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Essais, Histoire
Par François Lechat
Le sujet de ce livre paraît assez sinistre, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais l’ouvrage est passionnant, à plusieurs titres.
D’abord parce qu’il restitue la cohérence de l’idéologie nazie, que nous avons tendance à considérer comme un fourre-tout délirant. Il s’agit au contraire d’une vision du monde très construite, fondée sur des principes clairs et puissants, une compréhension des lois de la nature que la race nordique-germanique aurait incarnée aux moments les plus glorieux de son histoire et qu’il faudrait restaurer pour rétablir l’ordre naturel. Cet « ordre naturel » est évidemment une horreur, un culte du sang, de la race et de la force. Mais il trouvait des arguments, à l’époque, chez de nombreux savants qui préparaient cette vision par leurs théories sur les vertus du naturisme, de la sexualité ou de la prophylaxie. Ce qui amène l’auteur à contester la thèse d’Hannah Arendt selon laquelle Eichmann, lors du procès de Nuremberg, aurait incarné « la banalité du mal », n’aurait été qu’un exécutant lâche et passif. Eichmann était au contraire un nazi parfaitement résolu et convaincu, qui a simplement trouvé le moyen de tromper ses juges, ainsi qu’une philosophe de haut niveau.
Un deuxième élément passionnant réside dans l’audace des torsions que les nazis ont imposée à l’Histoire. On découvre par exemple qu’à leurs yeux Platon était un philosophe germanique, car les grands auteurs grecs et romains de l’Antiquité étaient en fait des Germains installés au bord de la Méditerranée… Emmanuel Kant, figure majeure des Lumières allemandes, pacifiste, fondateur des droits de l’individu, est semblablement passé à la moulinette nazie parce qu’il fallait que, comme Goethe et d’autres, un grand penseur allemand soit forcément du bon côté de l’Histoire. D’autres ont fait l’objet des mêmes détournements, qui revisitent des pans entiers de la culture européenne.
Un dernier élément passionnant réside dans les chapitres qui restituent une certaine finesse critique des idéologues nazis. Sans partager aucune de leurs thèses, on doit bien admettre que leur dénonciation de la Révolution française ou du traité de Versailles ne manquent pas d’arguments et peuvent donner à penser (Clemenceau, au passage, en prend pour son grade). Rien de tout ceci ne mène à une quelconque sympathie, les derniers chapitres, sur la conquête territoriale et l’antisémitisme, étant glaçants. Mais le nazisme est bien un délire paranoïaque adossé à un semblant de rationalité, et il anticipe en cela ce que nous voyons à l’œuvre aujourd’hui dans différents pays.
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Johann Chapoutot
La révolution culturelle nazie
Éditions Gallimard
2017
Existe aussi en édition de poche « Tel »

Réponse de Fr. Lechat :
Il y a quelques chapitres érudits et quelques termes savants, mais l’auteur est bon pédagogue et le livre me semble assez facile d’accès, surtout pour les chapitres concernant la race, la biologie et l’antisémitisme.
J’ajoute que le livre est en fait un recueil d’articles et qu’on peut sauter l’un ou l’autre chapitre sans avoir de problème pour lire la suite.
Ça a l’air effectivement interessant. Merci pour l’info. Par contre, je crains de me lancer dans des essais trop compliqués. Celui ci est facile d’accès ? 🤔