3 livres à succès qui nous ont plutôt déçus

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Les Armes de la Lumière

Littérature anglophone (Royaume-Uni)
Stylo-trottoir : ce que Pierre vient de lire

Les Armes de la Lumière sera le dernier opus de la fresque de Kingsbridge commencée avec Les Piliers de la Terre. Pierre nous avait parlé d’Une Colonne de Feu. Ce roman-ci se passe deux siècles après le précédent (Le Crépuscule de l’Aube).

« On est au temps des filatures, de l’évolution avec les premières machines à vapeur, la montée des syndicalismes, travailleurs contre patrons, et les guerres napoléoniennes », explique Pierre avec un enthousiasme modéré. Car, pour lui, le roman reste assez classique, les personnages se partagent entre les bons et les moins bons… Un effet de lassitude devant le Xème roman de Ken Follett conçu de la même façon ? « Mais ça se lit et on a envie de connaître la suite. »

Angle mort

Policiers et thrillers (Grande-Bretagne)
Une brève de Florence Montségur

Je viens de relire les articles sur La fille du train et Celle qui brûle. La régression s’accentue, hélas. Angle mort est décevant. Il y a peu de substance, peu de psychologie, peu de suspense… Les ingrédients sont classiques et employés platement (il y a de l’orage quand les choses vont mal). On sent que l’auteure devrait respirer un peu, attendre la bonne histoire et une réelle envie d’écrire. Je l’ai fini car il se lit vite et que ce sont les vacances.

Rocky, dernier rivage

Littérature francophone (Belgique)
Par Catherine Chahnazarian

J’ai lu ce roman presque d’une traite, en me demandant sans cesse « Mais où vont ces personnages ? », « Mais où va l’auteur ? ». Et j’ai été déçue par la fin, mais ce n’est pas ce qui compte. C’est que, à travers le survivalisme, le thème de cette fiction au drôle de titre est notre incapacité à changer de mode de vie alors même que ça urge, le temps inouï qu’il nous faut pour nous adapter à la réalité du réchauffement climatique, notre indifférence au sort des autres, notre égoïsme et en particulier celui des – de certains – riches… Genre « on va droit vers l’apocalypse », mais dans un roman léger, qu’il serait facile de prendre au premier degré comme si ce dont il est question n’était pas si grave. L’intrigue est bien construite (sauf, à mon avis, pour la temporalité) et bien écrite, les personnages (sauf celui du père, qui n’est pas très bien maîtrisé) sont bons, Gunzig distille un humour discret… mais comme s’il s’agissait de nous distraire, alors que le message est autrement ambitieux. J’ai été très gênée par ce décalage. Le traitement psychologique est ahurissant. Pour le dire autrement, ça manque de tripes, c’est impossible de croire au désastre qui est supposé s’être produit, impossible de croire aux réactions des personnages. Et en même temps, quelque chose a fait que je l’ai lu presque d’une traite. Ce roman me laisse tout à fait perplexe.

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Ken Follett
Les Armes de la Lumière
Éditions Robert Laffont
2023

Paula Hawkins
Angle mort
Traduction : Corinne Daniellot
Éditions Sonatine
2023

Thomas Gunzig
Rocky, dernier rivage
Éditions Au Diable Vauvert
2023

L’enfant dans le taxi

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Littérature française
Par Catherine Chahnazarian

Il était au milieu d’une table réservée aux coups de cœur des libraires. Dès les premières lignes, lues sur place à la sauvette, j’ai su que je partagerais ce coup de cœur-là.

L’écriture est formidable : belle, originale, rythmée, haletante, elle oblige à tenir jusqu’à la fin d’un dialogue, d’une description, d’une réflexion du narrateur, à tenir en respirant à peine et à ne souffler qu’à la fin d’un chapitre. Et encore, pas longtemps, car on est impatient d’en savoir plus sur ce secret de famille, sur qui sait quoi, sur ce que Simon va faire ou ne pas faire, sur sa vie et sa manière de la mener. Pourtant, dans ces 220 pages à peine, le temps du récit est long, l’auteur a une manière à la fois intense et paisible de traiter son sujet. Il se débarrasse avec aisance des attendus, des codes et des clichés, et nous fait vivre une quête qui ne bouleverse pas tout dans la vie de Simon, qui, tout en étant entêtante pour le personnage (et pour le lecteur), n’est pas totalement centrale mais s’insère dans sa vie en contribuant à construire de nouveaux équilibres. Le texte est émaillé de remarques ou réflexions qui tapent juste, c’est subtil sans aucune arrogance, riche sans aucune prétention, beau et réaliste.

J’ai adoré.

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Sylvain Prudhomme
L’enfant dans le taxi
Éditions de Minuit
2023

Mon nom ne vous dira rien

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Littérature francophone (Belgique)
Une brève de Catherine Chahnazarian

Si je renseigne ce roman, c’est pour la jolie idée d’une escapade improvisée à Rome dont je ne vous dirai rien mais que j’ai trouvée touchante. Cet élément aurait pu être plus central à l’intrigue et un peu complexifié, mais c’est une belle idée. Sinon, lecture légère sans beaucoup de substance ni de sens narratif. Juste un moment de détente plongeant le lecteur dans l’esprit bruxellois et l’emmenant à deux reprises en Italie.

