L’Étranger

Mini-série Best-sellers
Littérature française

Par Anne-Marie Debarbieux

J’aime beaucoup les œuvres de Camus, même si L’Étranger n’est pas celle à laquelle je suis la plus sensible. Et j’aime beaucoup le cinéma de François Ozon. Mais adapter sans la trahir et sans la simplifier une œuvre aussi particulière et aussi complexe me paraissait un défi quasi impossible !

Pourtant, j’ai été conquise par le film d’Ozon qui propose un Meursault, incarné par Benjamin Voisin, que Camus n’aurait pas renié. Le choix du noir et blanc m’a paru excellent car conforme au cinéma de l’époque et apportant une sorte d’uniformité qui sert bien le personnage. Et le film restitue parfaitement la vie grouillante d’Alger, comme les paysages austères de la campagne accablée de soleil, ou encore la plage et les bords de mer animés ou quasi déserts.

Meursault… Comment « habiter » un personnage que caractérise son indifférence au monde, son insensibilité apparente à la mort de sa mère, son indifférence devant la brutalité de son voisin à l’égard de son chien, ou celle d’un autre voisin à l’égard de sa compagne, son absence d’émotion devant une femme qui l’aime, son geste incompréhensible de tirer sur un homme qui ne le menaçait pas ? Condamné à mort par la justice des hommes, Meursault ne s’agace que devant l’insistance du prêtre qui veut absolument lui imposer de donner un sens à ce qui, à ses yeux, n’en a pas. Cela nécessite un jeu très épuré et à la fois expressif de la part de l’acteur, et Benjamin Voisin y excelle.

À la sortie du cinéma, une spectatrice devant moi disait à sa voisine avoir beaucoup aimé le film mais ne pas comprendre pourquoi il s’appelait « L’Étranger ». J’ai préféré voir dans cette remarque une preuve supplémentaire de la complexité de la restitution de Meursault que propose Ozon. Meursault ne se sent pas étrange, il se sent étranger, indifférent à tout, pas seulement aux conventions sociales. Cela me semble très bien restitué dans le film qui alterne les vues de la ville animée, que Camus connaissait bien, et la solitude absolue du personnage, qui n’est ni bon, ni méchant, qui ne cherche rien, n’attend rien, n’est ni heureux ni malheureux parce que cela n’a pas de sens.

La sortie du film a fait remonter le livre parmi les meilleures ventes et l’a remis au programme de nombreuses classes de français. Rappelons qu’au-delà d’un procédé aujourd’hui banalisé consistant à écrire à la première personne et au passé composé, Camus a osé une écriture moderne, plate et directe par rapport aux canons de l’époque, factuelle, afin de rendre l’indifférence du personnage. L’Étranger est une œuvre majeure de la littérature du XXe siècle.

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Albert Camus
L’Étranger
Gallimard
1942

Liens : la Blanche de Gallimard ; l’édition Folio ; un précédent article d’Anne-Marie Debarbieux sur Albert Camus.

Terre des Hommes

Mini-série Best-Sellers
Redécouvertes
Littérature française
Par Catherine Chahnazarian

Récemment réédité avec des illustrations de Riad Sattouf, le livre ne figure pas par hasard parmi les meilleures ventes. La force de persuasion de Gallimard est toujours impressionnante mais Saint-Exupéry reste un auteur mythique et Terre des Hommes un des livres les plus célèbres de la littérature française.

Franchement, j’adore cette édition. Les dessins sont merveilleux, évoquent Saint-Ex sans l’imiter, illustrent avec justesse et émotion les récits du célèbre aviateur. Car, pour ceux qui ne connaîtraient pas Terre des Hommes, ce sont des témoignages que nous livre là un casse-cou des débuts de l’aviation, du temps où, sur son siège, le pilote était à l’air libre, emmitouflé comme il le pouvait contre le froid, la pluie, la neige, avec une casquette et des lunettes pour couper le vent. Il n’y avait pas de radars et d’instruments de navigation comme aujourd’hui, on repérait les routes en mémorisant les vallées et les montagnes et, la nuit, on se fiait aux étoiles. Entre pilotes, on se passait les bons tuyaux et, lorsque l’un d’eux ne rentrait pas, on partait à sa recherche sans moyens.

