assure du travail à condition de franchir vivant le désert au terrain accidenté du nord du pays, ce qui est loin d’être assuré. Arrivé à une immense hacienda, propriété d’un patricien qui fait la loi dans toute la région, John Grady est embauché après avoir démontré ses talents en apprivoisant seize mustangs en l’espace de quatre jours. 

Je ne dévoilerai pas le fil du récit. L’important à saisir est le personnage de John Grady et ce qu’il représente. Son langage dépouillé trahit une intelligence et une sagesse aigües, sa franchise est désarmante, sa maturité étonnante. Car il n’a que seize ans. L’adolescence, avec ses insouciances et rêves éphémères, est un luxe inabordable. Mais bien qu’il assume les responsabilités d’un adulte et affronte des dangers mortels, sa jeunesse l’empêche de contenir l’intensité avec laquelle il vit un amour condamné au naufrage.

Si la violence présente dans les livres de McCarthy peut offusquer, ce n’est pas qu’il y prend goût, mais plutôt qu’il refuse d’édulcorer sa brutalité à la façon désinvolte d’un western hollywoodien classique soucieux de ne pas incommoder. 

De si jolis chevaux – premier volet d’une trilogie de romans individuels –  est à la fois conte d’aventure, histoire d’amour et voyage dans un monde de splendeur et de menace. Il combine réalisme, métaphysique et lyrisme. Le style est rythmé, cinétique, poétique même par moments, avec des passages qui se dispensent de ponctuation. Dire que ce livre est magnifique relève de l’euphémisme ; c’est d’une beauté pas moins qu’émouvante. C’est aussi une façon idéale d’approcher l’œuvre impressionnante de Cormac McCarthy. 

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Cormac McCarthy
De si jolis chevaux
Titre original : All the Pretty Horses (1992)
Disponible en français aux éditions Points
Traduction : François Hirsch et Patricia Schaeffer

Un commentaire sur “De si jolis chevaux

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  1. Le formidable livre d’un formidable auteur ! Je l’ai lu deux fois et c’est effectivement un bon point d’entrée dans son œuvre. J’ai pour ma part un faible pour « Suttree », sans doute parce qu’il m’a fait découvrir McCarthy. Il peut parfois être déconcertant (Stella Maris par exemple) mais toujours passionnant. Il aurait manqué à la série !

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