Une vraie mère… ou presque

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Liitérature française
Par Catherine Chahnazarian

Didier van Cauwelaert, un Niçois au nom et à l’humour belge, harmonieux mélange d’énergie et d’inventivité, a un fameux palmarès. À 65 ans, il a signé 50 livres dont une grande majorité de romans, et reçu 17 prix dont un Goncourt. Et Pierre, le narrateur d’Une vraie mère… ou presque, est comme lui écrivain. Ayant écrit sur son père un livre à succès et toujours refusé à sa mère d’en écrire un sur elle, le voilà démuni, après la mort de celle-ci. Parler d’elle, finalement, pourquoi pas, mais comment aborder le sujet ? Une femme haute en couleurs avec laquelle la relation n’a pas toujours été facile, Niçoise pur jus dont il hérite de l’appartement et de la voiture, une Renault Fuego avec laquelle il se met à perdre des points… sur le permis de conduire de la disparue. Bien sûr, vient un moment où ça pose problème. Et une solution se présente en la personne d’une Niçoise tout aussi haute en couleurs que la mère de Pierre, à mi-chemin entre la folie et la manipulation, insupportable pot de colle dont on espère pour lui qu’il parviendra à se dépêtrer.

Le ton typique de l’auteur, celui de la comédie enlevée, un peu grinçante et pleine d’esprit, laissera progressivement de la place, au fil des rebondissements, à une thématique sérieuse : aux tournants de nos vies (mariages, divorces, naissances, décès…) l’auto-dérision ne suffit pas toujours, elle a besoin de l’introspection pour ne pas partir en vrille, et si Didier van Cauwelaert nous attire en nous faisant rire, il nous retient en nous touchant aussi. Le regard que nous portons sur eux se fragilise souvent au décès de nos parents, laissant place aux autres personnages qu’ils ont pu être, plus ou moins inconnus de nous, différents en tout cas de ce qu’on avait considéré jusque-là.

Un court roman (159 pages de plaisir) qui peut se lire d’une traite pour tirer le meilleur profit du rythme, du ton, du suspense, de l’absurde aussi, et prendre une bonne giclée de légèreté ironique.

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Didier van Cauwelaert
Une vraie mère… ou presque
Albin Michel
2022

Publié également au Livre de Poche

Lien : le site officiel de l’auteur.

Comment j’ai retrouvé Xavier Dupont de Ligonnès

Littérature française
Par François Lechat

Depuis la parution de L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, on connaît le talent de Romain Puértolas pour la fantaisie, les péripéties improbables, l’humour à froid. Mais on se rappelle moins le fait qu’il a été, entre autres, capitaine de police. Ce sont ces deux facettes de son parcours qu’il fait fusionner dans ce récit imaginaire centré sur le fugitif le plus célèbre de France, que le narrateur, au terme d’un jeu assez savoureux de fausses pistes, aurait fini par retrouver par hasard, en voisin dans un trou perdu. Et qu’il a tué à coups de couteau à beurre, en situation de légitime défense, selon lui, comme on l’apprend dès la deuxième page…

La suite dans le roman, entre l’enquête, la Cour d’assises et le parcours rêvé ou supposé de XDDL tout autour du globle.

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Romain Puértolas
Comment j’ai retrouvé Xavier Dupont de Ligonnès

Albin Michel
2024

Disponible aussi au Livre de Poche

Mon coeur a déménagé

Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux

Ophélie n’a que sept ans lorsque son père, un homme que les effets conjugués de l’alcool et de la drogue rendent de plus en plus violent, réclame une fois de plus de l’argent à Maja, sa compagne. Celle-ci refuse mais prend réellement peur et supplie par téléphone Vidame, l’assistant social qui est en charge de la famille, de venir à son secours. Il refuse, sous un prétexte à la fois légitime et discutable. Alors Maja, terrifiée et soucieuse de ne pas mettre Ophélie en danger, se sauve et l’on retrouve son corps sans vie sur la voie rapide. La thèse du crime est privilégiée et le mari alcoolique et drogué est immédiatement soupçonné d’en être l’auteur. Il est arrêté et condamné à une lourde peine de prison. Ophélie est placée en foyer, elle y passe plusieurs années et sa vie n’est pas facile. Or pour elle, le vrai coupable, c’est celui qui a été appelé d’urgence par une femme en danger et qui a refusé de venir à son secours. Pendant plusieurs années elle va alors tout mettre en œuvre pour venger sa mère, menant sa propre enquête. Elle consacrera tout son temps à établir ce qu’elle pense être la vérité. Le roman est donc à la fois policier, psychologique et social.