La langue de Saint-Exupéry n’est évidemment plus tout à fait la même que la nôtre. Elle est plus savante et l’auteur a du goût pour les formes littéraires, cela peut peut-être déconcerter les jeunes, mais accrochez-vous, cela en vaut la peine. Notamment pour les aventures de Guillaumet…

Voilà un beau cadeau à offrir pour Noël !

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Antoine de Saint-Exupéry
Terre des Hommes

Gallimard
1939-2025

Le mensonge suffit

Littérature française
Par Florence Montségur

Voilà un petit livre divertissant qui mélange différents ingrédients. Le plus inattendu, ce sont les parodies de vieilles publicités américaines, graphiquement très réussies. Le moins inattendu, c’est l’annonce d’un futur totalitaire dans lequel tous nos comportements sont enregistrés et évalués – comme en Chine déjà aujourd’hui. Le plus actuel, c’est le rôle de l’intelligence artificielle : ici un robot humanoïde qui interroge un citoyen ordinaire et l’accuse de meurtre. Et comme ce pauvre homme, évidemment, nie et se défend, il perd son calme, il sort des phrases politiquement incorrectes, et il aggrave son cas, ce qui crée un réel suspense quant au sort qui lui sera réservé.

Le même auteur a déjà produit deux autres livres dans la même veine : le cauchemar technologique qui nous attend. Le style reste léger, il ne prétend pas être profond. Et c’est bien comme ça.

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Christopher Bouix
Le mensonge suffit

Au Diable Vauvert
2025

Un pont sur la Seine

Littérature française
Par François Lechat

Peut-on faire un bon roman sans suspense, sans dialogues et (presque) sans action ? Sans doute, puisqu’Un pont sur la Seine séduit de bout en bout en jouant la carte de la sensibilité, de l’Histoire, des petites histoires qui font la grande.

Au centre du récit, qui démarre à la fin du 19e siècle, un pont reliant deux petites villes par-dessus la Seine, dans les environs de Paris. L’une est rurale et viticole, spécialisée dans le raisin de grande qualité. L’autre est ouvrière et industrielle, siège de l’usine Schneider, qui produit des locomotives électriques. Deux mondes qui se font face, que la Seine sépare mais que le pont relie. Le premier tend vers la tradition, le second tend vers le progrès ; le premier dépend des caprices de la nature, le second devra affronter, dans la seconde moitié du 20e siècle, les errements du capitalisme mondialisé. Et comme les membres de certaines familles passent d’une rive à l’autre, comme on vit d’un côté mais que l’on va au bal de l’autre, comme les générations se succèdent sans vouloir se ressembler, il y a de la place pour des histoires de famille, de guerre, d’amour, de carrière. Et pour des vengeances, aussi, car la lutte des classes ne concerne pas seulement les patrons et les ouvriers : on s’affronte aussi entre salariés, pour des symboles ou des petites vexations.

Dans une langue classique, fluide et travaillée, Pauline Dreyfus s’empare de ce pont, véritable personnage, pour raconter deux pans de l’Histoire de France au 20e siècle. À découvrir si l’on aime les mœurs de province et l’histoire des mentalités. Ou à découvrir, surtout, si l’on ne connaît pas la dureté de la vie agricole, la plus soumise qui soit à la roue de la fortune.

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Pauline Dreyfus
Un pont sur la Seine

Grasset
2025

Le liseur du 6h27 — La fissure

Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux

Il y a quelques années, l’auteur nous avait séduits avec Le liseur du 6h27 dans lequel Guylain, que ses proches pensent bras droit d’un éditeur, est en réalité chargé de déverser dans une énorme broyeuse des stocks de livres invendus. Il conjure ce métier destructeur dont il a honte en récupérant au hasard des feuillets rescapés dont il fait lecture à voix haute chaque matin dans le RER de 6h27. Il acquiert ainsi un public conquis et fidèle et il est même sollicité pour faire des lectures dans une maison de retraite. Expérience gratifiante qui séduit un auditoire qui l’écoute avec enthousiasme, séduit surtout par la convivialité que suscite sa prestation. Sa vie reprend sens. Puis un jour, Guylain trouve dans le RER une clé USB, il y découvre une sorte de journal qui le touche et il n’a de cesse d’en retrouver l’autrice, vouée elle aussi à un quotidien peu gratifiant.

