Des diables et des saints

On a tellement aimé Veiller sur elle (Prix Goncourt 2023) qu’on a décidé de lire les premiers romans de Jean-Baptiste Andrea, qu’on ne connaissait pas. D’où cette mini-série « On a lu tout Jean-Baptiste Andrea » — en attendant le prochain.

L’ordre de nos articles suit l’ordre des publications : Ma reine (2017), Cent millions d’années et un jour (2019), Des diables et des saints (2021).

Littérature française

Catherine Chahnazarian

Non seulement j’ai dévoré tous les Jean-Baptiste Andrea, et donc celui-ci aussi, mais ils ont résisté à des lectures rapprochées sans me lasser de l’auteur.

Des diables et des saints se passe dans un orphelinat perché dans les Pyrénées, prison qui ne dit pas son nom, un de ces établissements dont les méthodes éducatives de « bons » catholiques ont fait la preuve de leur bêtise, de leur brutalité, de leur perversité. Le narrateur figure parmi des orphelins captifs, brimés, qui attendent leur majorité avec plus ou moins de résignation, en développant parfois de la violence, parfois aussi des rêves.

Andrea a sa façon à lui de traiter le sujet, en l’enveloppant de la personnalité de son personnage principal, le narrateur, qui ne se laisse ni identifier par son statut d’orphelin maltraité, ni regarder comme un être brisé ; et en attribuant une place authentique à la musique, touche originale qui n’affaiblit pas le sujet mais s’y fond au point que, entrant dans une gare quelques jours après ma lecture, j’ai frissonné en voyant le piano dans le hall…

Parmi les autres personnages, un garçon pas comme les autres rappelle, il est vrai, le héros de Ma reine, mais cela ne m’a pas gênée. Cette fois, l’auteur nous demande de regarder le simple d’esprit de l’extérieur et de faire notre choix : l’ignorer, nous en moquer, le plaindre ou l’accompagner. La montagne est prise à nouveau comme lieu d’isolement et de dangers, mais ça non plus ne m’a pas gênée, ça ne me dérange pas que l’auteur ait un décor de prédilection. Ses romans ont surtout la beauté pour point commun, celle de la nature (paysages, pierre, vents…), celle que l’art génère (le héros des Diables et des saints est musicien, celui de Veiller sur elle est sculpteur), celle de la personne que l’on aime, celle de l’amitié. Et celle de sa langue, d’une incroyable beauté et sans forfanterie d’auteur, qu’il a définitivement trouvée et domptée dans Des diables et des saints.

Veiller sur elle apparaît comme un concentré des talents développés au cours des cinq ou six années précédentes, permettant un travail de plus longue haleine, plus complexe, comme le disait François Lechat, et sans doute plus remarquable. Mais déjà dans Des diables et des saints, en n’en faisant ni trop ni trop peu, Andrea greffe sur une base assez simple une construction plus subtile qu’il n’y paraît, que rend profonde la superposition naturelle des sujets : la fragilité et la force ; le dénuement et la richesse ; les trébuchements de la vie et l’envie de vivre ; l’envie, le besoin d’être libre ; la résistance donc, et la vérité des sentiments.

*

Daniel Kunstler

À la fin des années soixante, l’influence du clergé sur la vie publique en France est en déclin, et la laïcité a irréversiblement infiltré le modèle de gouvernance. Une loi datant de 1905 avait imposé la séparation des Églises et de l’État, et la messe du dimanche n’attirait plus qu’un quart de la population de “la fille aînée de l’Église”. Cependant, dans les régions plus retirées de l’hexagone, cette même Église n’est pas près de lâcher prise sur le plan social, et il s’ensuit que des abbés de province s’entêtent à protéger les brins d’autorité qu’il leur reste. 

C’est avec ce contexte en toile de fond que j’ai lu Des diables et des saints. Soyons clairs : il ne s’agit ni d’un livre didactique ni d’un roman historique. Il vise la distraction et la fluidité, ce à quoi il réussit admirablement tout en étant d’une plume remarquablement raffinée. Néanmoins, l’ambiance de l’époque nous fait apprécier le choix du lieu où se déroule l’essentiel du récit – un orphelinat dans l’arrière-pays entre Lourdes, haut-lieu du Catholicisme, et la frontière espagnole – et du personnage de l’Abbé Sénac, qui dirige l’orphelinat, ainsi que de celui de son opposé, Joe, victime de son sadisme et principal protagoniste de l’histoire. Andréa juxtapose la cruauté de l’abbé à la rudesse de l’ancien professeur de piano Rothenberg : ce dernier, malgré sa brusquerie, tenait à épauler les aspirations de Joe, alors que Sénac s’efforce de les écraser.

Des diables et des saints s’expose à des critiques somme toute assez dérisoires : la fixation un peu aléatoire sur certaines sonates pour piano de Beethoven dont les particularités échapperont à la majorité des lecteurs ; le portrait parfois un peu caricatural de « la Grenouille », homme de main de l’abbé, qui trempe parfois dans la caricature ; la vie parfaite de Joe adulte, un peu trop commode ; enfin, le rapport de Joe avec une jeune fille, qui suit un cours totalement prévisible.

