Au bonheur des filles

Littérature américaine
Par Marie-Hélène Moreau

Pris au hasard sur les rayons d’une bibliothèque (en grande partie, je l’avoue, pour la magnifique photo de couverture de l’édition de Poche), ce roman, même s’il n’a pas connu le succès de Mange, prie, aime, best-seller mondialement connu et porté à l’écran, fut une agréable surprise de lecture.

Dans l’Amérique des années quarante, Vivian Morris, une jeune fille de bonne famille, s’ennuie dans son collège au point de vouloir arrêter ses études. Elle ne sait quoi faire d’elle-même, pas plus que ses parents qui, en désespoir de cause, vont l’envoyer à New York chez sa tante Peg, malgré la réputation sulfureuse de cette dernière. Tante Peg, en effet, dirige un théâtre de revues populaires dans lesquelles des showgirls égayent de petites pièces sans prétention. Dans ce milieu pittoresque et débridé, Vivian va s’épanouir au-delà de toutes ses espérances, devenant même la costumière attitrée des spectacles qui y sont produits à la chaîne, et passant ses nuits à faire la fête. Tel est le point de départ de cette histoire, racontée par Vivian elle-même, dont nous suivrons ensuite toute la vie. Difficulté à faire tourner le théâtre, succès, scandales, tout cela sera bientôt rattrapé par la guerre. Une nouvelle page s’ouvrira ensuite, celle de la maturité.

Avec ses personnages hauts en couleurs et ses rebondissements, le roman ne serait qu’un aimable divertissement s’il n’immergeait le lecteur dans l’Amérique de la guerre et de l’après-guerre. Insouciance face à une guerre lointaine qui va douloureusement les rattraper, destruction de quartiers entiers au nom de la modernité, mais surtout, surtout, place des femmes dans une société corsetée par une morale très patriarcale (la liberté, mais à quel prix !), le roman aborde des thèmes qui lui donnent un intérêt certain et le classent dans la rubrique des romans résolument féministes. L’écriture fluide et légère d’Elizabeth Gilbert contribue sans nul doute également au bonheur du lecteur !

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Elizabeth Gilbert
Au bonheur des fille
s
Calmann-Lévy
2020

Aussi au Livre de poche

La Croisière Charnwood

Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Marie-Hélène Moreau

Écrivain britannique de romans policiers à énigmes, Robert Goddard rencontre un grand succès chez les amateurs du genre, notamment avec L’énigme des Foster, déjà chroniqué sur le présent blog. Pas forcément un auteur vers lequel je me dirigerais spontanément, mais les hasards des lectures de vacances m’ont mis entre les mains La Croisière Charnwood et, sans crier au chef-d’œuvre, j’avoue m’être laissé prendre par ma lecture.

Nous sommes au tout début des années trente. Deux Anglais, amis de collège et de guerre – la Première Guerre mondiale est encore dans tous les esprits -, par ailleurs escrocs, naviguent sur un transatlantique qui les ramène des États-Unis où leurs « affaires » ne se sont pas aussi bien passées que prévu. À bord, ils rencontrent Vita Charnwood et sa nièce Diana, héritières d’un empire financier, et y voient immédiatement l’opportunité de se refaire en séduisant cette dernière qui se trouve être d’une beauté renversante, ce qui ne gâte rien.

S’ensuit une histoire pleine de rebondissements, de trahisons et de complots en tous genres, qui se laisse lire sans ennui. Personnages attachants et plus complexes qu’attendu – Guy en escroc cynique rattrapé par le doute, notamment -, écriture fluide quoiqu’un peu trop sage à mon goût, description d’une époque délicieusement surannée, voilà un cocktail ma foi assez réussi même si certains le trouveront un peu fade comparé aux thrillers gore à la mode. Question de goût. La perspective historique du roman donne au livre le piquant qui lui manquerait sans doute un peu, c’est vrai, mais je n’en dévoilerai pas ici la teneur pour laisser au lecteur le plaisir de la découverte.

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Robert Goddard
La Croisière Charnwood

Sonatine Éditions
2018

Aussi au Livre de Poche
Traduction : Marc Barbé

Un jour d’avril

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Littérature étrangère (USA)
Par Marie-Hélène Moreau

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son titre, le roman de Michael Cunningham nous embarque en fait pour trois jours d’avril espacés chacun d’une année. Sur cette période, l’auteur suit le quotidien des membres d’une famille et nous décrit leur évolution au fil de ces trois années marquées en leur milieu par la période du covid.

