L’été des oranges amères

Claire Fuller, L’été des oranges amères, Stock, 2020

Par Brigitte Niquet.

Claire Fuller avait fait un tabac avec Un mariage anglais, elle récidive en nous donnant à déguster pour l’été ces oranges amères dans lesquelles elle a dû injecter un peu de poivre, histoire d’en pimenter la dégustation.

L’histoire commence de manière assez anodine et, à vrai dire, a quelque peine à “décoller”. C’est mon seul bémol, mais il est réel : le démarrage est trop lent. Il faut dire que le personnage central est, à ce moment-là du récit, Frances et que celle-ci n’a rien d’affriolant : la quarantaine, jeune fille attardée bourrée de complexes, esclave jusque-là de sa mère (qui vient de mourir), enfin libre mais ne sachant trop quoi faire de cette liberté. On sourit mais on aimerait bien qu’il se passe vraiment quelque chose. Ҫa arrive, doucement, mais ça arrive : Frances a été missionnée pour faire l’état des lieux du domaine de Lyntons, autrefois somptueuse propriété, aujourd’hui en ruine, au cœur de la campagne anglaise, et c’est quand elle s’aperçoit qu’elle n’est pas seule au château que tout commence.

En effet, on lui a attribué une chambre dans les combles, mais juste au-dessous d’elle vit un couple mystérieux qu’elle commence par épier par une fente providentielle dans le plancher et avec qui elle ne va pas tarder à faire connaissance et se lier d’une amitié amoureuse plus ou moins perverse : Peter et Cara. En principe, ils sont très épris l’un de l’autre, mais Cara présente bien des points communs avec la jeune femme que beaucoup de lecteurs ont tant aimée dans En attendant Bojangles, elle est aussi belle, séduisante, fantasque, adorable, insupportable, insaisissable… que l’héroïne d’Olivier Bourdeaut, et Peter semble se contenter de “limiter la casse”, à grand renfort de soirées alcoolisées. Le trio infernal est en place, bientôt complété par Victor, le Vicaire du village, qui, bien sûr, va s’éprendre de Frances mais Frances n’a d’yeux que pour Peter, à moins que Cara…  Voilà qui renouvelle les éternels trios amoureux, non ?

Un bon gros roman pour l’été – ou ce qu’il en reste –, un roman noir, quand même. Avis à ceux qui n’aiment pas ça, le happy end n’est pas de saison chez Claire Fuller.

Catégorie : Littérature française.

Liens : chez l’éditeur. Toutes nos critiques de Claire Fuller sont bien sûr référencées à la lettre F du classement par auteur.

Un mariage anglais

Claire Fuller, Un mariage anglais, Stock 2018

Par Brigitte Niquet.

Pourquoi diable ce mariage est-il affublé dans le titre de l’adjectif « anglais » ? La nationalité de ses protagonistes a-t-elle quelque importance pour l’histoire ? Aucune… Alors, à quoi bon emmener le lecteur sur de fausses pistes ? C’est d’autant plus dommage que le livre vaut surtout par son universalité. Entrent en résonance tous les écrits qui ont eu pour thème les tourments de la passion amoureuse, par exemple les tragédies classiques. Car même si le langage d’Ingrid et la nature de ses problèmes sont résolument modernes (le féminisme est passé par là), même si l’humour et l’autodérision pimentent ses lamentations, on entend dans sa voix les échos des plaintes de Bérénice, d’Hermione, de Phèdre et de tant d’autres mal aimées.

Ingrid, donc, une brillante étudiante de 20 ans, tombe raide amoureuse de son prof de littérature, Gil, quadragénaire, écrivain raté et séducteur impénitent, sincèrement épris de son élève mais dont tout le monde sauf elle devine qu’il ne pourra rester longtemps monogame. Comme le dit si bien Aragon (Les Voyageurs de l’impériale) : « Il y a des hommes qui sont incapables d’être fidèles. L’amour ne leur est pourtant pas interdit. » Gil et Ingrid se marient.

À partir de là, il est difficile de raconter ce livre sans le déflorer mais il est difficile aussi de ne pas le raconter, tant le récit du naufrage de cet amour en est le cœur et même l’unique sujet. Faisons bref : Ingrid, rapidement enceinte, doit dire adieu à ses rêves de voyages et de liberté pour se retrouver femme au foyer, vestale de son mari dans une maison isolée en bord de plage, le « pavillon de nage ». Gil, au contraire, passe de manière inopinée du statut d’écrivain raté à celui d’auteur à succès et quitte le domicile conjugal pour mener une vie de fêtes alcoolisées et de relations sexuelles débridées. Du fond de sa détresse, Ingrid écrit à Gil des lettres qu’elle ne lui envoie pas, mais cache entre les pages des innombrables livres dont les piles branlantes servent de mobilier au pavillon. Puis un jour, elle part se baigner et « s’évapore »…

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