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Jean-Luc Outers
Mon nom ne vous dira rien
Editions Les impressions nouvelles
2023

Le mage du Kremlin

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Essais, Histoire
Par Catherine Chahnazarian

Maintenant qu’il n’est plus dans toutes les conversations (en raison de son phénoménal succès de librairie et de la polémique sur le Goncourt), il est temps – si ce n’est déjà fait – de lire cet incroyable roman, qui a tout d’un essai et tout d’un récit, et qu’il faut aborder sans préjugés.

Écrit bien avant l’attaque russe de février 2022, sa publication est tombée dans un monde bouleversé qui s’est alors concentré sur le funeste présage de l’invasion de l’Ukraine, sur la peinture d’une Russie qui a permis l’avènement de Poutine, sur la façon de fonctionner de cet homme qui se comporte comme un dieu. Mais le roman n’est ni une description ni un oracle. Il explique, avec une précision méticuleuse de fin connaisseur et de fin stratège politique, l’esprit impérial russe que nous connaissons, que nous comprenons si mal.

Le point de vue ? Tout cela (la politique, la grandeur, les rivalités, le pouvoir…) n’est qu’une gigantesque comédie qu’un artiste met en scène dans l’indifférence de la réalité, juste pour le sport : être celui dont l’intelligence permet de faire fonctionner un système, de concrétiser une idéologie, de faire advenir un monde, de manipuler les cerveaux. Les personnages ? Ils ont récemment vécu ou sont encore vivants, leurs noms sont donnés comme acteurs de la sinistre comédie dont da Empoli nous livre des secrets. On sent qu’il maîtrise son sujet et que, sous le romanesque, il ne nous ment pas : il nous donne des clés. Raison pour laquelle plus votre lecture sera désintéressée plus vous profiterez de son expertise.

Bien sûr, le sujet de l’Ukraine accapare notre attention, mais il n’est qu’un sujet dans un vaste aperçu de la Russie du pouvoir, vue de l’intérieur afin de mieux emmener le lecteur dans des logiques qu’il perçoit peut-être, s’il est très informé, mais de l’extérieur. Le grand talent de da Empoli est de nous projeter dans l’esprit que nous cherchons à saisir – mais souvent en le regardant comme un ennemi ou un fou, ce qui nous empêche d’en appréhender la substance profonde, de l’accepter et alors, peut-être, de pouvoir y répondre.

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Giuliano da Empoli
Le mage du Kremlin

Éditions Gallimard
2022

La série des « Poulets grillés »

Policiers et thrillers
Par Catherine Chahnazarian

Juillet 2020

J’ai dévoré les trois premiers romans de cette série de Sophie Hénaff à la suite l’un de l’autre et, le troisième à peine terminé, les personnages me manquent déjà ! Car l’humain tient, chez Sophie Hénaff, une place de choix. Ces « poulets » sont ceux d’une équipe de la police judiciaire parisienne qu’on voit grossir, se souder, et à laquelle on ne peut que s’attacher, chacun des personnages ayant ses fêlures et ses différences, et tenant un rôle spécifique dans les intrigues et les rebondissements. Rebondissements qui savent nous prendre par surprise : les actions sont comme des trébuchements, elles avancent, titubent comiquement, sont tout sauf linéaires, et c’est très bien comme ça.

Dans Poulets grillés, la brigade des Innocents se constitue, ramassis de policiers dont les autres services ne veulent pas, dirigée par la commissaire Anne Capestan, intelligente et orgueilleuse, têtue et diplomate, une excellente flic et une chef sans besoin d’autorité – c’est un exemple de lucidité et de tolérance ! On y rencontre notamment Louis-Baptiste Lebreton, grand et bel homme, droit et triste – une occasion pour l’auteure d’aborder l’homophobie sous un angle inattendu, avec une finesse remarquable.

Poulets grillés est le plus étonnant des trois romans. Peut-être du fait que quelque chose s’y construit contre toute attente ; certainement en raison de ses multiples qualités : originalité, sensibilité, justesse du ton, intelligence de la construction et j’en passe. Il mérite amplement les prix qui lui ont été attribués ! La brigade y résout sa première affaire puis…

… dans Rester groupés, alors qu’elle se croyait placardisée et juste bonne à enchaîner les parties de billards dans la « salle de jeu » du commissariat, l’équipe est plongée dans une nouvelle enquête, construite sur un modèle à tiroirs qui fonctionne parfaitement bien, avec notamment des courses-poursuite dans Paris, dont une qui m’a beaucoup fait rire, et une scène de rue (une manifestation de hooligans) exceptionnelle. Cet opus est le plus épique des trois, et la palme de l’originalité et de la drôlerie y revient sans conteste à Saint-Lô, le mousquetaire de la brigade.

