V2

Robert Harris, V2, Belfond, 2022

— Par Catherine Chahnazarian

À Scheveningen, Hollande, l’ingénieur Graf, l’un des génies allemands à avoir mis au point les célèbres V2, bombes-fusées révolutionnaires capables de faire de terribles dégâts, sent approcher la défaite. De l’autre côté de la Mer du Nord, Londres subit les bombardements. Kay en fait l’expérience un matin qui aurait dû être gai, elle qui travaille à la Women’s Auxiliary Air Force et dont la mission est justement de tenter de repérer le pas de tir des V2 sur les photos prises par les aviateurs britanniques au-dessus des côtes néerlandaises. À Malines, Belgique, les Anglais ont installé leur QG dans un soldatenheim, un foyer allemand pour soldats, abandonné. Car nous sommes fin 1944. Les SS sont partout pour « remonter le moral des troupes », mais partout où les Allemands n’ont pas encore perdu la guerre. De quinze mètres de long, transportant une tonne de charge explosive et se déplaçant à trois fois la vitesse du son, les V2 sont le dernier espoir de l’Allemagne nazie.

Passionné d’Histoire, Robert Harris possède un talent particulier pour nous y intéresser. Il la fait revivre, dans son époque et ses décors, dans ses enjeux. Il l’humanise en créant des personnages fictionnels qui l’incarnent, qui à la fois répondent aux règles efficaces du roman à suspense et éclairent les mœurs, l’idéologie, les décisions et leurs conséquences — aux côtés des personnages historiques auxquels il redonne corps. Pas de héros spectaculaires, donc, mais des personnages réalistes, couards ou déterminés, froids ou amicaux, amenés ou pas à accomplir de beaux gestes. Ainsi en va-t-il des personnages principaux dans V2, aux côtés des personnalités folles qu’avaient produites ou utilisées l’Allemagne nazie. Le suspense repose sur des éléments voire des détails très variés, et titille aussi bien notre curiosité historique que notre sens de l’amitié, nous tient en haleine aussi bien sur des questions techniques que sentimentales ou sur l’évolution psychologique d’un personnage. Robert Harris publie environ un roman par an, que je lis en deux jours ; s’il les publiait en feuilleton, je serais totalement addict.

Alors que l’Ukraine se fait bombarder sans pitié, V2 (qui a été écrit avant la guerre) prend évidemment une résonance particulière.

Catégorie : Policiers et thrillers (Grande-Bretagne). Traduction : Anne-Sylvie Homassel.

Liens : chez l’éditeur ; toutes nos critiques de Robert Harris sont répertoriées à la lettre H du classement par auteur.

Enfant de salaud

Sorj Chalandon, Enfant de salaud, Grasset, 2021

— Par Catherine Chahnazarian

1987. Le narrateur couvre le procès de Klaus Barbie, « le Boucher de Lyon », cet ancien chef de la Gestapo retrouvé sur le tard en Bolivie et enfin jugé chez nous. La Seconde Guerre mondiale est une plaie ouverte pour ce journaliste qui n’est autre que l’auteur. De quel côté son père l’a-t-il faite ? Français ? Allemand ? Qu’a-t-il fait exactement entre 1940 et 1944 ? Rien n’est moins clair. Son histoire est même hallucinante. Son comportement au procès Barbie aussi. Ce procès historique qui rappelle ce que la guerre a eu de plus atroce (les tortures, les déportations…) et auquel le journaliste se rend quotidiennement, nous faisant entendre des récits horrifiants qui nous « tass[ent] sur [notre] chaise comme Vergès, la foule, la presse et le reste des vivants », et qui nous renvoient à notre devoir de mémoire.

Mais l’affaire Barbie est aussi habilement exploitée par l’auteur : elle rappelle ce dont son père pourrait avoir été complice, et constitue un terrain propice à l’empathie, car nous comprenons l’angoisse de ce fils partagé entre révulsion et fierté. Doit-il faire le procès de son père pour en avoir le coeur net ? Enfant de salaud est un roman sur le désir viscéral de savoir d’où l’on vient.

On est dans la grande littérature française, stylée, documentée, intelligente, morale. La construction de cette histoire est parfaite — peut-être trop parfaite, c’est presque trop soigné, les tripes sont si bien enveloppées dans des procédés de style magnifiques qu’elles ne sentent pas toujours les tripes. Aussi, je sais que ce n’est pas la première fois que Sorj Chalandon écrit sur la mythomanie de son père. Je ne peux imaginer comment ce livre-ci peut être reçu par quelqu’un qui a lu les précédents. J’ai personnellement un regard vierge – mais étonné : sur fond de vérité, l’auteur écrit un « roman », jetant à son tour le doute sur ce qui est faux et ce qui est vrai. Je ne comprends pas bien cette démarche, comme le choix d’une fin choquante à moins d’être prise… pour un mensonge à portée symbolique.

