— Par Anne-Marie Debarbieux
Des lectures que seuls le hasard ou la nécessité ont suscitées peuvent être des révélations !
Ainsi ai-je découvert 3 magnifiques romans que je n’aurais pas lus spontanément.

Un roi sans divertissement (1946) m’a emportée dès le premier chapitre : usant habilement des récits enchâssés et de la diversité des points de vue pour cerner son personnage, Giono met en scène Langlois, d’abord capitaine de gendarmerie chargé d’enquêter sur un tueur en série qui terrorise un village du Trièves. On l’y revoit plus tard, devenu commandant de louveterie, pour orchestrer une battue au loup ; désormais adopté par la population, il compte rester définitivement et cherche même à se marier. C’est alors que sa vie bascule.
Langlois échappe à toute analyse : mouvant, fantasque, attachant et inquiétant, ce meneur d’hommes reste un mystère que Giono n’éclaire qu’en fin d’ouvrage : un homme sans divertissement est un homme plein de misère. Car finalement le thème principal de ce roman d’action, pétri de rebondissements, est peut-être l’ennui.
Ce livre m’a tellement fascinée que je suis allée dans le Trièves pour m’imprégner des lieux où Giono fait évoluer Langlois !

La magnifique adaptation de Visconti du Guépard (1958) peut laisser imaginer un roman historique. En réalité, si le texte est émaillé de débats politiques, Lampedusa évoque surtout le destin du prince Salina, aristocrate figé dans des valeurs qu’il croit immuables et que ni son prestige, ni son rang, ni son ironie arrogante ne sauveront d’un inéluctable déclin. Et tout le talent de l’auteur réside dans l’emploi de multiples registres pour traduire cette épopée crépusculaire d’un homme de plus en plus seul, parce qu’il refuse tout compromis qui trahirait sa lignée.
Art du tableau et du portrait, de l’analyse psychologique et sociale, l’écriture traduit magistralement « les derniers jours d’un condamné ».

Le titre lacunaire Tous les matins du monde (2002) intrigue et ne s’éclaire qu’à la fin de ce très court roman. Quignard y invente la biographie de Sainte-Colombe, musicien réel mais dont on ne sait rien. Comme le prince Salina, il s’accroche à un monde qui n’est plus. Violiste exceptionnel, rallié au jansénisme, il fuit les fastes et la musique de cour pour vivre en ascète ombrageux et avare de mots, tout entier voué à la musique de l’âme. La perte de son épouse pousse son isolement au paroxysme de la quête d’un paradis perdu. Entraînant ses deux filles dans sa réclusion, il renvoie même Marin Marais, son élève le plus prometteur.
Les deux musiciens se retrouveront-ils ? C’est le principal enjeu de ce livre, dont l’écriture très sobre exprime que devant la mort la musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler et en ce sens elle n’est pas tout à fait humaine.
Les livres dont il est question dans cet article peuvent être commandés chez un libraire.
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