Mais peu importe les petites objections qu’on peut avoir à l’égard Des diables et des saints. Ce livre engage le lecteur du début à la fin, jusque dans les petits détails. Les personnages sont captivants et d’une humanité émouvante. Joe, certes, mais aussi ses amis, que je vous laisse découvrir. L’écriture d’Andréa est fine, pointue, et lumineuse sans être prétentieuse. L’humour est présent, mais subtil et conforme à la personnalité de Joe. Le sujet, lourd – les abus subis par des enfants confiés à des institutions censées les protéger -, est traité avec doigté et fidélité au contexte historique. Et, bien que ce contexte remonte à plus d’un demi-siècle, le sujet reste d’actualité. 

Lisez ce roman, vous ne serez pas déçus.

*

Jean-Baptiste Andrea
Des diables et des saints

Editions L’Iconoclaste
2021
Nous l’avons lu en collection Proche.

Tous nos articles sur Andrea sont référencés dans le classement par auteur.

Cent millions d’années et un jour

On a tellement aimé Veiller sur elle (Prix Goncourt 2023) qu’on a décidé de lire les premiers romans de Jean-Baptiste Andrea, qu’on ne connaissait pas. D’où cette mini-série « On a lu tout Jean-Baptiste Andrea » — en attendant le prochain.

L’ordre de nos articles suit l’ordre des publications : Ma reine (2017), Cent millions d’années et un jour (2019), Des diables et des saints (2021).

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Littérature française

Catherine Chahnazarian

Pourquoi n’a-t-il pas été primé, ce roman-ci ? Parce qu’il venait en second après Ma reine (prix du Premier roman 2017 et bien d’autres) et qu’on l’a examiné sous toutes les coutures avec trop d’exigence ? Moi j’ai adoré. Avidité de connaître la fin, emprise de la montagne sur mon imagination, admiration pour l’auteur, empathie, bien sûr, pour Stan, le narrateur.

Andrea nous offre à nouveau une histoire simple, originale et captivante mais que vont complexifier et renforcer des fils secondaires. Ici, cela monte en puissance et la tension dramatique devient si aigüe qu’on se croirait dans un thriller. Un archéologue d’une cinquantaine d’années part en expédition à la recherche d’un squelette de dinosaure – ou à la poursuite d’une chimère ? – dans cet univers fantastique, magique, qu’est la haute montagne, si loin de nos vies ordinaires.

Andrea possède l’art subtil de peindre progressivement ses personnages, de les densifier au cours du récit, de travailler les émotions, la souplesse de la pâte humaine. Certains chapitres commencent de manière énigmatique, polysémique, obligeant à continuer à lire pour comprendre de quoi il s’agit. J’adore cette manière qu’a l’auteur de me prendre la main et de me demander de sauter. S’il abuse un peu, dans ce roman-ci, de comparaisons et de métaphores parfois très imaginatives au point que le lecteur y bute, son style poétique s’y forge une qualité exceptionnelle.

Et j’ai savouré cette aventure, relisant certains paragraphes avant de me lancer dans la suite, juste pour être sûre de n’avoir pas manqué un zeste de beauté. Et puis pour faire durer le plaisir : il reste encore quelques chapitres, tout est possible ; il reste quelques pages, on ne sait jamais…

Florence Montségur

Presque un thriller, oui, tout à fait d’accord ! Avec des flashbacks éclairants mais en même temps une action qui tire le lecteur sans cesse vers la suite. Un bon travail sur la temporalité. Avec le merveilleux de Ma reine et quelque chose que je n’arrive pas à expliciter. Un impressionnisme ? Jouant sur ce fantasme que nous avons tous de partir à l’aventure, sur nos peurs aussi. Les quatre personnages sont spéciaux, chacun à sa manière. L’ambiance vient de la montagne mais aussi de leur personnalité.

Je n’en ai fait qu’une bouchée.

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Jean-Baptiste Andrea
Cent millions d’années et un jour

Édition originale : L’Iconoclaste
2019
Disponible en Folio.

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Ma reine

On a tellement aimé Veiller sur elle (Prix Goncourt 2023) qu’on a décidé de lire les premiers romans de Jean-Baptiste Andrea, qu’on ne connaissait pas. D’où cette mini-série « On a lu tout Jean-Baptiste Andrea » — en attendant le prochain.

L’ordre de nos articles suit l’ordre des publications : Ma reine (2017), Cent millions d’années et un jour (2019), Des diables et des saints (2021).

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Littérature française

François Lechat

Premier roman d’Andrea, Ma reine a reçu une dizaine de prix qui ont couronné un univers et un style d’emblée parfaitement aboutis. Sans dévoiler l’intrigue, on y trouve certains des motifs de Veiller sur elle, comme l’amitié amoureuse du héros pour une fille énigmatique et les tourments d’un marginal. L’écriture, aussi, présente déjà des fulgurances typiques de l’auteur, comme cette phrase inouïe : « Elle était très mince, tellement qu’elle avait l’air de pouvoir se glisser entre deux rafales de vent sans déranger personne. »

Un très beau roman, donc, mais moins riche et complexe que le prix Goncourt d’Andrea. Le fait de se mettre dans la peau d’un garçon un peu simple n’est pas vraiment neuf, mais Jean-Baptiste Andrea le fait avec brio et de manière touchante.