D’une dynamique assez différente, Art et décès, comme son titre l’indique, se situe dans le milieu du cinéma – à peine caricaturé –, autour du personnage d’Eva Rosière, capitaine excentrique s’étant enrichie sur le dos de la police (je vous laisse découvrir comment). Elle est cultivée et vulgaire juste ce qu’il faut pour constituer un excellent personnage de polar ! Dans cette histoire, un bébé vient constamment interférer et participera d’ailleurs à la résolution finale – un fameux clin d’œil aux femmes seules qui jonglent au quotidien entre enfant(s) et travail. C’est l’épisode le plus burlesque, et peut-être celui par lequel Sophie Hénaff démontre définitivement qu’elle n’est pas une autrice d’occasion, que les premiers opus n’étaient pas accidentels : elle a décidément à la fois une grande capacité à caractériser ses personnages, un fameux talent de narratrice, d’excellents dialogues et un style affirmé, homogène, drôle et efficace.

Une mention particulière pour ces tout petits chapitres, un pour chaque personnage dans chaque opus, distribués ici et là au fil des occasions et qui tombent toujours juste. Impressionnistes, hors champ, inattendus, délicieux, ils atteignent leur cible à chaque fois : le cœur du lecteur.

Juillet 2023

Le temps passant, je craignais que la série s’arrête là mais – heureuse surprise ! – voici Drame de pique, dans lequel on retrouve la commissaire Anne Capestan et sa bien nommée Brigade des Innocents, un nouvel opus qui ne dément pas la réputation que s’est faite Sophie Hénaff.

Quel plaisir de revoir l’extravagante Rosière et son chien Pilou, le digne Lebreton, le malheureux Torrez, le gourmand Lewitz ou cet assoiffé de Merlot… Leurs singularités les personnalisent, leur tolérance à l’égard les uns des autres les unit, dans un commissariat qui n’a rien d’un commissariat et où, quand ils sont par miracle mis sur une affaire, ils travaillent sans moyens, souvent sans autorisation et non sans maladresse.

Cette fois, ils poursuivent un serial killer qui tue en rue en se jouant de la police, dans le contexte non fictionnel de cette vague de mystérieuses piqûres subies par des femmes dans des boîtes de nuit. Il y est question d’orgueil, de trahison, de vengeance, d’amour aussi, et des valeurs qui animent ces policiers sous leurs comportements fantaisistes et malgré les injustices dont leur brigade est l’objet : humanité, justice, engagement, gratuité.

Une excellente lecture de détente, amusante, facile, fluide, intelligente avec ses rebondissements et sa construction savante. J’adore décidément les personnages de cette série aussi bien que le style de l’autrice, sa capacité à nous faire pouffer de rire, à créer des tensions, à croquer Paris et le monde d’aujourd’hui.

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Sophie Hénaff
Poulets grillés, Rester groupés, Art et décès, Drame de Pique

Chez Albin Michel : Poulets grillés, Rester groupés, Art et décès, Drame de Pique
La page consacrée à l’autrice

Au Livre de Poche : Poulets grillés, Rester groupés, Art et décès, Drame de pique

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Lire aussi, sur un autre sujet, Voix d’extinction, de la même autrice.

Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un

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Littérature étrangère (Australie)
Par Catherine Chahnazarian

Le libraire avait laissé un petit carton sur le livre. Quelque chose comme : Vraiment drôle, Pour lecteurs de romans policiers, Bien ficelé. Et quand il a vu que je lisais la première page, il m’a dit que l’auteur, australien, faisait du stand-up et que ça se ressentait positivement dans l’écriture, que c’était spirituel et « Vous savez, son expérience du stand-up fait qu’il sait où et quand placer la blague ». Ça m’a alléchée et j’y suis allée, dans cet hôtel le plus haut d’Australie, en pleine tempête, avec la famille Cunningham. Sans regrets. Voilà un roman savoureux qui fait appel à votre intelligence de lecteur. Particularité : le narrateur, qui vous raconte ce qui s’est passé et comment il a résolu l’affaire, met un point d’honneur à respecter les règles de l’Âge d’Or du roman policier, à commencer par ne pas mentir au lecteur et lui avoir distillé toutes les informations nécessaires. Il vous plonge dans l’histoire puis vous en ressort pour faire du méta, puis vous remet dedans jusqu’au cou et ainsi de suite. Vous vous prenez au jeu d’essayer de comprendre ce qu’il se passe comme si vous étiez confronté aux situations qu’il décrit, dans une sorte de duel avec ce narrateur qui vous fait, en outre, passer par diverses émotions. Autant le dire : l’intrigue est très élaborée et le héros (mais est-il le personnage principal ? Il se le demande) apparaîtra quand même comme un surdoué, à moins que vous, vous soyez vraiment fort en romans policiers.