Ce petit livre, à la fois original et rempli d’humanité, m’a poussée à découvrir un nouveau roman de Jean-Paul Didierlaurent.

Dans La fissure, une entreprise de fabrication artisanale de nains de jardin agonise devant la concurrence chinoise. Xavier, qui en était depuis des années l’une des chevilles ouvrières en tant que responsable commercial, voit sa vie professionnelle s’effondrer. Il se réfugie alors dans sa petite résidence secondaire des Cévennes qu’il rénove avec passion depuis plusieurs années avec l’aide de sa femme. Mais il découvre une fissure dans un mur de la terrasse, qu’il tente en vain de colmater. Dès lors le lecteur comprend que c’est toute sa vie qui commence à se lézarder et que la fissure en est le signal d’alarme. Xavier remet tout en question et décide de changer complétement de vie, il quitte même son épouse pour entreprendre un long voyage avec pour seul compagnon le dernier nain de jardin fabriqué par son entreprise, un personnage un peu facétieux et pittoresque curieusement doté de la parole, qui s’exprime librement et donne son avis sur tout. Commence alors une épopée burlesque et touchante à la fois, qui mène Xavier à l’autre bout du monde et constitue l’essentiel du roman.

C’est drôle souvent, émouvant parfois, sans doute invraisemblable, mais l’on s’attache à cette sorte de fable qui évite assez bien les écueils d’un récit qui pourrait n’être qu’une métaphore facile et un peu farfelue. Ce n’est pas un grand livre – il n’en a sans doute pas la prétention – mais, comme Le liseur, il est original et se lit avec plaisir.

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Jean-Paul Didierlaurent

Le liseur du 6h27
Au Diable Vauvert (2014)
Folio (2022)

La fissure
Au Diable Vauvert (2018)
Folio (2019)

Taormine

Littérature française
Par Catherine Chahnazarian

J’ai pris Taormine un peu au hasard dans le rayon poches d’une librairie qui en proposait beaucoup du même auteur. J’ai ainsi découvert qu’Yves Ravey avait écrit un grand nombre de romans, tous courts à en croire le rayon, et j’avais justement envie d’une lecture qui occuperait simplement mon week-end. À part la démarche (parce que j’ai lu les deux premières pages dans la librairie) consistant à écrire au « je » et au passé composé, comme s’il était définitivement acté que le niveau des lecteurs s’arrête là, il m’a semblé que Taormine pourrait être divertissant. Et oui, c’est divertissant – sans être trop léger.

Tout au long de cette courte lecture, j’avoue avoir un peu râlé. D’abord, le narrateur aurait pu être drôle et ne l’est pas, mais c’est finalement un parti-pris qui se défend tout-à-fait. Ensuite, je n’ai pas réussi à bien cerner et me représenter ses deux personnages principaux – lui et sa femme – mais ça fonctionne quand même. Je me suis laissée embarquer par un suspense qui débute très vite : un couple arrive en Sicile pour une semaine de vacances ; ils prennent une voiture de location ; ils quittent l’autoroute dès qu’ils voient le premier symbole « plage »… et ça y est, tout foire. J’ai continué à râler un peu, mais je voulais absolument finir ce livre, parce que je voulais savoir ce qui allait se passer, et parce que je ne comprenais pas ce que je voyais comme une faiblesse : cet humour trop intériorisé par rapport au genre je-suis-con-et-je-raconte-dans-le-menu-détail-les-conneries-que-je-fais.

Et c’est comme ça que je suis arrivée à la chute, qui est formidable. Bravo, monsieur Ravey, c’est bien shooté !