Si le lecteur est vite happé par cette poursuite de la vérité qui dure plusieurs années, il est aussi saisi par la personnalité ambigüe de la jeune héroïne et la difficile mission des travailleurs sociaux.

Comme toujours, le suspense est maintenu jusqu’à la fin vers un dénouement qui n’est pas forcément celui qu’on attendait. Le principal intérêt de ce roman réside évidemment dans le thème mais surtout dans l’ambigüité des personnages…

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Michel Bussi
Mon coeur a déménagé
Presses de la Cité
2024

Paradise Garden

Littérature allemande
Par Sylvaine Micheaux

Un joli premier roman.

Billie, 14 ans, vit seule avec sa mère Marika, d’origine hongroise. HLM, deux boulots pour la mère, ce n’est vraiment pas la richesse, mais Marika a plein de fantaisie et d’imagination pour créer à sa fille la vie la plus heureuse possible. Certes, Billie aimerait en savoir plus sur son père inconnu, mais sa mère élude sans cesse la question.

Alors qu’elles projettent toutes les deux de partir enfin en vacances, pas forcément loin et en dormant dans l’auto, mais des vacances quand même, arrive la mère hongroise de Marika, qui va totalement bouleverser leur vie, jusqu’à un accident fatal. Billie se retrouve seule, en plein désarroi. Que faire ? Suivre en Hongrie la grand-mère pas très chaleureuse qu’elle connait à peine ou essayer à tout prix de trouver ce père dont elle retrouve de vagues traces : un morceau de photo déchirée et un ticket de caisse d’une ville du Nord, en bord de mer.

Cette toute jeune fille va alors se lancer dans un road-trip solitaire en Allemagne.

Une héroïne lumineuse, intelligente et pleine de ressources. On découvre l’Allemagne d’aujourd’hui, qui a aussi son lot de pauvreté, de problèmes d’immigration, de racisme dans les cités difficiles.

L’écriture est belle et on lit ce roman d’une traite ou presque.

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Elena Fisher
Paradise Garden

Gallmeister
2025

Absolution

Littérature étrangère (USA)
Par François Lechat

Comment la bonne conscience peut-elle se fissurer, dans le contexte de la présence américaine au Vietnam dans les années 1960 ? Comment une Américaine sage et tranquille, amoureuse de son mari et désireuse de devenir mère, peut-elle sortir des sentiers battus et se découvrir plus forte qu’elle ne le croyait ?

Alice McDermott répond à ces questions dans un récit déployé soixante ans après les faits, à l’intention d’une lectrice qui n’était qu’une petite fille à l’époque. La clé du livre réside dans la place centrale qu’y occupent les femmes, alors que le contexte colonial et le lieu, Saigon, inclinaient à se focaliser sur les hommes et leur pouvoir.

Ici, c’est une femme apparemment cynique et désinvolte qui fait bouger les lignes en faisant fabriquer des Barbie saïgonnaises à destination d’une léproserie. Les contacts se font de femme à femme, perçant les frontières entre les maîtresses de maison et les domestiques, entre les Blancs et les Vietnamiens, entre les générations aussi. Cela n’empêche pas l’Histoire de dérouler ses événements, qui permettront de faire entrer en scène un séduisant médecin militaire. Mais c’est bien à l’échelle individuelle que le récit progresse, par petites touches qui décortiquent les rapports entre les genres et entre les classes, avec une intelligence aiguë et d’excellents dialogues.

Absolution est un roman d’une grande élégance, féministe et décolonial sans jamais verser dans la colère ni dans la théorie. Juste un miroir aux effets grossissants, révélateurs.

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Alice McDermott
Absolution

La table ronde
2024

Traduction : Cécile Arnaud

La Croisière Charnwood

Littérature étrangère (Grande-Bretagne)
Par Marie-Hélène Moreau

Écrivain britannique de romans policiers à énigmes, Robert Goddard rencontre un grand succès chez les amateurs du genre, notamment avec L’énigme des Foster, déjà chroniqué sur le présent blog. Pas forcément un auteur vers lequel je me dirigerais spontanément, mais les hasards des lectures de vacances m’ont mis entre les mains La Croisière Charnwood et, sans crier au chef-d’œuvre, j’avoue m’être laissé prendre par ma lecture.