Catherine Chahnazarian

Je vois Ma reine comme un conte. C’est un de ces récits qui se lit d’une traite, qui vous emporte dans sa fluidité. Proximité avec les personnages – puisque nous avons été enfants – et crainte pour le héros – puisqu’il est fragile et se met dans une situation dangereuse – sont les impressions dominantes. Le reste, c’est du merveilleux.

Résumer le livre serait très rapide, décrire le personnage serait très simple, et pourtant… J’ai trouvé Ma reine très réussi, subtil, équilibré, prenant. La parenté avec Veiller sur elle ne me trouble pas : j’y vois un goût pour évoquer l’enfance, un souci de faire vivre des personnages forts.

Un très beau roman, donc (clin d’œil à François), dont la simplicité est une fraîcheur.

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Jean-Baptiste Andrea
Ma reine
Editions L’Iconoclaste
2017
Disponible en Folio.

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La femme brouillon

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Littérature française
Une brève de Florence Montségur

Ce très court livre, simple, drôle, franc, dit le parcours d’une femme qui tombe enceinte et découvre tout ce que cela implique. Changement de statut social, humiliations, angoisses, résurgences de sa propre enfance, déséquilibres, envahissement, amour. En faire un livre fait sortir faits et émotions d’une sphère habituellement refermée sur quelques intimes – ou alors romancée. Décidément, aujourd’hui les femmes s’expriment.

Un chouette clin d’oeil. Un féminisme du quotidien.

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Amandine Dhée
La femme brouillon
Editions La Contre Allée
2017

Disponible en Folio

Quelque chose à te dire

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Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux

Elsa Feuillet, qui commence à se faire un petit nom en littérature, a placé en exergue du livre qu’elle vient de publier, une citation de la grande écrivaine trop tôt disparue, Béatrice Blandy, qu’elle admire particulièrement. Cette marque de reconnaissance envers celle qui fut en quelque sorte sa muse lui vaut d’être contactée par le mari de la défunte qui, très touché par cette marque d’attention, souhaite la rencontrer.

Si elle est flattée de cet intérêt, Elsa y voit aussi une occasion extraordinaire d’approcher un peu l’univers de la grande dame qu’était à ses yeux Béatrice Blandy. Elle accepte donc le rendez-vous avec un mélange d’enthousiasme, de curiosité et d’appréhension.

Mais que cherche-t-elle exactement ? Et que cherche exactement l’homme qui l’invite à entrer dans l’intimité de la grande dame et dans un monde tellement différent du sien ? Il paraît rapidement évident qu’il poursuit un but précis.

Le roman prend alors un tour de thriller littéraire plutôt prometteur. Le lecteur ne démêle pas immédiatement tous les fils d’une situation qui demeure incertaine voire troublante, mais il voit quand même assez rapidement quels peuvent en être les enjeux.

Ce livre se lit donc agréablement, les thèmes sont intéressants, il nous fait entrer dans le monde de la création littéraire, dans celui de l’édition, mais il reste un peu à la surface des choses.

Ce roman intéressant manque un peu de densité.

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Carole Fives
Quelque chose à te dire
Éditions Gallimard
2024

Disponible en Folio

Nos autres critiques de Carole Fives : Tenir jusqu’à l’aube, Une femme au téléphone, Le jour et l’heure.

Roman fleuve

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Littérature française
Par Florence Montségur

Mon libraire y avait placé une étiquette « coup de cœur ». Comme je lui fais confiance, j’ai mis la main sur l’un des derniers exemplaires empilés sur le comptoir. Dès que je l’ai ouvert, j’ai su que j’allais parvenir à calmer ma frénésie de grand nettoyage du printemps. Allongée les pieds sur l’accoudoir d’en face, je me suis laissée embarquer dans cette histoire. C’est le cas de le dire car ces trois jeunes Parisiens sont partis à l’aventure en canoë. D’où le titre. Mais pas au bout du monde. Le projet était de descendre la Seine jusqu’à la mer. Y arriveront-ils ? Je laisse le suspense entier.

Vous trouverez sûrement une ressemblance entre ces personnages et des jeunes que vous connaissez. Bonne aptitude à s’insérer en société, surtout dans les bistrots. Mais du courage, de l’acharnement. Dans une inconscience à peine compensée par « les premières lueurs d’une maturité relative » (l’expression n’est pas de moi – ni de Humm d’ailleurs).

Ce récit est plein de méandres (c’est le style de l’auteur qui m’inspire ce jeu de mots) et se situe entre la blague potache et le guide touristique. Avec des phases de réflexion presque philosophique, un certain regard sur le monde.

C’est savoureux. Humm se présente en adolescent attardé jetant sur lui-même et sur l’expédition un regard ironique. C’est la dérision qui commande dans ce roman distrayant et joyeux.