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Yves Ravey
Taormine
Les Éditions de Minuit
2022/2024

Voir aussi l’article de Marie-Hélène Moreau sur Trois jours chez ma tante, du même auteur.

Une vraie mère… ou presque

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Liitérature française
Par Catherine Chahnazarian

Didier van Cauwelaert, un Niçois au nom et à l’humour belge, harmonieux mélange d’énergie et d’inventivité, a un fameux palmarès. À 65 ans, il a signé 50 livres dont une grande majorité de romans, et reçu 17 prix dont un Goncourt. Et Pierre, le narrateur d’Une vraie mère… ou presque, est comme lui écrivain. Ayant écrit sur son père un livre à succès et toujours refusé à sa mère d’en écrire un sur elle, le voilà démuni, après la mort de celle-ci. Parler d’elle, finalement, pourquoi pas, mais comment aborder le sujet ? Une femme haute en couleurs avec laquelle la relation n’a pas toujours été facile, Niçoise pur jus dont il hérite de l’appartement et de la voiture, une Renault Fuego avec laquelle il se met à perdre des points… sur le permis de conduire de la disparue. Bien sûr, vient un moment où ça pose problème. Et une solution se présente en la personne d’une Niçoise tout aussi haute en couleurs que la mère de Pierre, à mi-chemin entre la folie et la manipulation, insupportable pot de colle dont on espère pour lui qu’il parviendra à se dépêtrer.

Le ton typique de l’auteur, celui de la comédie enlevée, un peu grinçante et pleine d’esprit, laissera progressivement de la place, au fil des rebondissements, à une thématique sérieuse : aux tournants de nos vies (mariages, divorces, naissances, décès…) l’auto-dérision ne suffit pas toujours, elle a besoin de l’introspection pour ne pas partir en vrille, et si Didier van Cauwelaert nous attire en nous faisant rire, il nous retient en nous touchant aussi. Le regard que nous portons sur eux se fragilise souvent au décès de nos parents, laissant place aux autres personnages qu’ils ont pu être, plus ou moins inconnus de nous, différents en tout cas de ce qu’on avait considéré jusque-là.

Un court roman (159 pages de plaisir) qui peut se lire d’une traite pour tirer le meilleur profit du rythme, du ton, du suspense, de l’absurde aussi, et prendre une bonne giclée de légèreté ironique.

*

Didier van Cauwelaert
Une vraie mère… ou presque
Albin Michel
2022

Publié également au Livre de Poche

Lien : le site officiel de l’auteur.

Comment j’ai retrouvé Xavier Dupont de Ligonnès

Littérature française
Par François Lechat

Depuis la parution de L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, on connaît le talent de Romain Puértolas pour la fantaisie, les péripéties improbables, l’humour à froid. Mais on se rappelle moins le fait qu’il a été, entre autres, capitaine de police. Ce sont ces deux facettes de son parcours qu’il fait fusionner dans ce récit imaginaire centré sur le fugitif le plus célèbre de France, que le narrateur, au terme d’un jeu assez savoureux de fausses pistes, aurait fini par retrouver par hasard, en voisin dans un trou perdu. Et qu’il a tué à coups de couteau à beurre, en situation de légitime défense, selon lui, comme on l’apprend dès la deuxième page…

La suite dans le roman, entre l’enquête, la Cour d’assises et le parcours rêvé ou supposé de XDDL tout autour du globle.

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Romain Puértolas
Comment j’ai retrouvé Xavier Dupont de Ligonnès