Dan et Isabel vivent à Brooklyn avec leurs deux enfants. Dan tente de renouer avec un début de carrière avortée dans le rock tandis qu’Isabel rêve d’aller vivre à la campagne et s’interroge sur son mariage. Leur fils Nathan, pré-ado, expérimente un début d’indépendance et donc de rébellion, tandis que Violet, la petite dernière, rêve en robe de princesse. Vit sous le même toit Robbie, le frère d’Isabel, devenu prof plus par opposition à son père que par passion, et qui sort d’une nouvelle déception amoureuse. Gravite autour de ce noyau le frère de Dan, Garth, qui tente, mais sans grand succès, de garder le lien avec la femme avec qui il a conçu un enfant.

Rêves avortés, difficultés de la vie à deux, tentatives de prendre un nouveau départ, Un jour d’avril est une chronique douce-amère d’une vie ordinaire dont chacun à sa manière cherche à se sortir, Robbie allant même jusqu’à se créer un double fictif sur Instagram. L’originalité ici tient à cet espace-temps découpé en trois parties distinctes, une matinée d’avril 2019, un après-midi d’avril 2020 en plein confinement et une soirée d’avril 2021. Les personnages vieillissent, grandissent, se posent encore et encore les mêmes questions sans réellement parvenir à trouver des réponses.

Si le propos est intéressant et assurément subtil – qui, après tout, ne s’est pas un jour posé ce genre de questions ? -, il ne parvient pas totalement à passer l’écueil de l’ennui de lecture. Un style parfois trop ampoulé ajoute peut-être à cette impression. Il s’en dégage néanmoins un charme certain.

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Michael Cunningham
Un jour d’avril

Traduction : David Fauquemberg
Édition du Seuil
2024

De Michael Cunningham également, De chair et de sang, par François Lechat.

L’agrafe

Littérature française
Par Marie-Hélène Moreau

J’avais beaucoup aimé Le neveu d’Anchise, que j’avais chroniqué sur ce site, raison pour laquelle je me suis plongée dans le dernier roman de Maryline Desbiolles, roman auréolé du prix Le Monde 2024. On retrouve ici l’univers de l’autrice, l’arrière-pays niçois et ses villages plombés de soleil, les paysages de ce beau sud-est de la France. Presque si l’on entend les cigales et l’accent des personnages ! On retrouve son style, aussi, cette mélancolie poétique dont elle drape tous ses personnages.

Ici, l’héroïne se nomme Emma Fulconis, adolescente rebelle et solitaire qui court sans cesse à travers les collines. Jusqu’à ce que le chien d’un garçon qu’elle rencontre l’attaque et la blesse grièvement à la jambe. Plus encore que cette attaque qui la laisse sérieusement handicapée et incapable désormais de courir, c’est une phrase prononcée par le père du garçon au moment de l’attaque qui la bouleverse. Je vous laisse la découvrir. Commence alors pour elle la quête de son passé, ou plutôt du passé de sa famille, harkis rapatriés à contre-coeur par les autorités et enfermés dans des camps dont le souvenir a été peu à peu effacé des mémoires.

Beaucoup de subtilité dans ce roman qui effleure par touches successives un passé douloureux et, partant, une page de notre histoire. Cette approche pudique et tout en finesse m’a donné envie d’en apprendre plus sur ces événements, tant il est vrai qu’ils sont peu évoqués, encore moins enseignés. Le style poétique de l’autrice déroutera peut-être certains lecteurs. Pour ma part, j’en apprécie beaucoup l’originalité. Pour autant, j’avoue cette fois avoir peiné à totalement adhérer aux personnages qui m’ont paru parfois factices. La faute, peut-être, à un texte un peu court.

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Maryline Desbiolles
L’agrafe

Éditions Sabine Wespieser
2024

La clause paternelle

Littérature étrangère (Suède)
Par Marie-Hélène Moreau

Gros coup de cœur pour ce roman suédois distingué par le prix Médicis en 2021. Sur un thème mille fois abordé, l’auteur parvient à saisir avec une subtilité et une acuité incroyables les liens ambivalents unissant les membres d’une famille. Une gageure !