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Philibert Humm
Roman fleuve
Éditions des Équateurs, 2022
Folio, 2024

Le jour et l’heure

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Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux

Edith a toujours été de ceux qui veulent tout contrôler. Même la fin de sa propre vie quand elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable pour laquelle aucun traitement ne peut plus lui être proposé.

Quand les quatre enfants montent à l’arrière de la voiture familiale avec leurs parents à l’avant, on pourrait croire à un joyeux départ en vacances. Sauf qu’ils sont adultes, qu’ils laissent conjoints et enfants pour répondre à l’injonction de leur mère de se rendre avec elle à Bâle où elle a décidé de mettre un terme à sa vie. Elle a prévu un programme qu’elle souhaite avant tout dénué de tristesse et de pathos. Est-ce si facile ? Est-ce un suprême panache, un suprême défi ? Une suprême preuve d’amour ? Ou une dernière emprise sur les siens ? Ou un peu de tout cela ?

L’objectif de ce petit roman très prenant n’est pas d’entrer dans le débat de la légitimité du choix de décider de programmer le jour de son « départ » lorsqu’on a épuisé toutes les ressources de la médecine. L’objectif est de s’interroger sur la manière dont les proches peuvent vivre cette situation. Une chose est d’en admettre intellectuellement le principe, autre chose est de la vivre le moment venu. Utilisant le procédé des voix alternées, en de très courts chapitres, Carole Fives explore les pensées de chaque personnage qui, en fonction de sa propre sensibilité, de sa propre histoire, de son propre rapport à la mort, va vivre ce moment ultime. On n’est jamais préparé à la mort de ses proches, mais encore moins dans les conditions imposées par Edith. Chacun relit sa vie et cherche à affronter le mieux possible une situation particulièrement douloureuse.

En les entraînant dans ce voyage sans retour pour elle, Edith a-t-elle fait un ultime cadeau à ses proches ? À chacun sa réponse…

Carole Fives prouve ici encore son grand talent pour exprimer l’ambiguïté des relations familiales.

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Carole Fives
Le jour et l’heure

Éditions JC Lattès
2023

J’ai lu tout Jean Anouilh

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Série « J’ai lu tout… »
Théâtre – Hommages
Par Catherine Chahnazarian

J’ai dû tomber par hasard sur un de ses titres amusants, décalés, prometteurs. Il me semble que ce devait être le Poche proposant Adèle ou La marguerite et La valse des toréadors. Je devais avoir… quinze ans ? Dès que j’ai eu fini celui-là, j’en ai acheté un autre, puis un autre, puis un autre… J’ai vite décidé que je les lirais tous – sans m’intéresser à la vie de l’auteur : ses pièces me suffisaient. Sa langue me ravissait, la variété des genres, et des éléments que j’aurais sans doute eu du mal à expliquer à l’époque : une certaine vue de l’humain, pleine d’une tendre ironie ; une légèreté masquant à peine une gravité réaliste ; une dynamique dans les échanges, un sens exquis du dialogue ; d’originales revisites des mythes et de l’histoire ; un don aussi exceptionnel pour la comédie que pour le drame et la tragédie – dont il sait faire en sorte qu’on n’en sorte pas lessivé.

Adolescente, choisissant les livres au hasard (comment résister à un titre tel que L’hurluberlu ou le réactionnaire amoureux ?), j’ai été ballottée d’une pièce à l’autre avec un émerveillement désordonné : amusée et ricanant avec Anouilh devant L’invitation au château, surprise par le sujet de Becket ou l’honneur de Dieu, touchée par Antigone, assez fière d’être capable d’entrer dans la subtilité de La répétition ou l’amour puni, obligée de me documenter pour lire Pauvre Bitos ou le dîner de têtes… Puis j’ai compris que l’auteur classait lui-même ses pièces en « roses » ou « noires », puis « brillantes », « grinçantes », « costumées », « baroques », « secrètes » et même « farceuses ».

On réduit aujourd’hui Anouilh à son Antigone, évidemment inspirée de Sophocle et merveilleuse définition du tragique, jouée pour la première fois en 1944, au sujet de laquelle les commentateurs se rangent paraît-il en deux camps – ce qui me semble prouver que l’auteur n’a pas été compris. Mais son œuvre est prolifique et nombre de ses pièces résistent très bien au temps. Celles qui revisitent les mythes ou l’histoire méritent d’être relues (Médée, Œdipe ou le roi boiteux, L’alouette, Pauvre Bitos ou le dîner de tête, Becket ou l’honneur de Dieu, La foire d’empoigne…) mais ce serait dommage de s’y arrêter. Cécile ou L’école des pères pourrait en faire réfléchir plus d’un ; Le voyageur sans bagage, qui fut un grand succès, est une réflexion sur l’identité et le rapport d’un individu à son passé, des familles à leurs membres, de la société à la normalité. Etc.

Né en 1910, Anouilh a connu deux guerres mondiales et son nom est associé à ceux de grands auteurs, comédiens, metteurs en scène, décorateurs et compositeurs qui ont marqué le XXe siècle. Très musicale et crue à la fois, son écriture est difficile à caractériser. Il y a toujours, dans les pièces d’Anouilh, à la fois du réalisme, de l’ironie ou du burlesque, et de la poésie.