Nous sommes au tout début des années trente. Deux Anglais, amis de collège et de guerre – la Première Guerre mondiale est encore dans tous les esprits -, par ailleurs escrocs, naviguent sur un transatlantique qui les ramène des États-Unis où leurs « affaires » ne se sont pas aussi bien passées que prévu. À bord, ils rencontrent Vita Charnwood et sa nièce Diana, héritières d’un empire financier, et y voient immédiatement l’opportunité de se refaire en séduisant cette dernière qui se trouve être d’une beauté renversante, ce qui ne gâte rien.

S’ensuit une histoire pleine de rebondissements, de trahisons et de complots en tous genres, qui se laisse lire sans ennui. Personnages attachants et plus complexes qu’attendu – Guy en escroc cynique rattrapé par le doute, notamment -, écriture fluide quoiqu’un peu trop sage à mon goût, description d’une époque délicieusement surannée, voilà un cocktail ma foi assez réussi même si certains le trouveront un peu fade comparé aux thrillers gore à la mode. Question de goût. La perspective historique du roman donne au livre le piquant qui lui manquerait sans doute un peu, c’est vrai, mais je n’en dévoilerai pas ici la teneur pour laisser au lecteur le plaisir de la découverte.

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Robert Goddard
La Croisière Charnwood

Sonatine Éditions
2018

Aussi au Livre de Poche
Traduction : Marc Barbé

Panorama

Littérature française
Par Sylvaine Micheaux

Je goûte peu les livres d’anticipation dystopiques, mais celui-ci, qu’on m’a offert, est plutôt une belle surprise.

En 2029, suite à un énième crime impuni, la France sombre dans la « Rivenge Week », révolution sanglante quand les victimes de viols, de crimes impunis (ou leurs proches) ont entrepris de se faire justice eux-mêmes. Pour arrêter les massacres, le gouvernement promeut une nouvelle loi : c’est le début de l’ère de la Transparence. Désormais, les habitants vivront dans des bâtiments aux murs totalement transparents, de même pour les administrations, écoles, etc. Dans un monde livré à la vue de tous, les crimes, viols, incestes  ne pourront plus avoir lieu. Et au moindre pas de travers, toute la population sera amenée à juger le présumé coupable, qui devra assurer seul sa propre défense.

En 2049, la délinquance a quasiment disparu dans ces quartiers de verre. Les policiers sont devenus de simples agents de protection qui s’ennuient. Mais dans le quartier le plus huppé de la ville, qui a en plus sa propre milice citoyenne, un couple et leur jeune fils disparaissent, volatilisés en pleine journée. Comment est-ce possible quand tout est visible, quand tout le monde surveille en permanence tout le monde ? Seuls coupables possibles : les habitants des Grillons, le quartier surpeuplé et malfamé où vivent ceux qui ont refusé cette transparence, par idéologie ou par manque de moyens !

Sous couvert d’une petite enquête policière, Lilia Hassaine nous décrit un monde effrayant grangréné par la montée des populismes et la perte des libertés fondamentales. Un monde où tout le monde vit sous l’oeil des autres… On pense sans problème à notre monde actuel, à ses réseaux sociaux omniprésents, surtout que le début de l’histoire se passe en 2029, quasiment demain.

Un panorama cauchemardesque qui surfe sur les tendances actuelles.

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Lilia Hassaine
Panorama

Gallimard
2023

Disponible en Folio

Voir aussi notre article sur Soleil amer, de la même autrice.

Le manoir des glaces

Policiers et thrillers
Par Julien Raynaud

Un manoir isolé, une tempête de neige. Quatre personnes bloquées là et une qui devrait l’être mais qui est introuvable tant le domaine est grand. Une ambiance à la Shining donc, mais sans folie ni surnaturel. Juste le passé qui s’en mêle, et les secrets. Ajoutez à cela le récit d’évènements qui se sont déroulés dans le même lieu cinquante ans plus tôt. Mélangez le tout avec une héroïne certes un peu pénible mais qui souffre de prosopagnosie (elle ne se souvient pas des visages), ce qui va être intéressant pour une intrigue assez diabolique et bien amenée.

