Yapou, bétail humain

Littérature étrangère (Japon)
Par François Lechat

Dans une vie de grand lecteur, on croise quelques livres hors normes, des livres dont on n’aurait jamais cru que quelqu’un puisse en avoir l’idée. Yapou, bétail humain est de ceux-là, à l’égal des 120 journées de Sodome pour le scandale mais avec un raffinement intellectuel bien supérieur.

Au 40e siècle de notre ère, les humains ont fondé l’Empire EHS, qui régit la Terre et d’autres planètes. Les rapports entre les hommes et les femmes y sont inversés : les femmes ont tous les privilèges, les hommes sont en position subalterne, s’habillant et se maquillant comme des poupées. Mais d’autres rapports de caste régissent l’Empire : la plèbe est misérable, les « nègres » sont tous des serviteurs obéissants et, surtout, bien en dessous d’eux, on trouve les Yapous, qui forment littéralement un bétail humain.

Comme leur nom le suggère, ces Yapous sont des descendants de Japonais que la science et un dressage méticuleux ont transformé en « meubles viandeux » de toute nature : leur corps a été remodelé, compressé, charcuté, et leur cerveau endoctriné, pour qu’ils rendent tous les services possibles et imaginables à l’aristocratie d’EHS. Les plus spectaculaires sont les setteens, des WC humains dont la forme est parfaite pour se soulager en toute facilité et qui se nourrissent du type de boisson et de nourriture que je vous laisse imaginer. Mais on en trouve des centaines d’autres, que l’auteur décrit avec un luxe de détails : des jouets sexuels, évidemment, ou encore des paires de ski viandeuses, dont on dirige la trajectoire d’un simple mouvement de l’orteil…

Sur EHS plus encore que chez Sade, seule compte la satisfaction immédiate des pulsions corporelles : aucune ambition de sens ou de grandeur, juste le règne de la paresse et du plaisir – ce qui, dans ce roman entamé par l’auteur dans les années 1950, annonce étrangement notre rapport au numérique.

Mais l’essentiel est ailleurs, dans la thèse de Shozo Numa, Japonais humilié par le traitement infligé à son pays après la Seconde Guerre mondiale, selon laquelle les Yapous tirent un plaisir masochiste de leur avilissement. Un plaisir obtenu par des méthodes de conditionnement, mais un plaisir intense, qui conduit à vivre comme des délices les pires pratiques scatologiques et sexuelles, sur lesquelles l’auteur s’étend pendant des centaines de pages (le récit en compte 1.300).

Je n’en dis pas plus, sinon qu’il faut essayer ce roman et lire les quatre postfaces de l’auteur pour découvrir une vision fulgurante de notre époque d’après-guerre, même si Numa, masochiste revendiqué, se complaît dans la fange.

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Shozo Numa
Yapou, bétail humain

Traduction : Sylvain Cardonnel
Éditions Laurence Viallet
2022

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