Comme tous les six mois, un père vivant à l’étranger revient en Suède s’installer quelques jours dans le petit appartement-bureau de son fils. Aucun besoin irrépressible de revoir ses enfants dans ce rituel, juste la nécessité de faire acte de présence pour conserver sa carte de résident et mettre en ordre ses papiers dont le fils s’occupe par ailleurs. Là est l’objet de cette clause paternelle, un accord passé il y a longtemps entre père et fils mais que ce dernier ne supporte plus. Le roman narre les quelques jours de cette visite au cours de laquelle le fils a prévu d’informer le père de la fin de cet arrangement.

Père peu présent, ce dernier est un personnage au premier abord détestable, égocentré et radin, mais dont les failles intimes apparaîtront peu à peu. Le fils est quant à lui pétri d’un mal-être venant de loin et dont il peine à sortir. En congé paternité depuis quelques mois pour s’occuper de ses deux enfants, il souffre du regard des autres et, plus largement, de sa situation. De situations banales du quotidien en rendez-vous manqués, le livre raconte par petites touches extrêmement précises la difficulté de communication de ces deux êtres, prolongée par les difficultés de communication qu’ils entretiennent avec les autres, petite amie, sœur, fille ou mère, ces dernières n’étant elles-mêmes pas exemptes de contradictions.

Analyse passionnante des relations d’une famille dysfonctionnelle et, au-delà, de la difficulté pour chacun de tracer sa voie dans la société et avec les autres, ce roman est par ailleurs servi par un style réellement original. L’auteur change en permanence d’angles et de personnages – allant jusqu’à endosser celui d’une morte ou d’une enfant de quatre ans !–, des personnages d’ailleurs jamais nommés mais renvoyés à leur identité multiple de père, fils, fille etc. Le fils est un père, le grand-père un père, et il en est ainsi pour chacun des personnages désignés littéralement de la sorte. N’est-ce pas ce que nous sommes tous, des fils en même temps que des pères, des sœurs en même temps que des filles ?

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Jonas Hassen Khemiri
La clause paternelle

Traduction : Marianne Ségol-Samoy
Éditions Actes Sud
2021

La promesse

Littérature étrangère (Afrique du Sud)
Par Marie-Hélène Moreau

Si vous aimez les fresques familiales, ce roman est pour vous ! Et encore plus si vous êtes rebuté par les gros pavés qui les hébergent en général. Damon Galgut réussit en effet à raconter sur plus de quarante ans l’histoire des Swart, une famille de propriétaires terriens sud-africains, dans un livre de moins de trois cents pages, et c’est passionnant car La Promesse raconte également en creux l’évolution d’un pays passé d’une situation d’apartheid à un présent où violence et corruption restent d’actualité.

Tout commence donc par une promesse que la mère mourante arrache à son mari, celle de donner à la bonne noire la maison dans laquelle elle loge en remerciement de son dévouement. Dans cette Afrique du Sud encore officiellement ségréguée, la chose n’est pas banale et fort mal vue. Amor, la fille cadette, est témoin de la scène et n’aura de cesse, ensuite, que de tenir cette promesse malgré les évitements successifs de son père, sa sœur et enfin son frère.

Construit en quatre parties, chacune centrée sur l’un des personnages (la mère, le père, la soeur aînée et le frère) et espacées les unes des autres par de nombreuses années, le livre raconte les vicissitudes de la famille Swart dans cette Afrique du Sud en proie aux bouleversements politiques et sociaux, comme une métaphore l’une de l’autre.

Récompensé à sa sortie par le prestigieux Booker Prize, c’est également par son style que le roman est intéressant. Une écriture fluide, certes, mais aussi l’utilisation d’un procédé qui pourrait s’apparenter aux plans séquence du cinéma. On passe du point de vue d’un personnage à l’autre sans transition, et parfois dans la même phrase. Si cela peut perturber certains lecteurs, j’ai pour ma part trouvé que cela apportait mouvement et modernité au récit. Certains pourront également regretter que l’histoire de l’Afrique du Sud ne soit pas plus développée, mais c’est un parti-pris de l’auteur qui évoque les années tourmentées du pays avec subtilité et, il faut le dire, un ton assez désabusé.

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Damon Galgut
La promesse

Éditions de l’Olivier
2022

Au-delà de la mer

Littérature étrangère (Irlande)
Par Marie-Hélène Moreau

L’écrivain irlandais Paul Lynch, récent lauréat du prestigieux prix Booker, a décidé pour ce roman de changer d’horizons. Loin de son Irlande natale, il nous entraîne au large des côtes sud-américaines pour un voyage dantesque et introspectif.