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Camilla Sten
Le manoir des glaces

Seuil
2023

Ces mensonges qui nous lient

Policiers et thrillers
Par Sylvaine Micheaux

Jack a 9 ans quand son père disparait de sa vie : Michael a en effet tué plusieurs hommes et a monnayé son immunité et son entrée dans le programme de protection des témoins en dénonçant son patron mafieux.

De nos jours, Jack est devenu un écrivain à peu de succès et qui tire le diable par la queue. Mais, grande chance, il est contacté par Gwen, une des responsables du programme de protection des témoins. Elle lui propose, moyennant finances, d’inventer des CV pour les futurs bénéficiaires de la protection qui vont devoir changer d’identité et s’inventer un nouveau passé. Peut-être un moyen pour Jack, aidé de sa petite amie journaliste, de retrouver ce père tant aimé et qu’il n’a pas revu ?

Un roman policier efficace, qui nous plonge dans un monde plutôt inconnu, celui de la protection de ces  témoins qui ont tout quitté pour se fondre dans l’anonymat.

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Linwood Barclay
Ces mensonges qui nous lient
Belfond Noir
2025

Vers un nouveau genre littéraire ?

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Littérature française
Par François Lechat

Assiste-t-on à la naissance d’un nouveau genre littéraire ? Ou, plus modestement, d’un nouveau type de romans, qu’on pourrait appeler la littérature féministe masculine ? On peut le penser à la lecture de deux titres récents qui présentent d’étranges points communs.

Dans les deux cas, l’auteur est un homme pratiquant un métier au contact de la réalité : policier pour l’un, journaliste pour l’autre. Dans les deux cas, le personnage principal du roman occupe une position sociale enviable, porteuse d’un certain pouvoir : directeur de la police des polices pour l’un, professeur d’université pour l’autre. Dans les deux cas, ce contre-héros est marié, apparemment heureux, et a des enfants avec son épouse légitime : il incarne, non seulement la masculinité toxique, mais l’ordre social en général — dont il s’agit de montrer la face cachée. Dans les deux cas, ce personnage a une vie extra-conjugale, secrète et hautement délétère, génératrice d’une forme d’emprise. Dans les deux cas, les épouses trompées et les femmes de l’ombre devront parcourir un chemin difficile pour sortir de leur condition de victime. Dans les deux cas, un couple lesbien est mis en scène, comme s’il fallait suggérer que c’est là une manière sûre de se soustraire à la domination masculine. Dans les deux cas, une femme forte, juge d’instruction ou psychologue près des tribunaux, œuvre à la manifestation de la vérité. Dans les deux cas enfin, le coup de théâtre final se devine plus ou moins nettement en cours de route, comme l’accomplissement nécessaire d’un chemin d’émancipation féminine.

Ces deux romans ne sont pas pour autant des livres à thèse, lourdement démonstratifs : ils offrent une véritable intrigue et des personnages crédibles. Comme un papillon, qui est plus dense et court qu’On ne sait rien de toi, s’achève même sur le mode du thriller. Mais de part et d’autre, le cœur du propos est bien la prise de conscience, non pas des hommes, indécrottables, mais des femmes, qui devront en payer le prix.

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Fabrice Tassel
On ne sait rien de toi

La Manufacture de livres
2025

Christophe Molmy
Comme un papillon

La Martinière
2025

Lune froide sur Babylon

Littérature américaine
Par François Lechat

Il y a deux dimensions dans les romans de Michael McDowell publiés par Monsieur Toussaint Louverture. D’une part, une dimension réaliste, presque matérialiste, avec des rapports de force, des conflits familiaux, de l’âpreté au gain, des conditions de vie difficiles. D’autre part, une dimension fantastique, avec des métamorphoses, des dons improbables, des fantômes, des êtres à mi-chemin de l’humanité et de l’animalité.

La saga Blackwater, le chef-d’œuvre de l’auteur, mêle les deux dimensions de manière particulièrement habile. Les Aiguilles d’or, elles, relevaient de la veine réaliste, tandis que Katie, plaisant mais moins réussi, lorgnait franchement vers le fantastique. Lune froide sur Babylon joue à nouveau sur les deux registres, mais paraît faible en comparaison des premiers titres cités. La part réaliste de l’intrigue, entre pulsions sexuelles et intérêts financiers, est solide mais sans réelle surprise, tandis que la dimension fantastique, très bien mise en scène, devient un peu répétitive à la longue. J’ignore ce qui a guidé l’éditeur dans la programmation de sa « Bibliothèque Michael McDowell », mais après un double début en fanfare (Blackwater et Les Aiguilles d’or, en 2022 et 2023), la qualité des titres s’amenuise. Il reste qu’on lit Lune froide à Babylon avec plaisir grâce au style direct et concis de l’auteur, et que la couverture du volume est toujours une réussite chez Monsieur Toussaint Louverture.