Albin Michel
2024

Disponible aussi au Livre de Poche

Mon coeur a déménagé

Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux

Ophélie n’a que sept ans lorsque son père, un homme que les effets conjugués de l’alcool et de la drogue rendent de plus en plus violent, réclame une fois de plus de l’argent à Maja, sa compagne. Celle-ci refuse mais prend réellement peur et supplie par téléphone Vidame, l’assistant social qui est en charge de la famille, de venir à son secours. Il refuse, sous un prétexte à la fois légitime et discutable. Alors Maja, terrifiée et soucieuse de ne pas mettre Ophélie en danger, se sauve et l’on retrouve son corps sans vie sur la voie rapide. La thèse du crime est privilégiée et le mari alcoolique et drogué est immédiatement soupçonné d’en être l’auteur. Il est arrêté et condamné à une lourde peine de prison. Ophélie est placée en foyer, elle y passe plusieurs années et sa vie n’est pas facile. Or pour elle, le vrai coupable, c’est celui qui a été appelé d’urgence par une femme en danger et qui a refusé de venir à son secours. Pendant plusieurs années elle va alors tout mettre en œuvre pour venger sa mère, menant sa propre enquête. Elle consacrera tout son temps à établir ce qu’elle pense être la vérité. Le roman est donc à la fois policier, psychologique et social.

Si le lecteur est vite happé par cette poursuite de la vérité qui dure plusieurs années, il est aussi saisi par la personnalité ambigüe de la jeune héroïne et la difficile mission des travailleurs sociaux.

Comme toujours, le suspense est maintenu jusqu’à la fin vers un dénouement qui n’est pas forcément celui qu’on attendait. Le principal intérêt de ce roman réside évidemment dans le thème mais surtout dans l’ambigüité des personnages…

*

Michel Bussi
Mon coeur a déménagé
Presses de la Cité
2024

Panorama

Littérature française
Par Sylvaine Micheaux

Je goûte peu les livres d’anticipation dystopiques, mais celui-ci, qu’on m’a offert, est plutôt une belle surprise.

En 2029, suite à un énième crime impuni, la France sombre dans la « Rivenge Week », révolution sanglante quand les victimes de viols, de crimes impunis (ou leurs proches) ont entrepris de se faire justice eux-mêmes. Pour arrêter les massacres, le gouvernement promeut une nouvelle loi : c’est le début de l’ère de la Transparence. Désormais, les habitants vivront dans des bâtiments aux murs totalement transparents, de même pour les administrations, écoles, etc. Dans un monde livré à la vue de tous, les crimes, viols, incestes  ne pourront plus avoir lieu. Et au moindre pas de travers, toute la population sera amenée à juger le présumé coupable, qui devra assurer seul sa propre défense.

En 2049, la délinquance a quasiment disparu dans ces quartiers de verre. Les policiers sont devenus de simples agents de protection qui s’ennuient. Mais dans le quartier le plus huppé de la ville, qui a en plus sa propre milice citoyenne, un couple et leur jeune fils disparaissent, volatilisés en pleine journée. Comment est-ce possible quand tout est visible, quand tout le monde surveille en permanence tout le monde ? Seuls coupables possibles : les habitants des Grillons, le quartier surpeuplé et malfamé où vivent ceux qui ont refusé cette transparence, par idéologie ou par manque de moyens !

Sous couvert d’une petite enquête policière, Lilia Hassaine nous décrit un monde effrayant grangréné par la montée des populismes et la perte des libertés fondamentales. Un monde où tout le monde vit sous l’oeil des autres… On pense sans problème à notre monde actuel, à ses réseaux sociaux omniprésents, surtout que le début de l’histoire se passe en 2029, quasiment demain.

Un panorama cauchemardesque qui surfe sur les tendances actuelles.

*

Lilia Hassaine
Panorama

Gallimard
2023

Disponible en Folio

Voir aussi notre article sur Soleil amer, de la même autrice.

Vers un nouveau genre littéraire ?

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Littérature française
Par François Lechat

Assiste-t-on à la naissance d’un nouveau genre littéraire ? Ou, plus modestement, d’un nouveau type de romans, qu’on pourrait appeler la littérature féministe masculine ? On peut le penser à la lecture de deux titres récents qui présentent d’étranges points communs.