Voilà. C’est un défi mais aussi une détente, bien qu’en avançant dans le livre la proportion entre amusement et suspense s’inverse progressivement : beaucoup d’humour au début, beaucoup de suspense à la fin, et assez de rebondissements, de secrets et d’états d’âme pour qu’on ait l’appétit de continuer, de continuer encore, de finir le livre sans tarder.

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Benjamin Stevenson
Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un
Traduction : Cindy Colin-Kapen
Éditions Sonatine
2023

Sur la dalle

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Littérature française
Par Catherine Chahnazarian

Ouf ! que je me suis dit, elle n’a pas définitivement abandonné le commissaire Adamsberg ! Et je me suis aussitôt plongée dans ce nouveau roman, trop heureuse de retrouver ses personnages principaux, et en me disant : C’est marrant, elle aime la Bretagne, Fred Vargas.

Pourtant, malgré mon enthousiasme, vers la moitié ou aux deux tiers du livre, j’ai commencé à faiblir. D’abord, les décors et les personnages étant dans ma tête, ils sont et resteront beaux pour toujours (rappelons-nous d’être poétiques à nos heures, d’extravaguer, de nous raconter des histoires pour mieux appréhender la réalité). Mais aurais-je aimé et compris les rencontres, la complicité, apprécié le rôle de chacun si je ne les avais pas déjà connus (du moins pour l’équipe d’Adamsberg) ? Ensuite, l’histoire est bien conçue, avec ses déviations, ses maigres réussites et ses échecs, l’espoir qu’on nourrit, la crainte aussi. Mais ce n’est pas possible, ce roman n’est pas fini ! Il y manque une couche ou deux : resserrer ici, supprimer les explications qui vont générer des redites, bien asseoir la personnalité des nouveaux personnages, gérer les problèmes de temporalité, éliminer ou mieux amener telle grosse facilité, revoir quelques formulations ambiguës, s’assurer d’avoir toujours orthographié les noms de la même façon, corriger les dernières coquilles… Comment est-il possible qu’à ce niveau de talent d’un côté (l’autrice) et de savoir-faire professionnel de l’autre (l’éditeur), ils en soient arrivés à nous livrer un travail qui n’est pas abouti ?

Je suis à la fois ravie d’avoir retrouvé des personnages que j’aime et une atmosphère familière, faite de gens un peu décalés, de confiance et d’amitiés rassurantes, de lieux propres au mystère, à cheval entre aujourd’hui et un hier ancestral imprégné de croyances… et déçue de savoir que, vu le nombre d’exemplaires tirés d’office, j’ai lu la version définitive.

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Fred Vargas
Sur la dalle

Éditions Flammarion
2023

Espions en révolution

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Essais, Histoire… (U.S.A.)
Par Catherine Chahnazarian

Entre récit et cours d’histoire, à la fois fluide et un peu austère, ce livre hybride, plein de références (l’auteur cite ses sources au détail près), est en fait amusant comme tout. On se retrouve à Paris et à Londres puis en Amérique du Nord, en gravitant autour de trois personnages qui ont fait la Révolution américaine : Silas Deane, le chevalier d’Éon et Pierre Caron dit Beaumarchais. Le premier est un entreprenant commerçant qui râle que l’Angleterre dicte sa loi au commerce international. Le second un fou doté d’un culot inouï, capable de faire chanter les rois. Le troisième est horloger au départ, auteur de théâtre à ses heures, professeur de musique, marchand d’armes… un touche-à-tout tantôt en fortune, tantôt ruiné. Avec prudence, mais en se laissant par moments aller au romanesque, Joel Richard Paul retrace comment chacun d’eux est amené à participer à l’indépendance américaine, et ce n’est pas triste. Car ils sont tous trois extravagants, ambitieux, un peu dingues, relativement marginaux et d’une intelligence redoutable. Un livre d’histoire qui donne vie à deux Français qu’on connaît en général fort peu : le chevalier d’Éon pour la question de savoir s’il était un homme ou une femme, Beaumarchais pour son Figaro dynamique et drôle, enclin à critiquer la société de l’époque. On est donc loin des cours d’histoire de notre séjour au lycée. Outre la mise en lumière de ces personnages passionnants, le récit construit notamment des images assez jouissives des relations internationales et de la diplomatie au dix-huitième siècle, et nous permet de comprendre les tenants et aboutissants de la Révolution américaine.

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Joel Richard PAUL
Espions en révolution
Beaumarchais, le chevalier d’Éon, Silas Deane et les secrets de l’indépendance américaine
Éditions Perrin
Traduction de Bernard Frumer
2022

Le pain perdu

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Essais, Histoire
Par Catherine Chahnazarian

Ce récit autobiographique, Edith Bruck le livre dans l’urgence. Sa vue diminue, sa mémoire risque de commencer à la lâcher ; elle tient à reparcourir l’ensemble de sa vie avant qu’il ne soit trop tard. Elle a déjà beaucoup écrit et beaucoup témoigné, mais elle refait dans Le pain perdu le périple qui l’a menée à Rome et à s’installer en Italie. Née en Hongrie, en 1931, juive, elle a fait l’expérience de la déportation, des camps de concentration. Puis elle a connu cette terrible déception, à la Libération, de ne pas être comprise, de ne plus faire tout à fait partie de la société, plus comme avant ; et de savoir ce que le mot « liberté » veut dire alors que le vivre n’est pas si facile. Elle a croisé différentes cultures, vécu la vie errante d’une artiste de spectacle, puis trouvé le pays où elle se sentira bien, et l’amour de sa vie.