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Michael McDowell
Lune froide sur Babylon

Éditions Monsieur Toussaint Louverture
2024

Permission

Littérature américaine
Par François Lechat

Il me semble qu’il y a un malentendu à propos de ce roman. La critique, très favorable, en retient volontiers le traitement de l’intimité, de la sexualité, des rituels propres à l’univers du sado-masochisme. Et de fait l’héroïne, jeune actrice qui cherche à percer à Los Angeles, est en proie au désir masculin et va être initiée aux pratiques de domination et de masochisme au détour d’une aventure amoureuse. Mais tout cela reste en fait très sage, essentiellement cérébral, et le livre est surtout de type psychologique. Avec une place aussi importante faite aux parents (un père disparu, une mère assez dysfonctionnelle) qu’à la vie intime, et ces notations subtiles mais un peu mystérieuses qui sont fréquentes dans les romans américains d’un certain niveau. Le plus intéressant, ici, est la démystification du sado-masochisme, qui apparaît comme un rituel très codifié, sans risque ni excès, demandé par des hommes doux et sensibles qui ont paradoxalement besoin d’obéir à une dominatrice pour se sentir aimés, désirés, considérés. Le roman aurait été plus fort, à mon avis, s’il s’était rapidement et résolument centré sur ce thème, au lieu d’en brasser d’autres qui sont plus convenus. Et s’il était doté d’un peu de suspense, de rebondissements, plutôt que de cultiver un style introspectif. Il est quand même très exagéré d’écrire, comme le fait l’éditeur, que « dans un Los Angeles de sexe et de pouvoir dont le décor s’effrite, Saskia Vogel nous emporte au plus profond des intimités émotionnelles et met son écriture […] au service d’une exploration inédite de désirs extrêmes ». Il reste, comme je l’ai dit, la découverte d’un univers rarement traité dans la littérature de qualité depuis la fameuse Vénus à la fourrure de Sacher-Masoch.

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Saskia Vogel
Permission

Traduction : Valérie Le Plouhinec
Éditions de La croisée
2025

L’Âge de détruire

Littérature française
Par Jacques Dupont

La relation d’une mère et sa fille, en deux tableaux.

Tableau de l’âge un : La mère est angoissée et violente. Sa fille l’a vue se rouler par terre en rue, s’évanouir « pour qu’on lui vienne en aide, chercher des mains qui la soutiennent, courir après une sensation de solidité ». Elle cherche un appui auprès de sa fille, la rejoint dans son lit…

Tableau de l’âge deux : C’est l’heure des critiques acides. La mère reproche à la fille de tout rendre compliqué, d’être ingrate, de ne pas croquer la vie à pleines dents. Elle porte aux doigts trois bagues dont elle a hérité de sa propre mère. La grand-mère giflait la mère, la mère a giflé sa fille. Les pierres incrustées dans les bagues ont lacéré leur visage. La mère cède ses bagues à sa fille…

Une scène inattendue, violente, effarante, clôt le récit, où rien ne se transmet sinon violence, angoisse et destruction… sans autre forme de réflexion.

Le livre est écrit avec soin, l’histoire est bien menée et cohérente, même si je trouve le récit peu incarné. Mais pourquoi un roman aussi sordide ? Que veut montrer Pauline Peyrade ?

À lire si vous aimez le noir sans issue.

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Pauline Peyrade
L’Âge de détruire

Editions de Minuit
2023

Existe en poche

La Gloire de Notre-Dame

Essais, Histoire
Par François Lechat

Vu son ampleur (plus de 400 pages, avec les illustrations, les notes et l’index des noms propres), ce livre a certainement été entamé avant l’incendie qui a ravagé la cathédrale de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019. On imagine donc l’émotion de l’autrice devant ce qu’elle appelle cet « événement monstre », qu’elle évoque de manière à la fois sensible, savante et discrètement ironique dans sa préface – car l’entreprise de reconstruction a donné lieu à une de ces comédies humaines dont les élites françaises ont le secret.

