Anna Seghers, Transit, Autrement, 2018
(écriture : 1941-1942)
— Par Jacques Dupont
Transit est un récit plus qu’un roman. Il se déroule à Marseille et est traversé de réflexions fulgurantes sur la ville, la guerre, l’absurde.
Le narrateur – réfugié, allemand, anonyme – reçoit pour mission de porter une lettre à l’hôtel parisien où réside l’écrivain Weidel. Mais celui-ci est mort, suicidé à l’avancée des troupes allemandes. Il a laissé dans une valise un récit inachevé, dont le narrateur s’empare.
Il suivra alors l’itinéraire de Weidel, passant la ligne de démarcation, pour aboutir face à la mer, à Marseille.
En 1941, les Allemands n’occupent pas encore la ville. Anciens combattants de la guerre d’Espagne, opposants à Hitler, artistes juifs y ont trouvé un refuge très incertain, et se confrontent à l’impossible administration de Vichy, qui anticipe les mesures criminelles de nazis.
A peine tolérés en France, sans permis de travail, internés en mai 40 comme « étrangers ennemis », ils tentent d’obtenir la série de documents qui leur permettrait d’embarquer vers l’Amérique du Sud : autorisations de séjour, certificats de transit, autorisations d’embarquer, visa.
Le plus souvent lorsque le visa est obtenu, l’autorisation de séjour est périmée, et il leur faut tout recommencer du début. L’existence est comme cet échafaudage qui ne résiste pas au temps ; on tue le temps à attendre dans les cafés ; on y rencontre d’autres transitaires, des voix qui ne veulent rien d’autre que tout raconter à quelqu’un, d’un bout à l’autre, des voix paralysées. En pleine fin du monde, le sentiment qui domine est un ennui mortel.
Pour qui sait décoder, c’est l’aventure d’Anna Seghers elle-même, qui embarqua pour les États-Unis.
La partie romancée de Transit s’ancre sur la rencontre du narrateur et de Marie, et la concurrence avec un autre « transitaire » pour en conquérir l’amour.
Deux hommes se disputent une femme qui en aime un troisième qui est déjà mort, et n’est autre que Weidel, dont Marie ignore le suicide. Ce que les deux hommes tentent avec ce qui leur reste de force ne peut être cependant que vain : l’amour de Marie ne peut être ni acheté ni mérité. Il ne peut être qu’offert.
Un transit : l’autorisation de traverser un pays lorsqu’il est bien établi qu’on ne veut pas s’y fixer. Mais aussi la vie par rapport à la mort : le passage, quand vient la fin, vers cette autre destination, qui nous nargue et nous hante.
Toute ma reconnaissance va à Christa Wolf. Sa postface de Transit est une merveille, et m’a permis de comprendre le livre et l’auteur.
Catégories : Redécouvertes, Littérature étrangère (Allemagne). Traduction : Jeanne Stern.
Lien : chez l’éditeur.
1ère édition en 1944 à Mexico (en anglais et en espagnol) ; 1ère édition de l’original en allemand en 1947 dans le quotidien Berliner Zeitung ; 1ère édition livresque en allemand en 1948 ; 1ère édition française au Livre de Poche en 2004 dans la traduction de Jeanne Stern ; réédition récente chez Autrement à l’occasion de la sortie du film de Christian Petzold.