Mais Enfant de salaud est une intéressante manière de revisiter les questions de la résistance et de la traîtrise, et ça parlera à ceux qui ont à l’égard de leurs parents des doutes, des craintes ou des hontes.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur.

Loin

Alexis Michalik, Loin, Albin Michel, 2019 (disponible au Livre de Poche)

– Par Catherine Chahnazarian

Ce roman hétérogène débute dans l’humour et la légèreté avec trois jeunes Français d’aujourd’hui : Laurent, le narrateur, noir de peau et habile à faire comprendre ce que peut être le racisme ordinaire ; Antoine, son meilleur ami, fiancé, sérieux, raisonnable ; Anna, la jeune sœur d’Antoine, qui mène une vie de bâton de chaise. Une simple carte postale va les lancer sur les routes d’Europe et d’ailleurs, embarquant le lecteur dans une enquête qui devient une longue aventure. Une part du récit, alors, d’inspiration historique, développera des chapitres d’une réelle beauté et d’une grande gravité.

Vienne, Berlin, la Turquie, le Caucase…, les langues allemande, turque, russe…, des personnages très différents et un siècle d’Histoire, dont, notamment, la Deuxième Guerre mondiale sur le front de l’Est, constituent la toile de fond d’une affaire familiale que le narrateur relate par petites touches et dont il nous faut reconstituer le puzzle, savamment conçu. On est pourtant d’abord tenté de se dire que l’histoire est plaisante et attire la curiosité mais que les niveaux philosophique et psychologique ne sont pas très élevés — et cela reste vrai jusqu’à la fin –, mais l’intrigue se densifiant et l’Histoire s’invitant dans l’histoire, on dépasse ces faiblesses en savourant des chapitres captivants.

Il faut aussi, pour tout dire, passer outre quelques invraisemblances : Antoine apprenant le turc à une vitesse déconcertante, par exemple. C’est le côté James Bond de ce roman. Il faut donc accepter les changements de ton : on a à la fois affaire à un vaudeville, un conte de fées, un récit historique, un scénario de film d’action et un Guide du Routard. Dans son enthousiasme, l’auteur en a trop fait, il a employé trop de ficelles, et tiré son récit en longueur.

Mais j’ai beaucoup aimé quand même. Et les passages historiques me laissent, vous l’avez compris, de très bonnes impressions. J’ai aussi apprécié que Michalik contourne la mode du roman au « je » ; j’ai adoré la scène du Cessna ; j’ai aimé Sergueï, Hripsimé et Anna ; j’ai savouré les dialogues (excellents) ; et j’ai eu envie de partir… loin.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez Albin Michel, au Livre de Poche.

Fantaisie allemande

Philippe Claudel, Fantaisie allemande, Stock, 2020

Par Anne-Marie Debarbieux.

Un cadre : l’Allemagne. Une période : les années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale et la chute du nazisme. Deux citations en exergue dont celle de Thomas Bernhard qui saisit d’emblée le lecteur : « L’Allemagne a une haleine de gouffre ».

Cependant, que le lecteur ne se méprenne pas : il ne s’agit évidemment pas pour Claudel de faire le procès d’un peuple ou d’un pays, mais de prendre le nazisme comme l’exemple du Mal absolu et d’explorer, au fil de cinq nouvelles reliées par des passerelles, les thèmes qui lui sont chers : ceux du Mal et de l’Histoire qui poussent l’homme à détruire ce qu’il a construit, qui percutent de plein fouet des gens ordinaires et les entraînent dans une spirale négative. De quoi et pourquoi sont-ils coupables ? Où sont les justes ? Où sont les salauds ? Peut-on prétendre après coup que l’on aurait été du bon côté ? Que l’on aurait osé dire non, ne pas rester témoin passif d’actes de barbarie ? Est-on coupable de ne pas désobéir ?

Et devenir ensuite le bourreau d’un bourreau est-ce servir le Bien ou le Mal ?

Les 5 récits, de tonalités très différentes, abordent ces questions en mettant en scène des personnages, tous liés à un certain Viktor, qui est peut-être le même ou non (on ne peut rien affirmer), qui incarne très clairement un nazi dans le premier texte et devient ambigu dans les suivants.