Je tenais à faire une citation et c’était très cruel de devoir faire un choix, mais voici un extrait du premier tableau du Voyageur sans bagage.

LA DUCHESSE [s’adressant à un Poilu rentré amnésique de la guerre] – Ainsi, vous êtes un de ces cas troublants de la psychiatrie ; une des énigmes les plus angoissantes de la grande guerre – et, si je traduis bien votre grossier langage, cela vous fait rire ? Vous êtes, comme l’a dit très justement un journaliste de talent, le soldat inconnu vivant – et cela vous fait rire ? Vous êtes donc incapable de respect, Gaston ?
GASTON – Mais puisque c’est moi …
LA DUCHESSE – Il n’importe ! Au nom de ce que vous représentez, vous devriez vous interdire de rire de vous-même. Et j’ai l’air de dire une boutade, mais elle exprime le fond de ma pensée : quand vous vous rencontrez dans une glace, vous devriez vous tirer le chapeau, Gaston.
(…)
GASTON – Et si j’avais déjà tué trois hommes ?
LA DUCHESSE – Vos yeux disent que non.
GASTON – Vous avez de la chance qu’ils vous honorent de leurs confidences. Moi, je les regarde quelquefois jusqu’à m’étourdir pour y chercher un peu de tout ce qu’ils ont vu et qu’ils ne veulent pas rendre. Je n’y vois rien.

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Les oeuvres d’Anouilh sont disponibles aux Éditions de la Table ronde et, pour certaines, en Folio.

J’ai lu tout Antoine de Saint-Exupéry

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Série « J’ai lu tout… »
Littérature française – Hommages
Par François Lechat

À l’adolescence, j’ai lu tous les livres de Saint-Exupéry, y compris les posthumes déjà publiés à cette époque. Et c’était, je crois, un bon âge pour découvrir cet auteur que je n’ose pas relire aujourd’hui de peur d’être déçu.

J’ai relu à plusieurs reprises Le Petit Prince, cependant. Mais je n’en dirai rien ici, puisque tout le monde l’a lu et que chacun s’en fait une idée personnelle, qui varie selon les âges.

J’ai aussi lu le quatuor des romans d’aviation, publiés de 1929 à 1942 : Courrier sud, Vol de nuit, Terre des hommes, Pilote de guerre. Des titres courts, qui claquent et qui font rêver. Des aventures pleines de danger, datant d’une époque où l’aviation était synonyme de risque de mort. Un métier improbable, voler pour acheminer du courrier ou pour défendre son pays, que Saint-Exupéry donne à sentir en multipliant les détails techniques et l’évocation des périls surmontés.

Mais on devinait aussi, dès Vol de nuit, que ce qui l’intéressait était la condition humaine plutôt que les récits d’aventure, et c’est ce qui me plaisait. D’où ma prédilection pour Terre des hommes, dont le style est plus grave, limite pompeux, en phase avec les valeurs chères à l’auteur. C’est dans ce livre qu’on trouve la fameuse phrase : « Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait » (Guillaumet à Saint-Ex après avoir marché des jours et nuits dans la cordillère des Andes, en plein hiver, après le crash de son avion). Et c’est là que Saint-Exupéry célèbre le mieux l’humanité, à travers un Bédouin qui sauve des Blancs dans le désert, et là aussi qu’il montre de manière saisissante comment la Terre se donne du haut d’un avion, à partir d’un lieu et d’un métier qui font voir le monde autrement.

Le reste de l’œuvre est moins connu, et posthume, si l’on excepte la Lettre à un otage. On y trouve surtout des textes courts, repris dans différents recueils, qui exposent la vision morale de l’auteur, centrée sur la dignité de l’homme. Quand je relis les passages que j’avais cochés à l’époque, je suis frappé par le caractère héroïque qui s’en dégage, l’aspiration à vivre tête haute, chargé d’une mission, voué à répondre à des appels qui nous dépassent. Certes, tout n’est pas de la même veine : les Lettres de jeunesse à une amie inventée, écrites de 1923 à 1931, sont plus légères, intimes, anecdotiques ; et les Carnets brassent tous les genres et tous les styles, réflexions, aphorismes, colères, visions politiques… Je me rappelle notamment une descente en flammes de la pièce de Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, qui selon Saint-Ex ne propose qu’une « métaphysique de concierge »…

Mais l’essentiel, parmi les posthumes, est Citadelle, que j’ai lu, celui-ci, à plusieurs reprises. Plus de 500 pages, inachevées et en désordre, d’anecdotes, de réflexions, de paraboles…, prêtées à un chef de tribu dans le désert, qui prend sur lui le destin de sa communauté et médite à perte de vue sur les voies du bonheur et la vraie justice. C’est ringard, magnifique, obscur, à la limite du fascisme, parfaitement dépassé et trop imprégné de religiosité pour notre regard contemporain. Mais il y a des pépites, et une évidente noblesse d’âme comme dans ce passage :

« Ils trouvent les choses, disait mon père, comme les porcs trouvent les truffes. Car il est des choses à trouver. Mais elles ne te servent de rien car tu vis, toi, du sens des choses. Mais ils ne trouvent pas le sens des choses parce qu’il n’est point à trouver mais à créer. »

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Antoine de Saint-Exupéry chez Gallimard : biographie, livres.