Bolivar est pêcheur. Il a besoin d’argent et doit à tout prix sortir en mer malgré un avis de tempête. Sans nouvelle de son coéquipier habituel, il convainc Hector, un adolescent nonchalant et désoeuvré, d’embarquer avec lui. C’est le début de ce roman et le début, également, de la longue dérive de nos deux héros. Perdus en mer sur un bateau désormais ingouvernable, sans aucun moyen de contacter les secours, ils n’ont d’autre choix que de tenter de survivre en priant pour croiser un bateau qui les remarquera.

C’est cette lutte pour la survie qui est au centre du roman de Paul Lynch. En premier lieu, bien sûr, l’obsession de la nourriture et de l’eau. Sont décrites par le menu les stratégies mises en place pour attraper des oiseaux, des poissons, et récupérer l’eau de pluie pour survivre. Mais au-delà de ces aspects purement matériels, ce sont également les relations entre les deux personnages qui sont au cœur du livre, deux hommes au tempérament totalement opposé qui vont se rapprocher puis s’affronter au-delà du possible.

L’histoire, tirée d’un fait divers, est passionnante, et l’on ne peut s’empêcher de se demander comment l’on réagirait soi-même dans de telles circonstances. Comme Bolivar ou comme Hector ? L’écriture de Paul Lynch, brillante et poétique, crée une ambiance oppressante qui flirte parfois avec le fantastique et donne clairement envie de découvrir ses autres romans. On peut cependant ressentir une certaine lassitude devant ce récit qui se répète un peu. Il est en effet difficile de tenir en haleine un lecteur dans un huis-clos, quand bien même celui-ci se déroule en pleine mer !

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Paul Lynch
Au-delà de la mer
Éditions Albin Michel
2021

De purs hommes

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Littérature francophone (Sénégal)
Par Marie-Hélène Moreau

Voilà un livre qui ne laisse pas indifférent et c’est déjà beaucoup. Traitant du thème délicat de l’homosexualité au Sénégal, il ose bousculer frontalement les hypocrisies et bien-pensances locales ce qui lui a valu son lot de polémiques. Le livre n’a d’ailleurs pas été distribué au Sénégal à sa sortie.

Ndéné Gueye, jeune professeur de lettres ayant étudié en France avant de revenir enseigner dans son pays d’origine, porte un regard déjà désabusé sur son travail. Les rivalités de pouvoir et les idées étriquées qui gouvernent l’université ont eu raison de son enthousiasme. Entre sa famille aisée (son père est pressenti pour devenir Imam) et Rama, sa spectaculaire amante, il s’en accommode néanmoins. Jusqu’au jour où il tombe sur la vidéo virale d’une foule déterrant le cadavre d’un homme accusé d’être un góor-jigéen — un homme-femme, c’est-à-dire un homosexuel –, pour le traîner hors du cimetière. Il n’aura de cesse, à partir de là, de s’interroger sur l’identité de cet homme et sur ce qui peut conduire des hommes et des femmes à commettre un tel acte. Cette quête, qui l’amènera à rencontrer un certain nombre de personnes dont la mère de cet homme, le conduira également à s’interroger sur lui-même.

Critique d’une société sénégalaise qui, écrasée sous le poids des traditions et de la religion, perpétue une forme de déni en accusant trop facilement l’Occident, le roman de Mohamed Mbougar Sarr est en même temps un récit profondément personnel. C’est ce qui fait sa force. Et même si on peut comme moi ne pas être totalement emballé par le style de l’auteur, on ne peut que saluer son immense courage et trouver passionnante cette plongée dans les tabous de la société sénégalaise.

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Mohamed Mbougar Sarr
De purs hommes

Éditions Philippe Rey
2018

La vie en sourdine

Hommage à David Lodge (1935-2025) – 2

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Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Marie-Hélène Moreau

Lire et relire un livre de David Lodge est toujours un plaisir même s’il est, cette fois, teinté d’un brin de tristesse compte tenu de la disparition de l’immense écrivain. J’ai ressorti de ma bibliothèque La vie en sourdine et m’y suis replongée avec délectation. Il suffit en effet de se laisser porter par cette prose parfaitement fluide et ce sens du détail, admirer cette érudition jamais pesante et rire à cet humour si représentatif de ce que l’on nomme souvent l’humour anglais pour passer un moment de total bonheur de lecture.

