Un jour d’avril

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Littérature étrangère (USA)
Par Marie-Hélène Moreau

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son titre, le roman de Michael Cunningham nous embarque en fait pour trois jours d’avril espacés chacun d’une année. Sur cette période, l’auteur suit le quotidien des membres d’une famille et nous décrit leur évolution au fil de ces trois années marquées en leur milieu par la période du covid.

Dan et Isabel vivent à Brooklyn avec leurs deux enfants. Dan tente de renouer avec un début de carrière avortée dans le rock tandis qu’Isabel rêve d’aller vivre à la campagne et s’interroge sur son mariage. Leur fils Nathan, pré-ado, expérimente un début d’indépendance et donc de rébellion, tandis que Violet, la petite dernière, rêve en robe de princesse. Vit sous le même toit Robbie, le frère d’Isabel, devenu prof plus par opposition à son père que par passion, et qui sort d’une nouvelle déception amoureuse. Gravite autour de ce noyau le frère de Dan, Garth, qui tente, mais sans grand succès, de garder le lien avec la femme avec qui il a conçu un enfant.

Rêves avortés, difficultés de la vie à deux, tentatives de prendre un nouveau départ, Un jour d’avril est une chronique douce-amère d’une vie ordinaire dont chacun à sa manière cherche à se sortir, Robbie allant même jusqu’à se créer un double fictif sur Instagram. L’originalité ici tient à cet espace-temps découpé en trois parties distinctes, une matinée d’avril 2019, un après-midi d’avril 2020 en plein confinement et une soirée d’avril 2021. Les personnages vieillissent, grandissent, se posent encore et encore les mêmes questions sans réellement parvenir à trouver des réponses.

Si le propos est intéressant et assurément subtil – qui, après tout, ne s’est pas un jour posé ce genre de questions ? -, il ne parvient pas totalement à passer l’écueil de l’ennui de lecture. Un style parfois trop ampoulé ajoute peut-être à cette impression. Il s’en dégage néanmoins un charme certain.

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Michael Cunningham
Un jour d’avril

Traduction : David Fauquemberg
Édition du Seuil
2024

De Michael Cunningham également, De chair et de sang, par François Lechat.

De chair et de sang

Michael Cunningham, De chair et de sang, Belfond, 1995

Par François Lechat.

J’ai failli passer à côté de ce chef-d’œuvre, dont le titre et l’auteur me disaient vaguement quelque chose, mais sans plus. J’ai bien fait de suivre mon intuition, de me donner une chance de combler une lacune : c’est une réussite rare, impressionnante de maîtrise.

L’histoire est centrée sur l’évolution et la famille de Constantin, un immigrant grec qui tente de faire son chemin aux Etats-Unis, à Newark. C’est un homme de devoir, ambitieux et dur à la peine, pétri de valeurs traditionnelles, comme sa femme, Mary, une belle Américaine. Mais il a aussi ses failles et ses pulsions – de même que Mary, épouse modèle, s’applique à respecter l’étiquette en toute chose sans pour autant se défaire d’un sentiment d’angoisse et de gêne. Leurs trois enfants sont également déchirés entre le jeu des convenances et des aspirations parfois scandaleuses aux yeux de l’entourage, et donc soigneusement cachées : on n’a pas impunément de tels parents. Comment vivre sans vivre, ou quel prix payer pour sa liberté ? On sent, dans ce récit chronologique, procédant par des coups de projecteur chaque fois centrés sur un des personnages, tout le poids du conformisme américain et d’un sens authentique de la morale. Et puis ce drame propre aux migrants qui consiste à devoir s’élever pour réussir sa vie, à devoir se faire accepter par les autres pour s’accepter à ses propres yeux. Si le récit enjambe 1968 et se poursuit bien au-delà, il s’enracine dans un époque où la liberté était une conquête, où il n’allait pas de soi de vivre comme on l’entend, conformément à sa personnalité.

Michael Cunningham incarne tout ceci dans des personnages subtilement dessinés, qui attirent tous la sympathie malgré ce qui les sépare. Et dont les drames, pour certains, sont rendus avec une force inouïe : un des derniers chapitres, en particulier, est d’une beauté déchirante. Si vous aimez les grands romans du 19e siècle, ne manquez pas cette traversée du 20e.

Catégories : Redécouvertes, Littérature étrangère anglophone (U.S.A.). Traduction : Anne Damour.

Lien : sur Lisez.com 10/18 (épuisé en Poche ?)

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