Hommage à Milena Agus

Hommage à Milena Agus

Par François Lechat.

Curieusement, c’est la France qui a porté chance à Milena Agus. Son premier roman, Quand le requin dort, a connu moins de succès en Italie en 2005 que la traduction française de son deuxième livre, Mal de pierres, qui a frappé la critique hexagonale en 2007 et, par contrecoup, a séduit le public italien puis mondial. La réalisatrice Nicole Garcia en tirera un film en 2016, avec Marion Cotillard dans le rôle principal.

Milena Agus est aujourd’hui traduite dans 26 pays, alors que toute son œuvre est étroitement située : née à Gênes d’une famille sarde, elle est retournée en Sardaigne à l’âge de dix ans et n’a plus jamais quitté son île. Tous ses romans se déroulent à Cagliari, où elle enseigne, ou dans les environs, et sont profondément ancrés dans leur terroir.

Milena Agus, pourtant, nous épargne les fastidieuses descriptions des romans provinciaux. Elle évoque à peine les lieux et leurs noms, elle ne restitue jamais un folklore : elle écrit comme si elle appartenait encore à une terre aride, à un ciel pur, à une époque reculée, à un village comme on n’en fait plus. Chez elle, tout est dans le ton, légèrement candide, à la limite du conte de fées, empli de nostalgie, de sagesse et d’étonnement. Sa langue est légère et intemporelle, et rend surprenante l’apparition d’outils technologiques typiquement contemporains comme le téléphone portable.

Dès les premières phrases d’un roman de Milena Agus, on se sent transporté ailleurs, dans un lieu suspendu appelé littérature. C’est que les personnages, tout en étant profondément enracinés, sont des archétypes, auxquels on accolerait volontiers des majuscules. Les femmes sont plus féminines que chez d’autres auteurs, les hommes plus masculins, les enfants plus infantiles, les vieillards plus âgés : tous sont dépouillés de la moindre banalité, tous sont extrêmes, surprenants, en proie à des manies, des obsessions, des idées fixes, des espoirs et des désespoirs infinis. Dans chaque roman de Milena Agus, certains ne rêvent que de partir, ou s’en vont – surtout les jeunes, ou les hommes –, tandis que d’autres sont rivés à leur place.

     

A chaque fois, une ou plusieurs femmes attendent « la chose la plus importante », l’amour, et s’y adonnent littéralement corps et âme, dans une sexualité débridée qui ne suffit jamais à s’attacher l’être aimé, ou à s’assurer qu’il restera, car les hommes vont de femme en femme ou sont si fascinants qu’aucune ne peut prétendre les retenir. Dans les romans de Milena Agus, on trouve des enfants géniaux et inadaptés, des médecins follement romantiques, des vieux qui ont tout compris, des voisins étranges, des voyageurs impénitents. Chez elle, l’argent n’apporte pas le bonheur, l’industrie détruit la nature, le temps enlaidit les femmes et patine les hommes, Dieu se tait mais les fantômes ne sont jamais loin. On espère, on meurt, on rêve, on s’accroche à ses rites ou à ses manies, on fait l’amour sans amour, on plonge dans la folie ou dans le mutisme. Dans tous les cas, on vit intensément.

Tous les romans de Milena Agus sont publiés en France chez Liana Levi, sous une jaquette élégante qui rend hommage à leur brièveté. Je n’en ai lu que six sur les huit, sans raison particulière, au hasard des occasions. Mal de pierres est le plus déchirant, mais le seul à demander un léger effort de lecture. Quand le requin dort reste le plus audacieux, par lequel je vous conseille de commencer si vous n’avez pas peur de buter sur des rites sado-masochistes évoqués d’une voix impavide. Le plus sûr, pour démarrer, est peut-être La comtesse de Ricotta, dont l’héroïne est si maladroite que ses mains ressemblent à du fromage. Le plus optimiste, au cas où je vous aurais fait peur, est Terres promises, le dernier paru à ce jour.

Catégories : Littérature étrangère (Italie) ; Extras.

Liens : chez Nottetempo, son éditeur italien ; chez son éditrice française Liana Levi. Découvrez également la critique que François Lechat avait faite en 2017 de Sens dessus dessous, de Milena Agus.

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