La survie des médiocres

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Essais, Histoire
Par François Lechat

Si vous craignez un livre politique, rassurez-vous : la critique du capitalisme n’occupe qu’une place marginale dans ce livre centré sur le darwinisme.

Sa thèse principale est simple : Darwin a commis une erreur en s’inspirant des pratiques des éleveurs pour théoriser la sélection naturelle. Il a conclu qu’au cours de l’évolution la nature avait sélectionné les plus aptes, les « meilleurs » comme disent certains, parce qu’il avait à l’esprit la manière dont les éleveurs arrivent à produire les chevaux les plus rapides, les pigeons les plus résistants, les chiens de la race la plus pure à force de sélection et de croisement des spécimens les plus prometteurs. Or, sur la base d’une vaste documentation, d’une lecture aiguisée de Darwin et de nombreux dialogues avec des spécialistes de l’évolution, Daniel Milo montre ce que l’on savait mais que l’on assumait rarement : au cours de l’évolution, la nature a laissé subsister des espèces qui ne disposaient pas d’un avantage particulier, au contraire. Les bois des rennes et la queue des paons ne les aident pas à séduire les femelles, mais ils signalent les mâles à leurs prédateurs et constituent donc des handicaps. De même, la girafe est tellement mal faite, souligne Milo dans un savoureux chapitre d’ouverture, qu’elle aurait dû être éliminée. Conclusion, soutenue par bien d’autres données : la nature ne sélectionne pas les meilleurs mais aussi les quelconques et les médiocres, tous ceux qui présentent juste assez de caractères utiles pour survivre. De sorte que le darwinisme, ainsi corrigé, ne peut plus servir d’appui au capitalisme et à son éloge de la concurrence généralisée. Ce qui conduit l’auteur, un historien des idées et non un biologiste, à réinterroger l’évolution et l’organisation des sociétés humaines, dans les derniers chapitres de son livre.

Salué à sa sortie, puis attaqué par une partie des spécialistes de l’évolution, l’ouvrage de Milo est brillant, interpellant et richement illustré dans son édition actuelle. Si le sujet vous intéresse, ne le manquez pas, quitte à ne pas suivre l’auteur jusqu’au bout (il a un avis sur à peu près tout). Et en sachant deux choses : il faut connaître les principes de base de l’évolution et de la génétique pour suivre la démonstration de Milo, et admettre qu’il en fasse parfois trop avec ses formules acrobatiques ou quelque peu mystérieuses.

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Daniel S. Milo
La survie des médiocres. Critique du darwinisme et du capitalisme

Éditions Gallimard
2024

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