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Mini-série Best-sellers
Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux
J’aime beaucoup les œuvres de Camus, même si L’Étranger n’est pas celle à laquelle je suis la plus sensible. Et j’aime beaucoup le cinéma de François Ozon. Mais adapter sans la trahir et sans la simplifier une œuvre aussi particulière et aussi complexe me paraissait un défi quasi impossible !
Pourtant, j’ai été conquise par le film d’Ozon qui propose un Meursault, incarné par Benjamin Voisin, que Camus n’aurait pas renié. Le choix du noir et blanc m’a paru excellent car conforme au cinéma de l’époque et apportant une sorte d’uniformité qui sert bien le personnage. Et le film restitue parfaitement la vie grouillante d’Alger, comme les paysages austères de la campagne accablée de soleil, ou encore la plage et les bords de mer animés ou quasi déserts.
Meursault… Comment « habiter » un personnage que caractérise son indifférence au monde, son insensibilité apparente à la mort de sa mère, son indifférence devant la brutalité de son voisin à l’égard de son chien, ou celle d’un autre voisin à l’égard de sa compagne, son absence d’émotion devant une femme qui l’aime, son geste incompréhensible de tirer sur un homme qui ne le menaçait pas ? Condamné à mort par la justice des hommes, Meursault ne s’agace que devant l’insistance du prêtre qui veut absolument lui imposer de donner un sens à ce qui, à ses yeux, n’en a pas. Cela nécessite un jeu très épuré et à la fois expressif de la part de l’acteur, et Benjamin Voisin y excelle.
À la sortie du cinéma, une spectatrice devant moi disait à sa voisine avoir beaucoup aimé le film mais ne pas comprendre pourquoi il s’appelait « L’Étranger ». J’ai préféré voir dans cette remarque une preuve supplémentaire de la complexité de la restitution de Meursault que propose Ozon. Meursault ne se sent pas étrange, il se sent étranger, indifférent à tout, pas seulement aux conventions sociales. Cela me semble très bien restitué dans le film qui alterne les vues de la ville animée, que Camus connaissait bien, et la solitude absolue du personnage, qui n’est ni bon, ni méchant, qui ne cherche rien, n’attend rien, n’est ni heureux ni malheureux parce que cela n’a pas de sens.
La sortie du film a fait remonter le livre parmi les meilleures ventes et l’a remis au programme de nombreuses classes de français. Rappelons qu’au-delà d’un procédé aujourd’hui banalisé consistant à écrire à la première personne et au passé composé, Camus a osé une écriture moderne, plate et directe par rapport aux canons de l’époque, factuelle, afin de rendre l’indifférence du personnage. L’Étranger est une œuvre majeure de la littérature du XXe siècle.
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Albert Camus
L’Étranger
Gallimard
1942
Liens : la Blanche de Gallimard ; l’édition Folio ; un précédent article d’Anne-Marie Debarbieux sur Albert Camus.


