Investie d’une mission de mémoire, elle est une de ces femmes qui se moquent des cases dans lesquelles on veut les mettre. Elle jette ici brièvement (148 pages) les éléments essentiels qui l’ont constituée et décrit son sentiment de dédoublement quand elle reçoit des honneurs, ne pouvant être tout à fait ce personnage-là, cherchant à rester aussi la petite fille aux pieds nus qu’elle fut il y a plus de quatre-vingts ans.

J’ai cru lire d’une traite ce récit sans pathos et sans fioritures inutiles, mais j’ai dû faire une pause page 63 (« raconte-le, si tu survis »), à son arrivée en Israël, après être passée de camp de transit à camp de transit, puis quand quelqu’un, enfin, s’intéresse à ce qu’elle écrit.

Le pain perdu est le livre d’une femme responsable d’elle-même. Et si, après ou avant de la lire, vous avez envie de mieux la connaître et que vous comprenez l’italien, essayez ce documentaire d’une heure, fait sur et avec elle, où elle est absolument merveilleuse.

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Edith Bruck
Le pain perdu
Éditions du Sous-sol (Seuil)
Traduction de l’italien : René de Ceccatty
2022

Disponible chez Points

L’enfant réparé

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Littérature française
Catherine Chahnazarian

Alors que paraît Une nuit particulière, je viens seulement de lire L’enfant réparé, qui n’est pas qu’une ligne parallèle à la psychanalyse de Grégoire Delacourt. Psychanalyse qui lui a permis de comprendre que ses souffrances étaient dues aux abus de son père, et de comprendre le sacrifice que sa mère a fait pour lui. L’enfant réparé est aussi une relecture de tous ses livres, de tous les mots qui devaient sortir, de ce qui s’est exprimé plus ou moins malgré lui dans ses précédents romans. Une sorte de grille de lecture rétrospective pour ses fans, de confirmation pour les plus psychologues qui avaient compris.

Mais que peut-on bien écrire après cela ? Si tous les mots convergeaient vers le souvenir enfoui qu’il fallait désenfouir, que peut-on écrire après cela ? Et le lecteur de L’enfant réparé n’est-il pas définitivement devenu le psychanalyste de l’auteur, ayant à présent en mains une telle grille de lecture ? Delacourt n’est-il pas désormais tenu de devancer l’analyse de ses lecteurs, de la court-circuiter d’avance, de faire en sorte que ce qu’il écrira ne le déshabille pas trop ? C’est ce que nous verrons en lisant Une nuit particulière… Qui le premier ou la première critiquera ce nouvel opus pour Les yeux dans les livres ? Hum ?

La beauté de L’enfant réparé tient bien sûr à la vérité qui est dite, qui sait ne pas être bêtement nombriliste, qui sait aussi tenir le lecteur en haleine en l’emmenant dans une construction dont la chronologie est déstructurée, une idée en appelant une autre, un retour en arrière étant toujours possible, comme sur un divan. Mais la beauté du texte tient avant tout à cette écriture remarquable, que l’on rechigne à décrire dans le détail pour ne pas lui enlever sa magie. Parce que, pour ce qui est des mots, Delacourt est vraiment très doué.

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Grégoire Delacourt
L’enfant réparé
Éditions Grasset
2021

Disponible en Poche

Toutes nos critiques de Grégoire Delacourt sont référencées à la lettre D de notre classement par auteur.

Le suppléant

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Biographies et autobiographies (Royaume-Uni)
Par Catherine Chahnazarian

La majeure partie du livre constitue un récit de vie qui se lit comme un roman. Le point de vue subjectif est totalement assumé, le contenu vraiment intéressant. Harry annonce assez vite la couleur avec une anecdote sur Charles faisant sa gymnastique, mais on entre assez peu dans l’intimité de la famille, Harry centrant son récit sur les étapes de sa vie à partir de la mort de Diana : Ludgrove School, Eton, les soirées festives (très gosses de riches), les vacances au Botswana, l’amitié exceptionnelle qu’il y découvre, l’humanitaire, l’armée, la guerre, le stress post-traumatique et, enfin, la rencontre avec Meghan.

Bien sûr, Harry règle des comptes, mais surtout avec les médias, tandis que les reproches à la famille restent allusifs, relativement modérés. Bien sûr, les souvenirs peuvent être reconstruits. Mais même s’il fallait ne tenir compte que de la moitié de ce qui est dit, il n’en demeure pas moins que la souffrance qui s’exprime est poignante. On ne peut que comprendre le besoin de raconter l’histoire telle que lui — et plus tard eux, avec Meghan — l’a vécue.

