Série : NOS MONUMENTS DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE
–

————————–
Par François Lechat
En un combat douteux n’est pas le plus célèbre roman de Steinbeck. Il s’agit pourtant de son premier grand livre, écrit avant Des souris et des hommes et Les raisins de la colère, consacré à la terrible crise sociale qui a secoué la Californie à partir du krach boursier de 1929.
La singularité d’En un combat douteux réside surtout dans le fait que Steinbeck n’a pas cherché à plaire. Le thème du livre, une grève des ouvriers chargés de la cueillette de pommes dans d’immenses vergers, est directement inspiré des grandes grèves qui ont marqué la Californie en 1933 dans des secteurs connexes (le coton, les pêches…) qui réduisaient les salariés à la misère. Un sujet grave, donc, traité dans un texte rédigé en quelques semaines et que Steinbeck lui-même qualifiait de « brutal », de « terrible ». Une forme de littérature prolétarienne, assumée comme telle, qui a frappé à l’époque par son réalisme, son style brut, ses longs dialogues, souvent tendus, qui traduisent les hésitations et les difficultés inhérentes à un combat inégal, incertain, « douteux » comme le dit la formule de titre empruntée à la Bible.
En un combat douteux aurait pu être un roman communiste, puisque les principaux meneurs de la grève décrite par Steinbeck appartiennent au Parti. Mais ce n’est en aucune manière un livre théorique ou dogmatique : ses protagonistes ne débattent pas sur des idées mais sur les actions à mener. Steinbeck s’est appuyé sur de nombreux récits oraux de grèves similaires, et il a créé des personnages échappant aux étiquettes, simplement humains, authentiques, oscillant entre faiblesse et grandeur. Son sujet n’est pas la Révolution mais la dynamique des groupes, qui sont en proie à une instabilité permanente, qui discutent sans cesse de la manière de s’organiser face aux briseurs de grève, à la police, aux milices qui veulent mater la contestation. Sur un sujet qui se prêtait à la propagande, Steinbeck offre un roman sans message, écrit du point de vue des ouvriers mais dont l’issue n’est pas donnée, Steinbeck laissant au lecteur le soin de l’imaginer à partir d’une brève indication.
En un combat douteux est évidemment disponible en format de poche, mais n’hésitez pas à vous faire plaisir : il figure dans le volume de la Bibliothèque de la Pléiade consacré à Steinbeck, aux côtés de ses deux autres romans californiens et d’À l’est d’Eden. Avec, en prime, une introduction générale, des notices et des notes aussi claires que savantes.
*

John Steinbeck
En un combat douteux…
Titre original : In Dubious Battle, 1936
En Folio
traduction : Edmond Michel-Tyl
En Pléiade
traduction : J.-C. Bonnardot, Maurice-Edgar Coindreau, Edmond Michel-Tyl et Charles Recoursé ; direction : Marie-Christine Lemardeley-Cunci.
Laisser un commentaire