Tout comme David Lodge, le héros de ce roman est un universitaire, et tout comme lui également, il est sourd, c’est dire la part autobiographique que recèle le texte même si la fiction y a aussi une large place. Desmond est un professeur de linguistique à la retraite, une retraite anticipée qu’il regrette un peu car il peine à combler le vide de ses journées, d’autant que sa femme, Fred, a démarré tardivement une carrière réussie de décoratrice. Entre sa surdité qui l’isole de plus en plus et la perte progressive d’autonomie de son père dont il reste seul à s’occuper, les motifs de se réjouir ne sont guère nombreux en cette fin d’année, d’autant que Desmond déteste les fêtes de fin d’année. Une rencontre va cependant bousculer sa routine déprimante, celle d’une étudiante américaine sollicitant son aide pour l’élaboration d’une thèse consacrée aux lettres de suicide.

Écrit sous la forme d’un journal intime sur une période de quelques mois, La vie en sourdine aborde, outre les thèmes principaux du handicap lié à la surdité et la fin de vie, divers sujets aussi différents que les centres de loisirs type Center Parc, l’expérience de la visite du camp d’Auschwitz, le petit monde universitaire ou encore le difficile travail des infirmières des hôpitaux publics britanniques, sans oublier les hauts et les bas de la vie de couple, finement décrits à travers les relations entre Desmond et sa femme. Tout cela s’imbrique comme par magie et se lit sans ennui. Intéressant, touchant, drôle, La vie en sourdine (dont le titre anglais Deaf sentence est un jeu de mot entre deaf, surdité, et death, mort, tout un programme !) est un classique de David Lodge.

À lire et relire donc, et sans modération.

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David Lodge
La vie en sourdine

2008

En français :
Éditions Rivages
Traduction : Yvonne et Maurice Couturier

Vous lisez l’Anglais ? Essayez la version Penguin.

Là où les lumières se perdent

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Littérature étrangère (USA)
Par Marie-Hélène Moreau

J’avoue avoir un peu hésité avant de parler de ce roman. Non pas qu’il me soit tombé des mains à la dixième page. Pas du tout. Je l’ai même lu assez vite et, je dois dire, avec un certain plaisir. Quoi d’étonnant puisqu’il a reçu un excellent accueil critique et suscité un bel engouement à sa sortie. Non, c’est plutôt qu’il m’a déçue. En tant que fan de longue date de littérature américaine, j’en attendais sans doute plus et mieux. Plus, car si les personnages sont intéressants, ils ne sont pas assez approfondis à mon goût. Mieux, car le livre est parsemé de légères maladresses d’écriture qui peuvent heurter la lecture, mais cela est peut-être dû à une traduction approximative. Dommage. J’ai choisi néanmoins d’en parler car cela reste, dans le genre, un excellent livre, le premier d’un auteur dont je pense intéressant d’aller découvrir la suite de l’œuvre, ce que je ne manquerai pas de faire. Là où les lumières se perdent est un roman comme seuls savent les écrire les Américains. Des villes un peu paumées, tout comme leurs habitants, de l’alcool, de la misère sociale sur fond de désespoir et, bien sûr, de la violence. Beaucoup de violence.

Jacob est le fils du baron local de la drogue. Garage destiné à blanchir l’argent, fréquentations douteuses, flics achetés pour assurer sa tranquillité et pas une once d’humanité, le père est clairement un type à éviter. Jacob le sait mais vit dans l’idée qu’il ne sortira jamais du cercle infernal de sa filiation. Il a abandonné l’école et traîne sans but ni espoir. Le problème est que Jacob n’est pas un vrai dur, il ne le sera jamais. C’est son amie d’enfance et ex-petite amie Maggie, bonne élève sur le point de quitter la ville pour l’université, qui lui donnera enfin une lueur d’espoir. Rien ne se passera cependant comme prévu mais je n’en dévoilerai pas plus.

Le personnage de Jacob est puissant et attachant, empreint d’une mélancolie désespérée ; certaines scènes (celles avec sa mère notamment) sont particulièrement réussies, et l’ensemble coche toutes les cases du roman noir. Pas de raison de ne pas se laisser tenter lorsqu’on est amateur !

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David Joy
Là où les lumières se perdent

Traduction : Fabrice Pointeau
Sonatine
2016

À lire, du même auteur : Ce lien entre nous

Le passager

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Littérature étrangère (USA)
Par Marie-Hélène Moreau

La série Nos monuments de la littérature américaine et l’article de Daniel Kunstler sur De si jolis chevaux m’ont donné envie de lire Le passager de Cormac McCarthy.

