Le coeur de l’Angleterre

Jonathan Coe, Le cœur de l’Angleterre, Gallimard, 2019

Par Jacques Dupont.

David Cameron a gagné les élections de 2015 sur une promesse : tenir un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne. Contre toute attente, il organisa ce référendum. Contre toute attente – dont la sienne propre – il le perdit. Si l’on sait à peu près où l’affaire en est aujourd’hui, il est difficile de dire quels en furent les dessous. Comment en est-on arrivés là ? On est tenté, à l’achat du livre de Coe, d’attendre une réponse à cette question. Le cœur de l’Angleterre la pose et la réitère, la maintient ouverte, et n’y répond pas. Sans doute est-ce moins une question, laquelle autoriserait une réponse, qu’un mystère – et le mystère n’est qu’à s’endurer. Il s’endure tout au long de la décennie que couvre le roman, période où les classes moyennes se sont dissoutes dans des populaires, paupérisées comme jamais, tandis que la détestation des immigrés et la méfiance à l’égard de Londres et des élites augmentait de façon exponentielle. Et la sourde colère publique trouve un écho dans la sphère privée.

Tout ceci, le talentueux Jonathan Coe l’incarne à travers des personnages so British. Ainsi Doug, vieil éditorialiste de gauche, rencontre-t-il régulièrement son informateur de droite, le jeune Nigel, sous-directeur adjoint à la communication dans le gouvernement de Dave Cameron… Coe déclarait : « Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment mes personnages romanesques peuvent être affectés par l’histoire et la politique ». Il y parvient tout en réalisant, à l’insu de la promesse politique affichée, ce qu’il prend grand soin de ne pas annoncer : Le cœur de l’Angleterre est peut-être d’abord un roman sur le temps qui passe, ces dix ans, qui sont passés, qui seront perdus, qui le seraient, sauf à les écrire, et plus encore : à écrire la force du lien entre Benjamin et Loïs Trotter, le frère et la sœur, personnages clés du roman.

Catégorie : Littérature anglophone (Grande-Bretagne). Traduction : Josée Kamoun.

Liens : chez l’éditeur.

Un commentaire sur “Le coeur de l’Angleterre

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  1. Le coeur de l’Angleterre, qui vient de passer au format de poche, constitue à certains égards la suite de Bienvenue au club et du Cercle fermé. Mais vous pouvez le lire isolément ou, comme c’est mon cas, en n’ayant gardé que de très vagues souvenirs des épisodes précédents : Jonathan Coe excelle à profiler ses personnages et à nous rappeler, rapidement et autant que nécessaire, ce qu’il faut savoir d’eux.

    Coe est un formidable romancier qui procède par petites touches, à l’aide de dialogues vifs et ciselés, de mises en situation qui font mouche, de personnages frappants mais jamais caricaturaux, tous attachants à leur manière. Il ne juge pas, il fait sentir l’animosité croissante entre une classe jeune et bourgeoise acquise aux valeurs du temps (la mondialisation, la défense des minorités sexuelles, l’antiracisme, le féminisme…) et tous ceux qui, pour un motif ou l’autre, déplorent ce que l’Angleterre est devenue. On pourrait écrire le même roman à propos de la France contemporaine, mais pas avec cette malice, cette tendresse pour les êtres cabossés, ce folklore typiquement britanniques. Quand le livre est fini, on n’a qu’une envie : (re)lire les deux volumes précédents pour retrouver les personnages principaux, à commencer par le seul Anglais qui, en 2012, n’a pas suivi à la télévision la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres.

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