Un soir d’été

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Littérature française
Par Anne-Marie Debarbieux

L’auteur raconte ici une histoire qu’il a vécue pendant sa jeunesse. Il s’agit donc moins d’un roman que d’un récit personnel.

Une bande de jeunes, un été, dans les années 80, passe des vacances tranquilles sur l’île de Ré. Ils sont six, certains se connaissaient déjà, d’autres non.  Ils sont joyeux, insouciants, et n’ont d’autre but que de passer l’été en profitant des plaisirs simples et de leur âge dans une station balnéaire particulièrement agréable. Évidemment des affinités se créent ou non, mais les vacances ne sont qu’une parenthèse. On reste à la surface des choses. Et sur une île, donc un peu hors du monde.

Un jour le charme est rompu : l’un des six disparaît sans explication. Le paradis se disloque. L’unité est rompue.

Je ne fais pas partie des lecteurs que ce livre a enthousiasmés. Il se lit facilement et agréablement, il témoigne d’une époque, celle de l’insouciance des années 80, d’un lieu exceptionnel, l’île de Ré, il sous-entend que le farniente et la magie d’un lieu unissent quelques individus qui n’ont parfois pas beaucoup de points communs. Mais cela ne suffit pas à donner de l’épaisseur à ce livre. Je l’ai lu, sans déplaisir mais sans coup de cœur.

Comme une lecture de vacances vite oubliée en somme.

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Philippe Besson
Un soir d’été
Éditions Julliard
2024

J’ai lu tout Jean Giono

1943
La mise en ligne de cette photo a été
aimablement autorisée par l’association
des Amis de Jean Giono.

Série « J’ai lu tout… »
Littérature françaiseHommages
Par Catherine Chahnazarian

Prenons par exemple Les grands chemins (1951). Ça commence avec un homme qui ne paie pas de mine et qui va on ne sait où. On dirait qu’il cherche un village où s’établir. Durablement ? C’est énigmatique. Pas trop près de la route, en tout cas ; un coin perdu ferait l’affaire. Que fait cet homme dans la vie ? « Cent métiers, cent misères ». On comprendra que « les grands chemins », c’est sa liberté, la liberté et ces cent expériences de vie que l’on fait tous. L’homme apprécie la nature automnale qu’il traverse : « J’aime cette saison. Elle est tendre. La grive chante dans les taillis. Ce qu’elle dit est exactement en rapport avec les feuilles mortes dorées et le petit vent froid. C’est un oiseau modeste mais qui connaît son affaire ». Quand il arrive à une maison, « il y a un chien, mais c’est un labri à poils ras. Il aboie par acquit de conscience ; en vérité il plaisante ». Le pays ? « Des bois sur des montagnes ».

Prenons Rondeur des jours (1943). « Ce que je veux vous apporter, c’est de l’eau claire. A peine ça. Mon ami le fontainier m’a dit : « La vie, c’est de l’eau. Mollis le creux de la main, tu la gardes. Serre le poing, tu la perds. » Je le vois. Il était devant moi avec sa pauvre main d’homme des fontaines, sa main usée d’eau, une main déjà toute lyrique rien que dans cet affûtage de l’eau, une main pointue, aimable, molle et de peau fine comme une main d’amoureux. » (*)

Voilà tout Giono : une manière de voir et de sentir bien à lui, un poète et un conteur hors normes. Et on dirait qu’il fallait la Provence et les Alpes pour façonner sa plume tant ses images sont fortes, tant les émotions qu’il fait naître sont liées à ce pays qu’il nous donne à voir, à ces hommes qui l’habitent et dont il nous dit la rudesse, les souffrances, l’amitié, la liberté ou l’aliénation, et la mortalité. Et puis finalement, ce pays, c’est le monde ; ces personnages, ce sont les hommes.

J’aime mon métier, écrivait Giono dans Noé (1961). Il permet une certaine activité cérébrale et un contact intéressant avec la nature humaine. J’ai ma vision du monde ; je suis le premier (parfois le seul) à me servir de cette vision, au lieu de me servir d’une vision commune. Ma sensibilité dépouille la réalité quotidienne de tous ses masques ; et la voilà, telle qu’elle est : magique. Je suis un réaliste. Il faut se servir de cette micheline comme Rabelais se servait d’une baleine. Le reste est vanité, orgueil ; et solitude : la vision commune est solitude.

Plus ou moins lyriques, toujours poétiques, les romans de Giono font rêver, ils font aimer la nature, ils décrivent les croyances, les métiers, les conditions de vie d’autrefois, ils font réfléchir. Mais Giono est aussi l’auteur d’essais, de chroniques, de scénarii de films…

Mes préférés ? Colline (1929), un roman très terroir, le premier, celui par lequel Giono devient Giono ; et Le hussard sur le toit (1951), qui est pour moi un roman d’aventure. Mais tous m’ont marquée.