Victime ou coupable, le soldat en fuite dont on apprend progressivement l’histoire ? Victime ou coupable, la gamine affectée sans vocation ni formation aux soins d’un vieillard quasi grabataire ? Menteurs ou de bonne foi, ceux qui polémiquent sur la date de décès d’un peintre dont on retrouve des toiles inédites ? Situations que l’auteur rend impossibles à réduire à des jugements péremptoires et irréfutables.

Ce petit livre, qui fait réfléchir, est en outre très bien écrit, ce qui captive le lecteur et l’amène à s’interroger. Chaque récit est différent dans son rythme ou dans son mode de narration. La première des 5 nouvelles, en particulier, est remarquablement construite et nous subjugue vraiment par la qualité de l’écriture.

En résumé, un nouveau livre, peut-être un peu déconcertant, mais qui à mes yeux ne démérite pas par rapport aux œuvres précédentes.

Catégorie : Nouvelles.

Liens : chez l’éditeur. Nos autres articles sur Philippe Claudel sont disponibles à son nom dans le répertoire alphabétique.

Les fils d’Odin

Harald Gilbers, Les fils d’Odin, Kero, 2016 (existe en « Grands détectives » 10-18)

Par Anne-Marie Debarbieux.

Conformément à la caractéristique de la collection Grands détectives, Les fils d’Odin est un roman policier inséré dans un contexte historique précis. Il s’agit ici des derniers jours du régime nazi durant le printemps 1945. L’action se situe à Berlin que les bombardements quotidiens dévastent et où la vie quotidienne devient un enfer. La terreur et la délation règnent en maîtres. On ne peut plus se fier à personne.

Dans ce qui devient au fil des jours un chaos, l’ex-commissaire Richard Oppenheimer, d’origine juive, vit désormais dans la clandestinité et la plus grande prudence, après avoir mis en sûreté son épouse afin qu’elle ne soit pas inquiétée à cause de lui. Il est amené cependant à sortir de l’ombre pour aider une amie accusée à tort d’avoir tué son ex-mari. Tout l’accuse, et le fait que cet homme ait exercé de sinistres activités expérimentales n’arrange rien. Oppenheimer, au péril de sa vie, remonte pas à pas la piste d’une secte ultra nazie, mais parviendra-t-il à sauver son amie de la condamnation à mort ? C’est l’enjeu du roman dont le suspense est maintenu jusqu’à la dernière page. Mais finalement l’enquête et ses rebondissements restent presque secondaires au regard des évocations de la situation de Berlin à ce moment précis de son histoire. Le point de vue qui en est donné de l’intérieur par Oppenheimer, qui n’est pas un héros au sens romanesque du terme, est assez rarement évoqué et absolument passionnant.

Catégorie : Policiers et thrillers (Allemagne). Traduction : Joël Falcoz.

Liens : chez Kero ; en 10-18.

Le Triomphe des Ténèbres

Jacques Ravenne et Éric Giacometti, Le Triomphe des Ténèbres, J.-C. Lattès, 2018 (disponible au Livre de Poche)

Par Catherine et Pierre Chahnazarian.

Le sujet de ce roman est le rapport du nazisme à l’ésotérisme, sujet très documenté aujourd’hui, et les auteurs ont visiblement plongé avec passion dans cette documentation. Ils en tirent un gros roman bien construit.

— J’ai bien aimé la trilogie à laquelle ce roman appartient, dit Pierre, parce que le sujet m’intéresse, même si d’autres auteurs ont fait de meilleurs romans sur le nazisme, comme Philippe Kerr, hélas décédé. Mais chez Ravenne et Giacometti, il y a des trucs pas mal faits, avec Churchill, des réseaux anglais, la résistance…

— Moi l’écriture m’a déçue, notamment des phrases choc excessives et des erreurs qu’on n’a pas d’excuse d’avoir laissé passer quand on est deux plus un éditeur. Ça m’a gâché la lecture. C’est vraiment dommage, surtout à ce niveau-là de connaissance du sujet. Mais je comprends qu’on passe outre et qu’on apprécie le livre voire la série : Le Triomphe des Ténèbres (2018), La Nuit du Mal (2019), La Relique du Chaos (2020).

Catégorie : Littérature française (roman historique).

Liens : chez l’éditeur ; au Livre de Poche.

Un père sans enfant

Denis Rossano, Un père sans enfant, Allary Editions, 2019

Par Anne-Marie Debarbieux.