Cet écrivain américain, décédé en 2023 à quatre-vingt-dix ans, possède le statut intimidant de monstre de la littérature. Pas seulement parce qu’il a gagné le National Book Award (pour De si jolis chevaux) et le prix Pulitzer (pour La route) mais pour l’ensemble de son œuvre et la teinte inimitable qu’il donne à ses romans, cette espèce de mélancolie poignante qui imprègne tous ses personnages. Le passager n’échappe pas à la règle.

Difficile de résumer ce roman. Des plongeurs qui entrent dans l’épave d’un avion, une tempête sur une plate-forme pétrolière, une fille qui parle avec un drôle de petit bonhomme pourvu de nageoires, de mystérieux agents fédéraux, le traumatisme de la bombe nucléaire, un asile d’aliéné, un violon et mille autres choses, des personnages qui passent et qui meurent, des lieux improbables…  Tout cela forme le décor dans lequel évolue le personnage principal du livre, Bobby Western. Bobby Western traîne son deuil sur les plus de cinq cents pages du roman. Le deuil de sa sœur morte quelques années plus tôt et dont il était fou amoureux. Le deuil de sa sœur, schizophrène peut-être, qu’il n’a pas su sauver. Un deuil dont il ne se remet pas.

Non, il est décidément impossible de résumer ce roman. Comme tous les romans de Cormac McCarthy, il faut s’y plonger, accepter de ne pas tout comprendre et se laisser entraîner par la douloureuse mélancolie des personnages. Se laisser porter, aussi, par cette écriture sombre et puissante, traversée de somptueuses fulgurances poétiques. Peut-être pas le roman le plus facile d’accès pour découvrir cet auteur extraordinaire (La route ou De si jolis chevaux sont sans doute plus indiqués) mais assurément, un roman qui vaut la peine de faire un effort de lecture.

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Cormac McCarthy
Le passager

L’Olivier
2023

La fille qu’on appelle

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Littérature française
Par Marie-Hélène Moreau

Max Le Corre est boxeur. Un vieux boxeur qui rêve d’un retour sur le ring et s’y prépare contre plus jeune que lui. Pour vivre, il conduit la voiture de fonction du maire de cette petite ville de bord de mer qu’il n’a jamais quittée, contrairement à sa fille Laura. Laura qui revient, justement, et qui cherche un logement alors quoi de plus naturel lorsqu’on est son chauffeur que de demander au maire un petit coup de pouce ? Mauvaise idée.

Chronique désabusée des relations humaines dans lesquelles le pouvoir est mis au service de la satisfaction du plaisir des hommes et où le mépris de classe le dispute au clientélisme politique, le roman de Tanguy Viel est bien dans l’air d’un temps où il est de bon ton de critiquer les politiques et les élites de tous poils en les parant de tous les vices. Un peu facile, sans doute, mais en l’espèce sacrément bien fait. Caricatural ? Peut-être un peu aussi, oui. N’empêche, il y a du style dans ce roman et c’est ce qui rend sa lecture aussi intéressante – presque addictive – même si certains seront sans doute déstabilisés par ces longues phrases qui se perdent parfois au point qu’on doive les relire. Un style indéniable, donc, et un sens certain de la narration et des personnages. Max en boxeur magnifique et déchu, Laura, si jeune, si belle, en proie idéale d’un maire libidineux, Bellec et son costume blanc, en patron de casino peu scrupuleux… Tous, même s’ils peuvent sembler sans surprise tant ils suivent un destin tout tracé, sont chacun à sa manière profondément attachants, hormis le maire, affreux politicard prêt à tout pour satisfaire son plaisir et son ambition. Il passe à travers ce roman le sentiment vague mais entêtant que tout cela ne changera jamais. Un peu désespérant… 

Inclus dans la première sélection pour le Goncourt 2021, ce qui n’est pas rien, La fille qu’on appelle n’aura finalement pas accédé à l’étape suivante. Ce n’est certainement pas une raison pour ne pas le lire !

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Tanguy Viel
La fille qu’on appelle

Les Éditions de Minuit
2021

Ce que je sais de toi

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Littérature francophone
Par Marie-Hélène Moreau

Multiprimé et encensé par une large majorité du public, ce premier roman dispose de nombreux atouts pour plaire au lecteur. Une narration qui s’étale sur près de quarante ans entre l’Égypte et le Québec, une histoire de famille où se mêlent conventions sociales, recherche d’identité, et amours contrariées, le tout servi par une belle écriture et des effets de style qui donnent au roman une indéniable profondeur.