La dernière partie du Suppléant dévie par contre vers plus délicat. Des détails auraient pu être tus, être remplacés par un point de vue surplombant. Harry semble parfois un peu de mauvaise foi ou aveuglé. Il y a de quoi, car les relations avec son père sont compliquées, celle des deux frères se dégrade. Des événements factuels importent beaucoup à Harry mais, fondamentalement, les différends sont culturels (William comme Charles sont pris dans un terrible carcan de convenances, une spécifique façon de penser) ou dus à des tiers (la reine elle-même semble à la merci de personnels du Palais dont le pouvoir est hallucinant). Mais sans doute est-ce encore trop tôt pour que Harry puisse le résumer simplement. Ses blessures et sa colère ont des racines profondes : le sentiment d’avoir été laissé seul avec son chagrin et son désarroi à la mort de sa mère et dans les années qui ont suivi ; le harcèlement des paparazzi, l’acharnement de certains médias ; l’obligation de se taire et de se taire encore alors que cela bouillonne en lui ; l’impression d’être sacrifié au profit de la tranquillité d’autres membres de la famille royale, d’être détesté de ceux qui tirent les ficelles. On est pris de pitié pour tant de souffrance, et d’admiration pour la – finalement – si longue fidélité de Harry à la Monarchie. Mais il a fait de nous des voyeurs.

Un récit à découvrir pour découvrir Harry, pour se faire une opinion personnelle après toutes ces années où la presse a été la seule à s’exprimer.

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Prince Harry
Le suppléant
Éditions Fayard
Traduction de Nathalie Bru et Santiago Artozqui
2023

Chez l’éditeur français
Chez l’éditeur américain

V2

Robert Harris, V2, Belfond, 2022

— Par Catherine Chahnazarian

À Scheveningen, Hollande, l’ingénieur Graf, l’un des génies allemands à avoir mis au point les célèbres V2, bombes-fusées révolutionnaires capables de faire de terribles dégâts, sent approcher la défaite. De l’autre côté de la Mer du Nord, Londres subit les bombardements. Kay en fait l’expérience un matin qui aurait dû être gai, elle qui travaille à la Women’s Auxiliary Air Force et dont la mission est justement de tenter de repérer le pas de tir des V2 sur les photos prises par les aviateurs britanniques au-dessus des côtes néerlandaises. À Malines, Belgique, les Anglais ont installé leur QG dans un soldatenheim, un foyer allemand pour soldats, abandonné. Car nous sommes fin 1944. Les SS sont partout pour « remonter le moral des troupes », mais partout où les Allemands n’ont pas encore perdu la guerre. De quinze mètres de long, transportant une tonne de charge explosive et se déplaçant à trois fois la vitesse du son, les V2 sont le dernier espoir de l’Allemagne nazie.

Passionné d’Histoire, Robert Harris possède un talent particulier pour nous y intéresser. Il la fait revivre, dans son époque et ses décors, dans ses enjeux. Il l’humanise en créant des personnages fictionnels qui l’incarnent, qui à la fois répondent aux règles efficaces du roman à suspense et éclairent les mœurs, l’idéologie, les décisions et leurs conséquences — aux côtés des personnages historiques auxquels il redonne corps. Pas de héros spectaculaires, donc, mais des personnages réalistes, couards ou déterminés, froids ou amicaux, amenés ou pas à accomplir de beaux gestes. Ainsi en va-t-il des personnages principaux dans V2, aux côtés des personnalités folles qu’avaient produites ou utilisées l’Allemagne nazie. Le suspense repose sur des éléments voire des détails très variés, et titille aussi bien notre curiosité historique que notre sens de l’amitié, nous tient en haleine aussi bien sur des questions techniques que sentimentales ou sur l’évolution psychologique d’un personnage. Robert Harris publie environ un roman par an, que je lis en deux jours ; s’il les publiait en feuilleton, je serais totalement addict.

Alors que l’Ukraine se fait bombarder sans pitié, V2 (qui a été écrit avant la guerre) prend évidemment une résonance particulière.

Catégorie : Policiers et thrillers (Grande-Bretagne). Traduction : Anne-Sylvie Homassel.

Liens : chez l’éditeur ; toutes nos critiques de Robert Harris sont répertoriées à la lettre H du classement par auteur.

Mamie Luger

Benoît Philippon, Mamie Luger, Les Arènes, 2018 (disponible au Livre de Poche)

— Par Catherine Chahnazarian

Berthe a cent deux ans et la langue bien pendue. Si son corps ne suit plus bien, elle a toute sa tête et sait encore tirer à la carabine. Car Berthe a appris à se défendre. Cent deux ans à devoir supporter qu’une femme n’est pas censée être libre ; à devoir supporter le patriarcat, la bêtise, la brutalité, l’injustice.

