Benoîte Groult, Journal d’Irlande – Carnets de pêche et d’amour, 1977-2003, Grasset, 2018, texte établi et préfacé par Blandine de Caunes
Par Brigitte Niquet.
Livre posthume, ce Journal d’Irlande entrecroise les « Carnets de pêche » et les « Carnets d’amour » que l’auteure a tenus pendant vingt-quatre étés en Irlande. La maladie puis la mort l’ont empêchée de le finaliser et c’est un peu dommage, car l’écrivaine chevronnée qu’elle était ne nous aurait sans doute pas infligé l’énumération cent fois répétée des prises du jour : « un homard d’une livre, des bigorneaux énormes, quelques pétoncles et de très grosses moules », etc. Mais cette réserve mise à part, le livre tient les promesses de son titre et même les dépasse.
« Journal d’Irlande », d’abord, hymne à cette île où le couple Paul Guimard/Benoîte Groult a acheté une maison en 1977 et vécu vingt-quatre étés de froidure, de drizzle et de pluie avant qu’ils renoncent et que Benoîte écrive : « Le soulagement à quitter ce pays de gueux, cette nourriture de merde, cette mer perverse, ces cieux désespérants et si beaux, tourne vite à la nostalgie dès qu’on s’en éloigne. C’est ça le sortilège irlandais. » Tout est dit.
« Carnets d’amour », voilà qui mérite davantage de réflexion. L’amour n’est jamais simple, surtout quand on prétend le vivre à trois. Benoîte et Paul s’étaient toujours efforcés de conformer leur vie aux préceptes du Deuxième sexe, mais voilà… Dans un premier temps, c’est Paul qui est allé courir le guilledou, et « libérée » ou pas, Benoîte en a beaucoup souffert. Puis, les choses se sont inversées, Benoîte a rencontré un Américain, Kurt, qui lui a voué illico un amour éperdu et qui vient la « voir » en Irlande quand Paul veut bien lui laisser la place – et le lit. Paul est âgé, malade, Kurt aussi, et Benoîte culpabilise de ne pas savoir, de ne pas vouloir choisir. L’un des intérêts du livre réside certainement dans la manière dont les trois partenaires gèrent la situation.
Reste peut-être l’essentiel que le titre ne dit pas : cette folie d’une maison en Irlande quand on en a déjà trois autres, cette passion frénétique pour la pêche en milieu hostile, ce trio amoureux bancal, tout cela ne serait-il pas une manière de s’étourdir et d’oublier, ou plutôt de nier, que la vieillesse est là, déjà, qu’elle progresse à grands pas et que, quoi qu’on fasse, le naufrage est inéluctable ? L’auteure a des mots poignants qui iront droit au cœur de tous ceux et celles qui enragent d’assister impuissants à leur lente décrépitude et de mener un combat perdu d’avance. Elle souhaitait ardemment avoir le courage d’en finir proprement et de tirer sa révérence avant que ledit naufrage ne soit consommé. Alzheimer, hélas, ne lui en a pas laissé le loisir.
Catégorie : Essais, Histoire…
Liens : chez l’éditeur.
Je suis choquée par la couverture racoleuse avec François Mitterrand. Est-ce que cela se justifie au moins un peu ?
Non, pas spécialement. François Mitterrand faisait partie des amis du couple et leur a rendu visite deux fois en Irlande (où la photo a été prise), mais c’est tout. Tu as raison, c’est racoleur et rien d’autre. La seule excuse, c’est que l’auteur ne l’a évidemment pas choisie (elle était morte depuis belle lurette), ni même sa fille sans doute. En général les couvertures relèvent du choix de l’éditeur.