Éric Chacour, né à Montréal de parents égyptiens, nous entraîne tout d’abord dans l’Egypte des années soixante jusqu’aux années quatre-vingt où il dépeint avec subtilité le carcan social dans lequel se débat Tarek, personnage central du roman. Entre carrière professionnelle toute tracée, milieux sociaux profondément inégalitaires et mœurs corsetées, ce dernier s’exilera finalement au Québec pour ne revenir qu’à la mort de sa mère au début des années deux mille.

Tous les sujets évoqués dans le livre – et ils sont nombreux ! – sont passionnants. C’est sans doute là que réside une des clés de son succès. L’Egypte multiculturelle des années soixante, qui peu à peu se referme sur elle-même, donne un cadre historique particulièrement intéressant à la première partie du roman tandis que la description de la famille de Tarek, famille de notables ouverts à la culture, notamment française, éclaire les clivages d’une société en pleine mutation. La seconde partie dans laquelle apparaissent quelques scènes de la vie de Tarek au Québec semble par comparaison moins réussie. Sans doute l’idée est-elle de montrer ici le déracinement causé par l’exil mais je n’ai pour ma part pas été totalement convaincue. J’ai surtout regretté que le cœur du récit, l’histoire d’amour contrariée vécue par Tarek manque de chair et d’incarnation. Cela aurait donné une profondeur supplémentaire au récit qui, selon moi, reste sur cet aspect assez froid et comme distancié.

Malgré ces quelques réserves (qu’une grande majorité de lecteurs ne partagent à l’évidence pas !) Ce que je sais de toi est sans nul doute un roman à découvrir et Eric Chacour un auteur à suivre.

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Éric Chacour
Ce que je sais de toi
Éditions Philippe Rey
2023

De sang-froid

Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE

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Par Marie-Hélène Moreau

Oeuvre immense de la littérature américaine, De sang-froid est ainsi sous-titré : Récit véridique d’un meurtre multiple et de ses conséquences. On ne saurait dire mieux car il ne s’agit nullement ici d’une œuvre fictionnelle, mais du compte-rendu implacable d’un fait divers.

Dans les années cinquante, dans une petite ville tranquille du Kansas, deux délinquants tuent sans raison apparente les quatre membres d’une même famille. Ils seront rattrapés, condamnés et exécutés. Truman Capote, passionné par cette affaire, passera des mois à rencontrer et interroger tous les protagonistes, y compris les accusés. Il en tirera ce texte dense et passionnant, et en restera passablement traumatisé, plongeant dans une profonde dépression.

La construction du livre est particulièrement intéressante. Au lieu de se situer directement après le crime, l’auteur choisit de démarrer son récit dans les heures le précédant, présentant alternativement les derniers moments de la famille assassinée et ceux de leurs assassins en chemin. Saisissant contraste. D’un côté les Clutter, famille respectée de fermiers, un mère fragile des nerfs, un père bienveillant, une fille adolescente appréciée de tous ainsi que son jeune frère. De l’autre, deux jeunes hommes au passé délinquant, l’un issu d’une famille dysfonctionnelle, affublé de surcroît d’un handicap physique, le second pétri de frustrations. Rien ne devait faire se croiser leurs chemins. Le crime en lui-même ne sera décrit que tardivement dans le livre comme si, au-delà des terribles faits, ce qui intéresse surtout l’auteur est de comprendre ce qui a pu pousser ces deux hommes à le commettre. On suit ainsi longuement leur cavale et leur emprisonnement. De nombreuses lettres, de proches notamment, tentent par ailleurs d’apporter des réponses en dressant d’eux des portraits troublants.

L’auteur ne les juge jamais. Il rapporte simplement des faits et décrit en détail les relations entre tous les protagonistes, victimes, coupables, mais aussi forces de l’ordre et habitants de la paisible ville dans laquelle le crime s’est produit. Plus que la simple chronique d’un fait divers, De sang-froid dresse ainsi le portrait d’une certaine société américaine. Il pointe également les faiblesses du système judiciaire américain dont la peine de mort reste un élément clé.

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Truman Capote
De sang-froid

Titre original : In Cold Blood, 1966
Disponible en Folio
Traduction : Raymond Girard

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