Infernus Iohannes, Débrouille-toi avec ton violeur, L’Olivier, 2022
— Par Jacques Dupont
Il n’y a pas de « faire l’amour » qui vaille : toute pénétration est un viol. Voilà qui est répété tout au long du texte de Miako Ono qui ouvre Débrouille-toi. Et c’est un choc. Parce que ce thème est répété à l’envi, que c’est écrit et tout à la fois hurlé, dans une langue où toute amabilité a été karchérisée. Autrement dit, elle est crue, totalement crue, le sexe de la femme, le sexe de l’homme sont des attributs viandeux et excrétants. Dois-je insister : rien n’est épargné au lecteur. Le livre tout entier est de cet acabit, il choque et il heurte.
Cependant, l’écriture de ce texte et celle des deux suivants, est à proprement parler hallucinante d’audace. Et cela seul justifie de lire Débrouille-toi avec ton violeur.
Le second texte « Sous les viandes », signé Molly Hurricane, décrit également le corps sous contrainte, et une société angoissée par la chair. Des méduses extraterrestres ont envahi la Terre, des rescapés y vivent dans la viande et y font une société divisée entre pourris du haut et pourris du bas, tenant un discours tartuffe – « discours liquoreux, proclamations humanistes, mépris des pauvres ».
Je connaissais l’extraordinaire troisième texte, signé Maria Soudaieva et intitulé « Slogans » (il avait fait l’objet d’une édition à part, que je recommande). Plus encore que les deux textes précédents, « Slogan » est un long hurlement, tout entier typographié en majuscules, gueulé au mégaphone par un hypothétique commissaire politique russe ou chinois. Le propos est sibyllin. Ainsi « Sorcière nue, quand tu te décapites, n’appelle pas la pluie, ouvre les yeux ». L’écriture est jeune, vigoureuse, remarquable – elle ouvre à la littérature de nouveaux territoires.
J’ai pris ce livre comme une gifle, qui m’aurait été infligée sans prévenir. Ensuite, j’ai compris qu’il était l’œuvre d’Antoine Volodine, un auteur qui publie pas mal sous hétéronymes, et que l’œuvre trouvait sa place dans un édifice « post-exotique », un mouvement tortueux auquel je n’ai pas compris grand-chose. Il semblerait que seul « Slogans » trouve son origine chez une réelle Maria Soudaieva, dont l’existence fut un enfer.
Trois extraits pour en savoir plus.
Je me permets de conseiller Débrouille-toi avec ton violeur à un public désormais averti.
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CATHERINE (l’éditrice des Yeux dans les livres) — Étrange découverte : c’est donc un homme qui a écrit ces textes ?
JACQUES — Oui, j’avais cru acheter un livre composé de nouvelles écrites par des femmes féministes et j’ai découvert après lecture qu’il s’agissait du livre d’un homme. C’est dérangeant.
CATHERINE — Et cela signifie qu’il y a bien un contrat de lecture implicite entre un auteur (même si on ne le/la connaît pas) et soi, lecteur.
JACQUES — Oui. Et j’ai fortement ressenti la rupture de ce contrat de lecture.
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Catégorie : Littérature française.
Lien : chez l’éditeur.