
—
Littérature française
Par François Lechat
C’est un roman à clés, mais avec tout un trousseau pour la même serrure… Car le personnage central côté masculin, Dan Lehman, président de la République qui a échoué à se faire réélire, tient de Sarkozy (l’ambition, l’énergie, l’amertume d’avoir été battu), de Hollande (le président de gauche accusé d’avoir mené une politique de droite, l’homme aux deux femmes dont une liée au showbiz), de Jospin (le retrait forcé de la vie politique), de Blum et de Mendès-France (la judéité), de Chirac et de De Gaulle (l’enfant chérie et handicapée), et j’en passe. Et on pourrait faire le même exercice du côté des personnages féminins, autrices ou actrices proches des héroïnes qui bousculent l’ordre établi depuis MeToo.
Les thèmes, quant à eux, sont prenants : impasses de la politique, ambitions dévorantes, domination masculine, violence du monde du cinéma, tension entre la logique du désir et celle de la dignité, spectre de l’âge qui rend les hommes attirants et les femmes hors-jeu… Sans parler du personnage d’Anna, petite fille muette adorée de tous, et de l’addiction à l’alcool, promesse de déchéance.
Le livre est riche, donc. Mais la manière ? Après avoir lu Les choses humaines, j’avais posé la question de la place de la littérature dans les romans de Karine Tuil. L’insouciance m’avait paru d’une grande efficacité narrative au détriment du style, tandis que Les choses humaines commençaient à faire une place à des moments de respiration, de méditation, d’écriture plus travaillée.
Je devrais donc me réjouir du fait que, dans La guerre par d’autres moyens, ces moments se multiplient et donnent de la profondeur au roman. Sauf que… Sauf que, d’une part, le déséquilibre s’est inversé. Trop de commentaires, trop d’introspection, pas assez d’événements, de rebondissements, d’autant qu’une partie de ces derniers s’avère prévisible. Et sauf que, d’autre part, toutes ces réflexions sur les enjeux propres à notre temps sont, pour moi, assez convenues, très justes mais précisément déjà lues, déjà vues. Et j’en dirais de même pour l’alcool, dont les ravages ne sont pas une découverte.
On ne peut pas reprocher à un roman d’être féministe, social, bienveillant à l’égard des modestes et critique à l’égard du monde du cinéma, des médias et de la politique, ces lieux de pouvoir impitoyables. Mais fallait-il dire tout cela, ou le laisser entendre, le faire découvrir par l’action plutôt que par le discours ?
*
Karine Tuil
La guerre par d’autres moyens
Éditions Gallimard
2025