Il y a les souvenirs que le cinéaste, âgé de plus de quatre-vingts ans en 1981, partage volontiers, et ceux que sa mémoire a peut-être oblitérés ou altérés voire oubliés. Ceux-là, Denis, jeune étudiant passionné de cinéma et subjugué par le vieil homme, les restitue ou les imagine à partir des données dont il dispose. C’est pourquoi il s’agit bien d’un roman et non d’une simple biographie, roman où l’auteur intervient fréquemment au cours de ses longues conversations avec le vieux cinéaste. La rencontre, qui ne devait être que le privilège d’une interview, se prolonge et instaure au fil des échanges une complicité voire une réelle amitié.

De qui s’agit-il ? De Douglas Sirk (de son vrai nom Detlef Sierk), intellectuel, metteur en scène et réalisateur allemand qui, à l’apogée de sa réussite dans les années 1920 dans le cinéma populaire, au sens noble du terme, a comme tant d’autres, fui un peu plus tard le régime nazi. Il ne s’est toutefois résolu à l’exil qu’à partir du moment où la vie de sa femme, d’origine juive, a été vraiment menacée. Décision un peu trop tardive pour ne pas être entachée d’un soupçon de compromission avec le régime nazi ou, à tout le moins, de carriérisme, mais qui donne au personnage toute sa profondeur. Car il se défend bien sûr de toute indulgence pour le pouvoir en place. En effet la complexité de la situation est liée aussi à une autre relation familiale : d’un premier mariage était né un fils, Klaus, que sa mère a coupé complètement de son père et dont elle a fait un parfait petit aryen et une jeune vedette du cinéma orchestré par la propagande nazie. Quitter l’Allemagne, c’était donc le perdre définitivement.

Même si le cinéaste est devenu américain, a changé de nom et a réussi une brillante carrière aux États Unis, la blessure de l’enfant disparu et dont il n’aura plus jamais de nouvelles ne se refermera jamais.

Imprégné des confidences de Douglas et poussé par la compassion autant que la curiosité, Denis Rossano essaiera de son côté de reconstituer la vie de Klaus Sierk.

Un livre passionnant, d’abord par sa construction originale, alternant les évocations du passé et les conversations de 1981, et aussi par la multiplicité des thèmes qu’il soulève. On relit quelques pages d’Histoire, vues par le déchirement d’un Allemand aussi attaché à son pays qu’opposé aux thèses de ceux qui le gouvernent, on se replonge dans la situation particulière des nombreux artistes qui ont fui et reconstruit ailleurs leur renommée sans toutefois se guérir tout à fait de l’exil, on suit également le drame personnel d’un père privé de son fils.

Catégorie : Littérature française (roman biographique).

Liens : chez l’éditeur.

Le schmock

Franz-Olivier Giesbert, Le schmock, Gallimard, 2019

Par François Lechat.

A certains égards, le dernier livre de Franz-Olivier Giesbert aurait pu s’appeler Le nazisme pour les nuls. Sauf qu’il ne s’agit pas d’un traité pédagogique, mais d’un roman. Et d’un roman léger, en plus, sur un des sujets les plus graves qui soient.

L’auteur n’a pas tort d’affirmer que, face à ce délire collectif, les personnages de roman nous donnent plus de chances de comprendre comment l’on en est arrivé là que des ouvrages savants : il faut des névroses et de la passion pour rendre compte de la folie. Cela étant, si l’on admire l’élégance avec laquelle Giesbert enchâsse des informations dans son récit en allant toujours à l’essentiel, et si l’on se sent vengé en voyant comment il traite Hitler, on peut difficilement conclure que l’on a désormais compris la montée du nazisme : un certain mystère demeure, après comme avant, et Giesbert n’y peut rien. Mais il a bien fait d’oser un roman, avec de l’humour et de l’amour, sur cette page glaçante de l’Histoire. Et tant pis pour les petites maladresses, typiques d’un auteur suroccupé et qui écrit un peu vite : il y a des moments de grâce, aussi, et l’ensemble est fort réussi. A conseiller aux jeunes, en particulier.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur. Voir aussi La dernière fois que j’ai rencontré Dieu, du même auteur.

Fatherland

Robert Harris, Fatherland, Julliard, 1992 (existe en Pocket)

Par Catherine Chahnazarian.

Le contexte de ce thriller palpitant est d’une importance capitale, à la fois en raison de son originalité  (c’est même sacrément culotté) et de son rôle dans l’intrigue. C’est que l’enquête policière du Sturmbannführer Xavier March se déroule dans Berlin en 1964, sous un national-socialisme qui bat son plein. Hitler a gagné la guerre de 1939-1946, c’est bientôt son anniversaire (le Führertag) et l’ambiance est à l’ordre et à la soumission. Tous les ingrédients y sont : le meurtre, la confiance et la méfiance, la séduction aussi, la recherche de la vérité, le mensonge, la menace… Cette fiction, qui réécrit l’Histoire en même temps qu’elle nous en raconte une, est d’une cohérence et d’une fluidité remarquables, et les personnalités des deux personnages principaux sont nos bouées de sauvetage, à nous qui n’aimerions pas que le monde ait tourné de cette façon. Jusqu’au bout du roman, Robert Harris nous fait vibrer pour de petites et de grandes raisons. Admirable.