Ma phrase préférée : « Le présent est toujours une chose fort simple et sans aucun pathétique » (Noé).

À la fin des années 1970, avec ma mère, on était allées en Provence sur les sites des Giono qu’on avait lus. Souvenir inoubliable : en roulant vers Roquebrune sur des routes minuscules au milieu de nulle part, tout à coup, derrière un tournant, c’étaient des genêts en fleurs à perte de vue – du jaune, du jaune et encore du jaune ! – et, sur un petit sommet, le village : trois maisons de pierre. Rien d’autre.

*

Vous trouverez les Giono chez Grasset et surtout chez Gallimard.

Découvrez l’excellente chronique de Colline par Jacques Dupont,
et celle d’Anne-Marie Debarbieux sur Un roi sans divertissement
(j’y ai ajouté un itinéraire de découverte du Trièves) !

(*) Les rencontres de cet été organisées par l’association des Amis de Jean Giono ont justement pour thème l’eau vive.

L’échappée belle

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Littérature française
Par Florence Montségur

Un roman psychologique sur l’emprise et les violences morales dans le couple. Bien conçu et avançant de manière implacable, comme le séducteur qui refermera sur Elsa ses bras possessifs. Un sujet contemporain, traité avec toute l’empathie dont l’autrice est capable. Trop descriptif, mais montrant bien l’aveuglement de l’amour puis la négation du problème, les détours que font les pensées pour ne pas regarder la vérité en face et pour éviter de prendre la décision qui s’impose. Ce roman laissera peut-être dubitatifs ceux qui se sentent forts et lucides. Ils auront peut-être du mal à y croire en raison d’un point de départ un peu caricatrural. Mais, hélas, ces choses arrivent. Ingrid Chauvin a voulu montrer comment on peut parfois perdre la raison et la maîtrise de sa vie, et combien il est alors difficile de s’en sortir, tant le sentiment de perdre la face peut être puissant.

A essayer si le sujet vous intéresse ou si vous connaissez quelqu’un qui…

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Ingrid Chauvin
L’échappée belle
Éditions Michel Lafon
2023

Existe en Michel Lafon Poche.

J’ai lu tout Gilbert Cesbron

1947 (studio Harcourt)

Série « J’ai lu tout… »
Littérature française – Hommages
Par Anne-Marie Debarbieux

Je crois pouvoir dire que j’ai lu tout Gilbert Cesbron, depuis ses premiers romans, ses essais, ses pièces de théâtre,  jusqu’à son œuvre testamentaire La regarder en face parue en 1982, peu avant sa mort. J’écoutais également ses chroniques sur Radio Luxembourg car il fut, avant d’être écrivain, un homme de radio.

Je l’ai découvert en 1966, comme beaucoup d’ados de l’époque, avec Chiens perdus sans collier, une belle histoire d’enfants orphelins, paru en 1954. A la même époque, j’ai dévoré sur la même lancée Notre prison est un royaume, Les saints vont en enfer, Il est plus tard que tu ne penses.

Se défendant d’être un « écrivain catholique », une étiquette qu’il détestait, Cesbron préférait se définir comme  « un chrétien qui écrit des livres ». Touchant un large public, il n’atteignit guère les sphères universitaires qui le considéraient avec une certaine condescendance. Mais pour moi il a été un écrivain de référence tant au niveau de l’écriture que des thèmes de société qui constituaient l’intrigue de ses romans. J’admirais les titres de ses ouvrages : Les Saints vont en enfer (thème des prêtres ouvriers et du travail dans les mines du Nord) , Une abeille contre la vitre (évoquant une femme au corps sculptural mais au visage ingrat), Je suis mal dans ta peau (thème du choc des cultures).

Cesbron était de ces auteurs dont on aime collectionner les « belles phrases » : « On n’est jamais si bien asservi que par soi-même », « J’achève avec des idées simples. Mais la simplicité est-elle le contraire de la profondeur ? »

Cesbron, par son humanité, ses engagements, sa belle écriture, a sans doute contribué à forger mes goûts et ma personnalité. Il m’a fait beaucoup réfléchir. Parmi d’autres bien sûr, comme Van der Meersch par exemple (et je rejoins tout à fait l’article de Sylvaine) auquel on pourrait sur certains points l’apparenter.  

Plus tard j’ai découvert et exploré Camus qui reste aujourd’hui ma référence.

Mais je n’ai jamais oublié Cesbron.

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Gilbert Cesbron est publié chez Robert Laffont.

J’ai lu tout Maxence Van der Meersch

1936

Série « J’ai lu tout… »
Littérature française – Hommages
Par Sylvaine Micheaux

Quand Catherine nous a proposé de parler d’un auteur dont on a tout lu ou presque, j’avais l’embarras du choix, tant à une période je pouvais être monomaniaque d’un écrivain aimé : Zola, Bazin, Troyat, Giono, Gide, etc. Mais l’actualité de ces dernières semaines m’a désigné un tout autre auteur, je vous expliquerai pourquoi.