Sur le ton gouailleux d’un roman ludique plein de rebondissements, Benoît Philippon dresse un portrait d’une crédibilité saisissante. Berthe se raconte sans façon et avec « une sensibilité tirée d’un puits de larmes asséchées par le temps », qui vous en tirerait par moments si l’auteur n’avait eu la gentillesse d’y mettre de l’humour (bien qu’à  la fin…). C’est tout juste supportable pour le policier qui fait face à Berthe et dont le professionnalisme est mis à rude épreuve ; et pour nous, lecteurs, qui ferions des jurés incertains.

L’équilibre entre les époques, entre les récits et les retours au présent ; l’alternance de tension et de détente, de violence et d’amour ; l’habileté à relancer l’intérêt au moment où l’on pourrait craindre un banal comique de répétition ; la crudité des scènes de sexe, qui échappent à la plus basse vulgarité par réalisme aussi bien que par humour ; la sensibilité sans la fragilité, la compréhension sans la complaisance, l’explication sans les excuses, tout cela relève d’un réel talent d’auteur qui fait oublier l’option « série B » suggérée par le titre, la couverture du Poche et la gouaille.

Catégorie : Policiers et thrillers.

Liens : aux Arènes ; au Livre de Poche.

Une brève libération

Félicité Herzog, Une brève libération, Stock, 2022

— Par Catherine Chahnazarian

Ce roman historique traverse, en 350 pages, Paris et l’Occupation, l’Isère et la Résistance en Vercors puis la rencontre entre les deux principaux personnages, en commençant en 1940 pour finir en 1946. Le début présente deux familles parisiennes : celle de Marie-Pierre, une noblesse insouciante et inconséquente qui fait de très mauvais choix, et celle de Simon, juive, subissant ce à quoi la première reste indifférente, obligée de fuir. La jeune fille va rester empêtrée dans les convenances que lui impose sa bonne éducation ; le jeune homme va faire ce que sa conscience et ses valeurs lui dictent, entrer dans la Résistance. Ces chemins pour le moins différents sont intéressants à suivre mais sont parcourus au pas de course, et le troisième tiers du livre est consacré à la rencontre, l’amour impossible et le happy-end. Je ne dévoile rien : Marie-Pierre de Cossé Brissac est la mère de l’autrice et Simon Nora fut son premier mari.

Comme roman biographique, c’est intéressant et irréprochable, en ce sens que la vérité des faits, des opinions et des sentiments semble parfaitement respectée — au point que l’on peut se demander si le manque de développement n’est pas un effet de la fidélité de Félicité Herzog aux témoignages qu’elle a recueillis. Mais la promotion du livre était si soutenue que je m’étonne de ses faiblesses. Comme roman historique, c’est assez frustrant, surtout si l’on s’intéresse à cette période ou si, comme moi, on croyait faire une plongée en Vercors – c’est le cas, mais sur quelques pages à peine. Déroutant aussi, car on passe de la dénonciation des mœurs d’une famille décalée aux feux de la guerre puis à un relativement banal désarroi sentimental. Fâchant, enfin, car c’est à la fois très bien écrit et plein de maladresses, qui peuvent passer inaperçues si on lit vite mais qui ne résistent pas à une lecture attentive. (Mais que font les éditeurs ?)

Une fois prévenu, on peut choisir de lire cette Brève libération pour l’éclairage intéressant sur une certaine collaboration, le cheminement humain qui mène à la résistance, et les démêlés de l’héroïne avec son milieu.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur ; un article du Figaro sur Marie-Pierre de Cossé Brissac.

Une poignée de vies

Marlen Haushofer, Une poignée de vies, Actes Sud, 2020
(Ed° Paul Zsolnay Verlag, Vienne, 1955)

— Par Anne-Marie Debarbieux

Betty, que l’on croyait morte, réapparaît une vingtaine d’années après sa disparition, potentielle acquéreuse de la maison qu’elle habitait jadis et où vivent encore ses proches. Curieusement, ils ne la reconnaissent pas et elle ne révèle pas son identité. Hébergée pour quelques jours, elle trouve dans la chambre d’amis des photos anciennes et autres souvenirs qui ravivent des périodes révolues (cela commence en 1912). Ce préambule étant posé, le roman commence véritablement sur l’évocation que Betty fait du passé, depuis son enfance jusqu’à sa fuite.

Après avoir connu les années de pensionnat dans une institution catholique aux principes rigides destinés à former et éduquer de futures et respectables mères et épouses, après avoir traversé les doutes et les ambiguïtés de l’enfance et l’adolescence entre deux amies très chères, Betty aborde enfin ce qu’elle croyait être la vraie vie.

Éprise de liberté, elle ne sait pas exactement ce qu’elle cherche et tente de s’adapter à la vie de bonne mère et bonne épouse à laquelle on l’a préparée et qu’elle rêvait sans doute tout autre. À quoi aspire -t-elle ? Elle semble inadaptée à la vie qu’elle mène mais en même temps, elle semble lisse, sans passion, sans révolte… Résignée ? Difficile à dire. Quel est le poids du carcan social et celui d’une personnalité très complexe ?