« La Gloire de Notre-Dame » est à la fois le titre de l’ouvrage et celui de sa première partie, qui restitue la place de la cathédrale dans l’évolution de l’architecture, dans la vie religieuse française et dans la culture littéraire et picturale. On y suit les avatars d’un lieu tantôt central tantôt en crise, qui a été objet de soins, de convoitise et de jalousie tout au long des siècles.

La deuxième partie du livre, la plus passionnante à mes yeux (mais c’est affaire de perspective), inscrit l’histoire de Notre-Dame dans les tensions entre « Le Pouvoir et le Sacré », entre l’affirmation de l’autorité royale ou républicaine et l’ambition dominatrice de l’Eglise. C’est l’occasion de revisiter l’histoire de la laïcité française du Moyen Age à nos jours et de découvrir l’extraordinaire ambiguïté de ces relations entre pouvoir profane et pouvoir religieux, chacun d’entre eux étant loin d’être monolithique.

La troisième partie enfin, la plus vivante et la plus surprenante, est consacrée à « Viollet-le-Duc le mal-aimé ». On y découvre dans sa complexité ce personnage méconnu d’architecte restaurateur, au caractère bien trempé mais maladroit, et dont la carrière fut tout sauf un long fleuve tranquille. Ici encore, c’est un certain fonctionnement des élites culturelles qui transparaît sous une mine d’informations.

Vous l’aurez compris, ce livre est incontournable si vous vous intéressez à Notre-Dame, ou aux relations entre pouvoir profane et pouvoir religieux en France. Mais il se mérite : écrit dans une langue dense et impeccable, il demande un effort de lecture et s’adresse à un public qui connaît une partie au moins du vocabulaire architectural et religieux inhérent à un tel sujet. Ce qui ne doit pas empêcher d’apprécier des détails, comme le fait que la flèche qui s’est effondrée en 2019 pesait à elle seule 750 tonnes…

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Maryvonne de Saint Pulgent
La Gloire de Notre-Dame

Éditions Gallimard
2023

Un jour d’avril

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Littérature étrangère (USA)
Par Marie-Hélène Moreau

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son titre, le roman de Michael Cunningham nous embarque en fait pour trois jours d’avril espacés chacun d’une année. Sur cette période, l’auteur suit le quotidien des membres d’une famille et nous décrit leur évolution au fil de ces trois années marquées en leur milieu par la période du covid.

Dan et Isabel vivent à Brooklyn avec leurs deux enfants. Dan tente de renouer avec un début de carrière avortée dans le rock tandis qu’Isabel rêve d’aller vivre à la campagne et s’interroge sur son mariage. Leur fils Nathan, pré-ado, expérimente un début d’indépendance et donc de rébellion, tandis que Violet, la petite dernière, rêve en robe de princesse. Vit sous le même toit Robbie, le frère d’Isabel, devenu prof plus par opposition à son père que par passion, et qui sort d’une nouvelle déception amoureuse. Gravite autour de ce noyau le frère de Dan, Garth, qui tente, mais sans grand succès, de garder le lien avec la femme avec qui il a conçu un enfant.

Rêves avortés, difficultés de la vie à deux, tentatives de prendre un nouveau départ, Un jour d’avril est une chronique douce-amère d’une vie ordinaire dont chacun à sa manière cherche à se sortir, Robbie allant même jusqu’à se créer un double fictif sur Instagram. L’originalité ici tient à cet espace-temps découpé en trois parties distinctes, une matinée d’avril 2019, un après-midi d’avril 2020 en plein confinement et une soirée d’avril 2021. Les personnages vieillissent, grandissent, se posent encore et encore les mêmes questions sans réellement parvenir à trouver des réponses.

Si le propos est intéressant et assurément subtil – qui, après tout, ne s’est pas un jour posé ce genre de questions ? -, il ne parvient pas totalement à passer l’écueil de l’ennui de lecture. Un style parfois trop ampoulé ajoute peut-être à cette impression. Il s’en dégage néanmoins un charme certain.

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Michael Cunningham
Un jour d’avril

Traduction : David Fauquemberg
Édition du Seuil
2024

De Michael Cunningham également, De chair et de sang, par François Lechat.

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