Maxence Van der Meersch (1907-1951), auteur un peu retombé dans l’oubli, que certains ne connaissent peut-être même pas, bien qu’il ait été lauréat des prix Goncourt et de l’Académie française et que son nom soit encore sur le fronton de nombreux établissements scolaires du Nord, est né à Roubaix et a ciblé dans ses romans le Nord et ses gens simples, offrant une peinture humaniste de la région de l’entre-deux guerres, sans le côté misérabiliste d’un Germinal.

Je l’ai découvert avec La Maison dans la dune (1932), son premier roman. Nous sommes sur la côte de la mer du Nord où s’affrontent, parfois mortellement, contrebandiers de tabac et douaniers. Une belle histoire, violente, passionnée, dans l’atmosphère brumeuse de la côte dunkerquoise. L’auteur décrivait avec beauté ma région et j’ai tout de suite aimé car, adolescente, je découvrais ma région d’une manière positive à travers ses livres.

Puis suivent, dans mes lectures, Invasion 14 (1935) sur la Première Guerre mondiale, L’Empreinte du Dieu (1936) sur la fuite d’une jeune femme mariée à un homme violent, qui a reçu le prix Goncourt, Pêcheurs d’hommes (1940) sur la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) – il était un catholique convaincu –, etc.

Corps et âmes (1945), pavé de 700 pages, prix de l’Académie française, ne se passe pas dans le Nord mais en Anjou, dans le milieu médical. Livre fort qui décrit l’ambition, la dureté et le carriérisme  des chefs de service hospitaliers, mais aussi le quotidien des médecins de famille, souvent tiraillés à l’époque entre l’interdiction de parler de contraception et la détresse de patientes, enceintes tous les ans d’un nouvel enfant alors qu’elles n’avaient déjà pas les moyens de nourrir les premiers ; de l’horreur de ces femmes qui arrivaient aux urgences avec une septicémie ou qui mouraient dans d’atroces souffrances du tétanos, transmis par les aiguilles à tricoter rouillées des faiseuses d’anges. La toute jeune femme que j’étais a été émue et choquée par ces récits alors que pour ma génération, en 1967 on venait enfin de légaliser la contraception et, en 1974, d’autoriser l’IVG. Le scellement dans la Constitution française de l’IVG a été le point de départ de mon choix de cet auteur, Maxence Van der Meersch.

Mais le roman que j’ai préféré, si je devais n’en choisir qu’un, est Quand les sirènes se taisent (1933) qui se situe à Roubaix, en 1930, pendant la grève des ouvriers du textile : grève âpre, dure pour ces ouvriers tassés dans les courées, groupements d’habitations insalubres des travailleurs. Quand je l’ai lu, j’en ai discuté avec ma grand-mère qui avait été ouvrière du textile dans ces années-là (même si en 1930 elle n’y travaillait plus, élevant ses trois enfants, et bien qu’elle n’a jamais vécu en courée) : ce  furent des échanges merveilleux me plongeant dans la jeunesse et les souvenirs de ma Mémé. Des moments jamais oubliés.

Ce qui me fait souvent aimer un auteur et ses romans, c’est quand il mêle avec une belle écriture une histoire passionnante et l’Histoire. Et j’ai aimé Maxence Van der Meersch, décédé bien trop jeune de la tuberculose, aussi pour cela.

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C’est chez Albin Michel que vous pourrez retrouver les romans de Maxence Van der Meersch.

En l’absence de photo de l’auteur sur le site de l’éditeur, la photo de Maxence Ven der Meersch affichée ci-dessus est reprise de la page Wikipedia qui lui est consacrée.

Le Neveu d’Anchise

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Littérature française
Par Marie-Hélène Moreau

C’est l’histoire d’un garçon qui se cherche. Né dans une famille dans laquelle il ne se reconnaît pas – ils sont tous gros sauf lui, et son prénom, Aubin, semble d’un autre milieu que le sien –, doté d’une sensibilité particulière qui le distingue des autres, il s’évade comme il le peut en galopant dans les collines sur les hauteurs de Nice.

Ses pas l’attirent souvent vers la maison d’Anchise, ce grand-oncle solitaire, veuf inconsolable d’une Blanche morte cinquante ans plus tôt, qui s’est suicidé il y a quelques années et dont il garde peu de souvenirs si ce n’est celui des abeilles qu’il élevait et qui un jour les avaient attaqués lui et sa mère.

Dans la maison abandonnée, Aubin déniche une vieille trompette à laquelle il va redonner vie et grâce à laquelle il va découvrir le jazz et particulièrement Chet Baker dont la vie cabossée le bouleverse. Il va également découvrir le désir…

À travers les portraits tout en finesse du père démissionnaire, ripeur de son état, de la mère un peu perdue et son nouveau compagnon Maxou, la tante Steph, maître-chien de son état, et son beauceron noir, les cousins jumeaux et l’oncle bricoleur, c’est l’histoire d’une famille et la manière subtile dont finalement Aubin se rend compte qu’elle est sienne.

Un très beau livre sur les racines et le temps qui passe, servi par un style puissant qui restitue à merveille les émois de l’adolescence et la quête d’identité.

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Maryline Desbiolles
Le Neveu d’Anchise
Éditions du Seuil
2021

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