
————————-
Littérature française
Catherine Chahnazarian
Passée l’effervescence du prix Goncourt et ses polémiques, j’ai ouvert Veiller sur elle pour en lire le début et Jean-Baptiste Andrea a piqué ma curiosité.
Mimo (Michelangelo Vitaliani), né en France en 1904, se retrouve en Italie à douze ans, seul, pauvre, exploité, mais talentueux à l’excès : il est fait pour être sculpteur. Avec lui, l’auteur nous plonge dans une Italie campagnarde subissant de loin la Première Guerre mondiale, nous fait voyager à Florence, où nous assistons à la montée du fascisme, puis à Rome, où l’Italie fait le grand-écart entre le Pape et Mussolini. Ni l’histoire du XXe siècle ni l’art ne sont de vains décors dans ce récit que nous fait Mimo, car c’est lui qui raconte, à nous qui avons accès à ses pensées dans le moment où, près de rendre l’âme, il revoit toute sa vie. Récit d’un réalisme si convainquant que l’on pourrait croire que Michelangelo Vitaliani a réellement existé. Mais ce qui a réellement existé, c’est ce siècle, ce pays, son histoire, la terre, les rivalités, les rôles attribués par la naissance, les souffrances, les naïvetés et les calculs, la complexité et la force des amitiés, et l’importance de l’art. Le style d’Andrea, exceptionnel, dense, constant, poétique, savant sans nous perdre, confère à ce récit une dimension qui méritait bien un Goncourt. L’ensemble est beau sans se complaire dans la beauté, plein d’aventures et de rebondissements sans se perdre dans le narratif, et les personnages sont tous excellents, typés, cohérents, crédibles et si diversifiés que c’est tout un monde, plusieurs mondes, dans lesquels il nous est donné d’entrer.
Pour tout dire, il y a dans ce roman quelque chose qui le dévalorise. Ce sont ces annonces régulières, prolepses plus ou moins subtiles ayant pour vocation de stimuler la curiosité du lecteur à découvrir la suite. Procédé inutile, voire contre-productif dans un tel récit. Mais si cela m’a causé au début quelques déceptions, j’ai fini ce livre avec passion.
François Lechat
Je partage l’appréciation de Catherine, ainsi que sa réserve finale. Mais je serais plus enthousiaste encore. Si certaines anticipations sont inutiles et nous privent d’un effet de surprise, cela n’empêche pas le suspense de monter de chapitre en chapitre. Et j’ajouterais trois éléments pour expliquer le bonheur que m’a procuré Jean-Baptiste Andrea. D’abord le fait qu’une de œuvres de « Mimo » est entourée d’un épais mystère et fascine jusqu’au Vatican, et que l’on n’est pas déçu quand on découvre ce qu’elle a de surprenant. Ensuite, Andrea tisse une relation complexe, subtile et inhabituelle entre ses deux personnages principaux, qui apporte aussi sa part de suspense. Enfin, son héros n’est pas seulement sculpteur, ce qui est déjà original : il présente encore une autre spécificité, qui épaissit ce personnage tout en apportant des touches de drame et d’humour. L’ensemble est vraiment très riche et jamais prétentieux, fonctionnant par fines évocations toujours élégantes. Ne passez pas à côté, c’est un excellent Goncourt !
*
Jean-Batiste Andrea
Veiller sur elle
Éditions L’Iconoclaste
2023
Nous avons consacré une mini-série aux romans de J.-B. ANDREA :
Ma reine, Cent millions d’années et un jour, Des diables et des saints
De façon générale, tous nos articles sont référencés dans le classement par auteur
Laisser un commentaire