Et c’est ainsi que nous vivrons

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Littérature étrangère (U.S.A.)
Par François Lechat

Dans une précédente critique (sur La symphonie du hasard), j’ai expliqué pourquoi la réputation de Douglas Kennedy me semblait surfaite. Je n’ai pourtant pas hésité à lire son dernier roman, tant son thème est essentiel.

Kennedy se projette en 2045, à un moment où les U.S.A. se sont scindés en une Confédération unie, qui rassemble les États ultra-conservateurs et religieux du centre et du sud, et une République unie, qui rassemble les États de sensibilité démocrate, essentiellement situés à l’est et à l’ouest. Autrement dit, Kennedy prend au sérieux la menace d’une nouvelle guerre de sécession alimentée par les délires trumpistes qui frappent une partie des États-Unis : difficile de faire plus actuel.

À cette première bonne idée s’en ajoute une autre : Kennedy n’oppose pas le Bien et le Mal, une démocratie libérale et progressiste à une république théocratique et autoritaire. Sa Confédération unie carbure à la gloire de Dieu et au rigorisme religieux (interdiction de l’avortement, de l’homosexualité…), mais elle préserve une certaine liberté au nom des valeurs originelles de l’Amérique. Et, symétriquement, la République unie imaginée par l’auteur est tolérante en matière de mœurs mais a organisé un étouffant système de surveillance électronique au nom de l’intérêt général. Le tabac et l’alcool, par exemple, sont sévèrement réprouvés, et personne n’échappe au contrôle des opinions.

Pour introduire de l’intime, du suspense et des rebondissements dans ce tableau glaçant, Kennedy imagine qu’une agente des services secrets de la République unie est chargée d’abattre, sur le territoire de l’État rival, un alter ego qui n’est autre que sa demi-sœur, dont elle ignorait l’existence jusque-là. Surveillée autant par ses chefs que par l’ennemi, et contrainte de se couler dans un personnage fictif pour ne pas être identifiée, Samantha Stengel sera ainsi entraînée dans une aventure dangereuse, déstabilisante et pleine de chausse-trappes, qui révèle au lecteur tous les dispositifs de surveillance mis en place par les deux États, à une époque – 2045 – où la technologie a encore fait des progrès. Kennedy mêle ainsi le thriller voire la SF à une réflexion politique interpellante, mais il retombe aussi dans ses travers : un peu trop de descriptions, de détails, d’analyses psychologiques. Il propose néanmoins un livre surprenant, qui ferait une formidable série télé.

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Douglas Kennedy,
Et c’est ainsi que nous vivrons

Traduction : Chloé Royer
Éditions Belfond
2023

Trente ans et des poussières

Jay McInerney, Trente ans et des poussières, L’Olivier, 1993 (Points, 2017)

Par François Lechat.

Normalement, je ne devrais pas parler de ce livre ici, puisqu’il est paru en français il y a 25 ans. Mais il s’agit du premier tome d’une trilogie dont le dernier volet vient de paraître en édition de poche, et que j’ai bien l’intention de lire intégralement.

Parfois, on ne tient pas ce genre de promesse. J’avais pris la même résolution après avoir lu le premier volume de La symphonie du hasard, de Douglas Kennedy [voir ici], et lorsque j’ai vu les deux derniers volumes en librairie, il y a quelques semaines, le souvenir du premier était tellement flou que j’ai renoncé à lire les suivants, qui ne me faisaient pas envie. A l’inverse, quand j’ai achevé Trente ans et des poussières, j’ai décidé d’acheter les deux derniers tomes au plus vite, car cette saga est bien plus consistante que celle de Kennedy.

L’ambition est la même : saisir l’histoire récente des Etats-Unis à travers un groupe de personnages assez ordinaires, lier la petite histoire à la grande. Mais chez McInerney, à la différence de Kennedy, on sent le souffle des événements, qui pour le premier tome se situent aux alentours du krach boursier de 1987. Et si ses personnages sont des archétypes, assez convenus a priori (le couple réussi, le milliardaire sans scrupule, la femme fatale, l’ami amoureux, le Noir discriminé, l’écrivain en panne d’inspiration…), il leur donne de la vie et de la puissance en les serrant au plus près, en entrant dans le détail de leurs joies et de leurs tourments, avec ces brèves notations psychologiques et sociales qui font le sel des grands romans américains. Je ne suis pas en admiration devant son style, parfois légèrement revêche (ce qui convient au sujet, car l’Histoire est tragique, évidemment), mais il crée un vrai suspense et réussit des scènes fortes. Je vous donnerai donc des nouvelles de la suite, qui se situe aux alentours du 11-Septembre.

Catégorie : Littérature étrangère anglophone (Etats-Unis). Traduction : Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso.

Liens : chez L’Olivier ; en Points. La critique des deux volumes suivants.

La symphonie du hasard

Douglas Kennedy, La symphonie du hasard. Livre 1, Belfond, 2017

Par François Lechat.

Je lirai sûrement le deuxième tome de ce Douglas Kennedy plus ambitieux que de coutume, mais j’en resterai peut-être là. Car si j’ai compris quelques ressorts de son succès, je reste hésitant sur son mérite. Il noue ici une histoire plaisante comme le sont les romans de campus américains, qui nous dépaysent, nous font rêver et nous offrent une belle brochette de personnages secondaires. Et Kennedy écrit de manière fluide, vivante, sans chichis. Mais cette « fresque à l’ampleur inédite », « portée par un souffle puissant » à en croire son éditeur français, est surtout banale et sans surprise, sauf un coup de théâtre vers la page 270… La narratrice est attachante parce que c’est une fille toute simple, et seul un personnage de professeur met du relief dans le récit. Alors que le thème est celui de la famille et de ses secrets (une découverte inouïe !), les frères et les parents sont, soit assez informes, soit peu crédibles, en tout cas lorsque le père et le frère de l’héroïne sont mêlés à un épisode majeur de géopolitique. Et, surtout, quelle idée de tout nous expliquer, de tout expliciter, des habits portés jusqu’au détail des menus et des réactions psychologiques de l’héroïne alors que, le plus souvent, tout cela aurait pu être tu ou suggéré ! Cela nous vaut quelques phrases assez laides, avec des tirets et des doubles points en bataille, comme si vraiment l’auteur craignait qu’on ne le comprenne pas. J’attendrai le deuxième tome pour juger, mais malgré quelques jolis passages cet auteur me semble surfait.

Catégorie : Littérature étrangère anglophone (USA). Traduction : Chloé Royer.

Liens : Chez l’éditeur. Voir aussi pourquoi François Lechat n’a finalement pas lu le 2e tome et ce qu’en pense Brigitte Niquet (voir commentaire après l’article de Fr. Lechat).

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