Dans les deux cas, l’auteur est un homme pratiquant un métier au contact de la réalité : policier pour l’un, journaliste pour l’autre. Dans les deux cas, le personnage principal du roman occupe une position sociale enviable, porteuse d’un certain pouvoir : directeur de la police des polices pour l’un, professeur d’université pour l’autre. Dans les deux cas, ce contre-héros est marié, apparemment heureux, et a des enfants avec son épouse légitime : il incarne, non seulement la masculinité toxique, mais l’ordre social en général — dont il s’agit de montrer la face cachée. Dans les deux cas, ce personnage a une vie extra-conjugale, secrète et hautement délétère, génératrice d’une forme d’emprise. Dans les deux cas, les épouses trompées et les femmes de l’ombre devront parcourir un chemin difficile pour sortir de leur condition de victime. Dans les deux cas, un couple lesbien est mis en scène, comme s’il fallait suggérer que c’est là une manière sûre de se soustraire à la domination masculine. Dans les deux cas, une femme forte, juge d’instruction ou psychologue près des tribunaux, œuvre à la manifestation de la vérité. Dans les deux cas enfin, le coup de théâtre final se devine plus ou moins nettement en cours de route, comme l’accomplissement nécessaire d’un chemin d’émancipation féminine.

Ces deux romans ne sont pas pour autant des livres à thèse, lourdement démonstratifs : ils offrent une véritable intrigue et des personnages crédibles. Comme un papillon, qui est plus dense et court qu’On ne sait rien de toi, s’achève même sur le mode du thriller. Mais de part et d’autre, le cœur du propos est bien la prise de conscience, non pas des hommes, indécrottables, mais des femmes, qui devront en payer le prix.

*

Fabrice Tassel
On ne sait rien de toi

La Manufacture de livres
2025

Christophe Molmy
Comme un papillon

La Martinière
2025

L’Âge de détruire

Littérature française
Par Jacques Dupont

La relation d’une mère et sa fille, en deux tableaux.

Tableau de l’âge un : La mère est angoissée et violente. Sa fille l’a vue se rouler par terre en rue, s’évanouir « pour qu’on lui vienne en aide, chercher des mains qui la soutiennent, courir après une sensation de solidité ». Elle cherche un appui auprès de sa fille, la rejoint dans son lit…

Tableau de l’âge deux : C’est l’heure des critiques acides. La mère reproche à la fille de tout rendre compliqué, d’être ingrate, de ne pas croquer la vie à pleines dents. Elle porte aux doigts trois bagues dont elle a hérité de sa propre mère. La grand-mère giflait la mère, la mère a giflé sa fille. Les pierres incrustées dans les bagues ont lacéré leur visage. La mère cède ses bagues à sa fille…

Une scène inattendue, violente, effarante, clôt le récit, où rien ne se transmet sinon violence, angoisse et destruction… sans autre forme de réflexion.

Le livre est écrit avec soin, l’histoire est bien menée et cohérente, même si je trouve le récit peu incarné. Mais pourquoi un roman aussi sordide ? Que veut montrer Pauline Peyrade ?

À lire si vous aimez le noir sans issue.

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Pauline Peyrade
L’Âge de détruire

Editions de Minuit
2023

Existe en poche

L’agrafe

Littérature française
Par Marie-Hélène Moreau

J’avais beaucoup aimé Le neveu d’Anchise, que j’avais chroniqué sur ce site, raison pour laquelle je me suis plongée dans le dernier roman de Maryline Desbiolles, roman auréolé du prix Le Monde 2024. On retrouve ici l’univers de l’autrice, l’arrière-pays niçois et ses villages plombés de soleil, les paysages de ce beau sud-est de la France. Presque si l’on entend les cigales et l’accent des personnages ! On retrouve son style, aussi, cette mélancolie poétique dont elle drape tous ses personnages.

Ici, l’héroïne se nomme Emma Fulconis, adolescente rebelle et solitaire qui court sans cesse à travers les collines. Jusqu’à ce que le chien d’un garçon qu’elle rencontre l’attaque et la blesse grièvement à la jambe. Plus encore que cette attaque qui la laisse sérieusement handicapée et incapable désormais de courir, c’est une phrase prononcée par le père du garçon au moment de l’attaque qui la bouleverse. Je vous laisse la découvrir. Commence alors pour elle la quête de son passé, ou plutôt du passé de sa famille, harkis rapatriés à contre-coeur par les autorités et enfermés dans des camps dont le souvenir a été peu à peu effacé des mémoires.