De ce fait elle échappe un peu au lecteur qui a du mal à la cerner, et partant, à ressentir une véritable empathie pour elle. Elle intrigue plus qu’elle ne séduit.

Comme Emma Bovary à laquelle elle fait penser à plusieurs reprises, Betty est victime d’une époque, d’une éducation, d’une certaine idée de la condition féminine, mais ces pistes semblent insuffisantes pour cerner son mal de vivre. Betty garde ses mystères, les critères sociologiques ne suffisent pas à la cerner et c’est peut-être là la réussite de l’auteure que de laisser à son héroïne une étrangeté qui éveille l’intérêt du lecteur tout en prenant le risque de susciter en lui un léger sentiment d’ennui.

Catégories : Redécouvertes, Littérature étrangère (Autriche). Traduction : Jacqueline Chambon.

Liens : chez Actes Sud.


Échange sur Une poignée de vies

— Anne-Marie Debarbieux et Catherine Chahnazarian

Catherine

J’ai trouvé le début inutilement forcé. Mais, plus j’ai avancé dans ce roman, plus j’ai aimé ce dont il voulait témoigner : d’une personnalité inhabituelle et sans doute pathologique qui se remémore sa jeunesse au cours d’une nuit d’insomnie, ses mal-être et ses apaisements, ses révoltes et ses fausses résignations. Enfant, déjà, peut-être traumatisée par la guerre (la Première) et par un incident dans une étable, elle est borderline, a des visions, ne maîtrise pas toujours ses pulsions. La manière dont elle gère ses amitiés, les inimitiés aussi, les bonnes sœurs et les règles qu’elles imposent avec bienveillance, tout est un peu étrange dans le rapport à l’amitié, l’amour et la souffrance.

Un petit suspense parcourt ce récit psychologique. On peut en effet imaginer des scénarios ayant mené Betty à la situation exposée au début et s’interroger sur la manière dont elle s’y est prise pour fuir ou les raisons qu’elle s’est données… Mais ce qui compte, c’est ce regard porté sur les différentes phases de sa vie, une « poignée de vies ».

(Bravo à Billy and Hells pour la couverture !)

Anne-Marie

Dire que je n’ai pas trop aimé ce livre est excessif. J’ai bien aimé l’écriture, et même l’intrigue qui, même si elle est parfois à la limite du vraisemblable, est intéressante ; mais le personnage principal ne m’a pas beaucoup touchée. Cette femme me reste extérieure, je ne m’attache pas à elle. Elle ne m’inspire ni sympathie ni antipathie. Elle m’échappe. Une personnalité perturbée, oui, pathologique, je ne suis pas allée jusque-là, peut- être parce que son entourage ne semble pas la trouver étrange, et j’ai un peu de mal à imaginer qu’une personnalité aussi perturbée ne suscite pas de questionnement.

Catherine

Peut-être est-ce une question d’époque. Au sortir de la Première Guerre mondiale, tant de gens étaient « perturbés » !

Je crois que son entourage de jeunesse (sœurs au couvent, amies), parce qu’il la trouvait étrange, lui a appris à faire semblant de l’être moins (ce qu’elle appelle « mentir »), et que c’est cette solution qui lui permet, une fois adulte, d’avoir un semblant de vie normale, bien qu’elle recherche la brutalité avec son amant et que l’ennui lui apparaît avec une force telle qu’elle doit partir, quitter sa famille.

Le retour après une longue absence, je l’ai ressenti comme un moment de nostalgie, un de ces moments où elle est capable de ressentir quelque chose (la tristesse que son ex-mari soit mort et que son fils soit orphelin), mais vu sa personnalité, cela ne dure pas et il faut qu’elle s’en aille de nouveau car elle est incapable de vivre normalement. J’ai aussi compris qu’elle était malade, mais je n’en suis pas sûre. Condamnée peut-être ? C’est au lecteur de choisir… Moi j’aime bien ça.

Anne-Marie

Je me suis demandé aussi si le rapprochement avec Bovary était volontaire ou non. Emma Bovary est une victime, mais elle est aussi « pas très futée » et son manque d’envergure a quelque chose de touchant. Dans le roman de M. Haushofer je me sens comme désemparée (je ne sais pas si c’est le bon terme mais c’est celui qui me vient).

Catherine

Je crois que les allusions sont volontaires. A un moment ou l’autre, je me suis dit que c’était presque explicite. J’aurais dû noter les passages. Je crains toujours de surinterpréter mais je pense que M. Haushofer s’inspire du personnage d’Emma pour le revisiter, raconter la jeunesse que Flaubert ne raconte pas, en la plaçant dans un après-guerre que l’autrice comprend bien puisqu’elle écrit au début des années 1950, ce qui laisse planer le doute sur les causes des comportements étranges.

Anne-Marie

Finalement cette héroïne nous échappe, on ne peut que s’en tenir à des hypothèses en interprétant les petits indices que le texte distille çà et là. On ne peut pas s’approprier la complexité du personnage.

C’est quand même là la preuve du grand talent de l’autrice !

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