Catégorie : Policiers et thrillers (Grande-Bretagne). Traduction : Hubert Galle.

Liens : sur Lisez.com. Nos autres critiques de romans de Robert Harris sont renseignées à la rubrique « par auteur ».

L’ordre du jour

Éric Vuillard, L’ordre du jour, Actes Sud, 2017

Par Catherine Chahnazarian.

Frais tiré de chez l’imprimeur – Goncourt oblige –, l’exemplaire que j’ai lu puait l’encre fraîche et le papier pas sec. Cela participait de l’impression nauséeuse que laissent, par exemple, les conversations de Schuschnigg avec Hitler. D’autant que l’auteur sait nous obliger à imaginer la scène : il glisse du passé simple – le récit – au présent – la scène telle une image à demi figée sur l’écran de nos imaginaires. Mais il y a comme une contradiction, dans ce livre qui nécessite déjà un certain savoir historique et un bon vocabulaire (ou de savoir passer outre les mots rares que l’auteur ne peut s’empêcher de distiller), contradiction entre ce style français qui fait de la poésie en prose, s’emporte, s’extasie littérairement, et la colère naïve qui semble découvrir la vérité sous les mensonges et nous accuse de ne jamais avoir levé le voile sur cette période catastrophique de l’Histoire européenne. Pourtant, depuis des décennies, cette période, énormément documentée, a déjà été vue et revue, corrigée et recorrigée maintes fois et de maintes façons. Il y a quelque chose de dérangeant dans ces accusations latentes, à l’adresse d’un lecteur pourtant – sinon érudit – au moins instruit. Mais le ton est autre, l’approche n’est pas dénuée d’intérêt, il y a de très bons passages, et la colère est sans doute saine.

Un peu incertain, et très mal titré, L’ordre du jour est à la fois un récit et un journal de recherches, un travail littéraire et un coup de gueule. Je l’aurais rangé dans la catégorie Essais et je ne lui aurais pas attribué ce prix-là. D’autant qu’on ne sait pas bien ce que fait l’auteur. Est-ce qu’il règle des comptes à la mémoire de quelqu’un ? Est-ce qu’il est ulcéré par les cours d’Histoire actuellement dispensés au Lycée et qui n’en apprendraient pas assez aux jeunes ? Est-ce une mise en garde ? Contre quoi ?

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur.

La série des Bernie Gunther

Philip Kerr, 12 romans policiers historiques dont le personnage central est Bernie Gunther, Le Masque, 1993-2017

Stylo-trottoir : autour d’une table.

Il est tellement enthousiaste que son expression est hachurée comme un électrocardiogramme qui s’affole.

– Dès la première page, t’es complètement dedans ! J’adore. C’est formidable.

Il est en train de lire La dame de Zagreb (2016), le dixième opus de la série. Il a lu tous ceux qui précédaient. Parce qu’il s’intéresse à la deuxième Guerre mondiale et que tous ces romans tournent autour du nazisme, et parce que les événements auxquels Bernie Gunther est confronté sont non seulement historiques mais très variés.

– Il peut aussi bien s’agir de la montée du cinéma à cette époque que du massacre des officiers polonais à Katyn. Il y a Gunther, et puis les autres personnages sont des personnages historiques. C’est un cynique…

– L’auteur ?

– Mais non, Gunther ! Y a plein d’humour grinçant. Lui, il est anti-nazi, mais évidemment il ne peut pas le dire à tout le monde…

Il hésite un peu, se racle la gorge, réfléchit rapidement et conclut :

– Je ne peux pas en parler. Il faut les lire !

– Il y a un autre auteur qui sévit dans le même genre et dont un journal a dit qu’il était un cran en-dessous, mais ce n’est pas vrai : Mc Callin c’est aussi bon !

Catégorie : Policiers et thrillers (Grande-Bretagne).

Liens : Philip Kerr aux éditions du Masque ; La dame de Zagreb au Masque ; Wikipedia pour en savoir plus sur l’auteur et son oeuvre (qui ne se résume pas aux Bernie Gunther).

Un Site WordPress.com.

Retour en haut ↑