Tous les hommes du roi

Robert Penn Warren, Tous les hommes du roi, Monsieur Toussaint Louverture, 2017

— Par François Lechat

Prix Pulitzer en 1947, Tous les hommes du roi est paru en français en 1950 sous le titre Les Fous du roi. Mais je vous parle ici de la première traduction française intégrale, complétée d’une passionnante postface au cours de laquelle on apprend que ce roman de 600 pages fut d’abord une pièce de théâtre et a inspiré un film qui remportera l’Oscar du meilleur film en 1950. Autant dire que ce roman a marqué les esprits.

Lu aujourd’hui, il fait d’abord penser à Donald Trump. Car il est centré sur un politicien sans scrupules, surnommé « Le Boss », démagogue populiste convaincu de faire le bien. Ce Willie Stark nous fait voyager du Sud des États-Unis jusqu’à Washington et vaut d’autant plus le détour qu’il s’entoure d’une brochette de fidèles hauts en couleur (un garde du corps bègue, Sugar Boy, qui ne se sépare jamais de son flingue ; un exécuteur des basses œuvres, qui trahira le moment venu ; l’inévitable secrétaire amoureuse de son patron, forte personnalité qui concourra à la tragédie finale…). Cette ligne thématique est si riche qu’elle nourrira à elle seule le film tiré du livre, impitoyable document sur les mœurs politiques américaines.

Mais Tous les hommes du roi est aussi une poignante histoire d’amour, faite de moments de grâce, de contretemps et de malentendus. Je ne vous en dévoile pas l’issue, je signale seulement qu’une dizaine de pages semblent écrites par Proust, avec la majesté phrastique et le sens du Temps qui le caractérisent.

Ceci dit, le livre de Pen Warren est d’abord l’œuvre d’un homme du Sud qui médite sur le Mal et la rédemption. Cette dimension donne sa gravité au roman, sans pour autant le plomber. Car si ce récit regorge de réflexions philosophiques et de moments de poésie qui font penser à Moby Dick, il est aussi plein d’humour, de dialogues incisifs et de scènes cinématographiques. L’auteur ne renonce pas à prendre dix pages pour faire naître un sentiment ou aboutir à une chute, et trouve le moyen de ne pas écrire une ligne dénuée d’impact.

Autre facette de son talent, il crée des archétypes (le père nommé l’Avocat, l’amant maternel baptisé de Jeune Cadre, l’Ami d’Enfance…), mais aussi des personnages secondaires inoubliables comme cet ancien acrobate paralysé suite à une chute, devenu simple d’esprit et qui ne mange plus que du chocolat, introduit à l’occasion d’une scène pendant laquelle il crève l’écran.

Tous les hommes du roi est un grand livre, qui demande un peu de patience mais qui nous récompense pour notre attention.

Catégories : Redécouvertes, Littérature anglophone (USA). Traduction : Pierre Singer.

Liens : le roman chez l’éditeur ; la collection des Grands Animaux ; tous nos articles sur des publications de Monsieur Toussaint Louverture dont l’hommage à l’éditeur par François Lechat.

Les tribulations d’Arthur Mineur

Andrew Sean Greer, Les tribulations d’Arthur Mineur, Jacqueline Chambon (Actes Sud), 2018

Par François Lechat.

À la recherche d’un moment de détente, j’ai acheté le dernier prix Pulitzer, qui est normalement un gage de qualité. Effectivement, le livre est bon, mais de là à remporter un des prix les plus prestigieux… Si l’Arthur Mineur dont nous suivons les tribulations n’avait pas été homosexuel, son histoire aurait-elle remporté un prix ? C’est au fond le sujet même du livre, puisque le héros est un écrivain gay auréolé d’un premier roman remarqué, mais qui court après un nouveau succès tandis que son ancien amant, lui, a obtenu le Pulitzer. Ce ne serait encore rien si, en plus, son dernier amour n’avait pas décidé de se marier – avec un autre, évidemment. D’où les tribulations d’Arthur Mineur, qui décide de parcourir le monde, d’invitation en invitation, pour se mettre dans l’incapacité d’assister au mariage.

Un anti-héros, donc, auquel il va arriver, comme il se doit, une foule d’aventures tragi-comiques qui le placent en permanence au bord du ridicule, sans qu’il n’y sombre jamais car il est trop digne et lucide pour ça. C’est sympathique, assez enlevé, avec une belle brochette de personnages secondaires et un enchâssement du présent et du passé qui fait merveille dans les dernières pages. Mais à moins de partager la situation de ce brave Mineur, il est difficile de le prendre tout à fait au sérieux et de se laisser prendre par l’émotion, surtout que l’auteur n’appuie jamais. On suit plutôt le personnage d’un œil amusé, en se réjouissant de ne pas être à sa place. Ce n’est peut-être pas ce qu’on attend d’un roman ?

Catégorie : Littérature étrangère anglophone (U.S.A.). Traduction : Gilbert Cohen-Solal.

Liens : chez l’éditeur.

Un Site WordPress.com.

Retour en haut ↑