Beaucoup de subtilité dans ce roman qui effleure par touches successives un passé douloureux et, partant, une page de notre histoire. Cette approche pudique et tout en finesse m’a donné envie d’en apprendre plus sur ces événements, tant il est vrai qu’ils sont peu évoqués, encore moins enseignés. Le style poétique de l’autrice déroutera peut-être certains lecteurs. Pour ma part, j’en apprécie beaucoup l’originalité. Pour autant, j’avoue cette fois avoir peiné à totalement adhérer aux personnages qui m’ont paru parfois factices. La faute, peut-être, à un texte un peu court.

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Maryline Desbiolles
L’agrafe

Éditions Sabine Wespieser
2024

La matinale

Littérature française
Par François Lechat

Par certains côtés, ce roman est un polar. Car on se demande ce qui a pu conduire une journaliste vedette, présentatrice de la matinale télévisuelle la plus suivie de France, à se retrouver face à un psychiatre et peut-être bientôt en prison. Mais par d’autres côtés, ce roman paru dans la collection blanche de Gallimard est un récit psychologique, sociologique et humoristique.

En racontant sa vie à un psychiatre qui doit décider si elle était responsable de ses actes au moment où elle a commis un délit pénal, la narratrice prend de la distance avec elle-même, aidée en cela par le mutisme moqueur de son vis-à-vis. Mais elle doit aussi se faire comprendre, partager ses émotions, expliquer les péripéties qui, partant d’une situation familiale et professionnelle idéale, l’ont fait lentement basculer, jusqu’à tomber dans le burlesque. D’où un ton mi-figue mi-raisin qui fait le charme de ce premier roman, tranche de vie dans le milieu des médias accompagnée de subtiles réflexions sur les aléas du désir, le destin des femmes et les bouleversements qui secouent notre époque.

Une jolie réussite, menée tambour battant, dans un style nerveux qui fait confiance à l’intelligence du lecteur.

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Nolwenn Le Blevennec
La matinale

Gallimard
2025

Les loups

Littérature française
Par Catherine Chahnazarian

Olena Hapko a été élue présidente de l’Ukraine. Nous vivrons avec elle, entrecoupés de flash-backs, les trente jours qui la séparent de la prise effective du pouvoir. Coulisses d’un monde politique accouplé à des oligarques puissants, calculateurs, malhonnêtes, dangereux et soumis, pour beaucoup, au pouvoir russe. Olena non plus n’est pas un enfant de chœur. À la tête d’un empire industriel, elle s’est faite toute seule, elle pourrait nous être sympathique, mais non, on n’a pas affaire à un roman féministe : si elle veut œuvrer à l’indépendance de sa patrie et en renforcer l’économie, Olena est une « chienne » féroce parmi les loups.

Avec ce thriller politique, Benoît Vitkine dresse un tableau sans concession d’une société — l’Ukraine d’après la chute de l’URSS — gangrénée par des jeux de pouvoir. Ses connaissances monumentales de l’Europe de l’Est sont au service d’une très riche fiction, parfois un peu technique, historique, réaliste, noire – même si deux beaux personnages secondaires symboliseront l’espoir.

Il faut lire ce livre pour ce qu’il est : un peu comme dans Le mage du Kremlin de Da Empoli, on plonge dans des esprits froids, déformés par le calcul, la soif de pouvoir et la volonté d’aboutir. Benoît Vitkine, journaliste, passe à la fiction pour faire profiter quiconque le voudra de l’éclairage qu’il peut apporter sur cette partie du monde et sur ceux qui y mènent la danse. On découvrira des personnages inventés (dont Olena Hapko), inspirés de ceux que l’auteur a croisés dans la vraie vie, évoluant parmi des personnages existants. En toile de fond, une population désabusée mais une jeunesse sur le point d’exploser.

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Benoît Vitkine
Les loups

Editions Les Arènes
2022

Disponible au Livre de Poche

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