Papa

Régis Jauffret, Papa, Seuil, 2020

Par Sylvaine Micheaux.

L’auteur a étonnamment catalogué ce livre en roman alors que, quand on le débute, on pense être devant une biographie.

En 2018, Régis Jauffret, la soixantaine, se trouve tranquillement devant sa télé, regardant un documentaire sur Marseille en 1943, sous le gouvernement de Vichy, quand il aperçoit son père Alfred sortant de la maison familiale (sise rue Marius Jauffret, nom de l’arrière-grand-père de Régis), menottes aux poignets, encadré par deux membres de la police de Vichy et embarqué dans une traction avant de l’époque. Que fait là son père ? Personne n’a jamais parlé, dans la famille, de cette arrestation. Quelle en était la raison (résistance, marché noir) ? Alfred s’en était sorti, de toute évidence, rapidement, puisque non emprisonné et non déporté.

Régis, fils unique mais doté d’une grande famille pourvue de nombreux oncles, tantes et cousins, va essayer d’en savoir plus. Mais les archives de la gestapo marseillaise ont été en quasi-totalité brûlées ou volées à la libération. Entre les souvenirs vécus par l’auteur, racontés par la famille ou par Madeleine, sa mère, morte trois ans plus tôt, les souvenirs supposés et ceux inventés et rêvés, Régis va revivre la vie de ce père, mort depuis trente ans, duquel il a peu de souvenirs heureux. Car Alfred, devenu père sur le tard, vivait dans son monde, handicapé par une surdité de plus en plus profonde et abruti par les neuroleptiques pris pour contenir une maladie qu’on n’appelait pas encore bipolarité ; un père lointain, un père à l’ancienne qui ne s’occupait pas de son  fils. Pourtant Jauffret admet avoir eu une enfance gâtée et heureuse, rien qui puisse faire pitié.

On se laisse prendre par cette histoire qui n’en est pas vraiment une, qui navigue entre souvenirs réels ou imaginés, voire imaginaires. Pourtant, à un moment, j’ai ressenti une certaine colère envers l’auteur. La description de son père était tellement dure, limite cruelle, comme celle que pourrait en faire un adolescent ou un jeune adulte. On sent qu’à plus de soixante ans, la douleur de l’enfance de Jauffret est toujours  là, vivante, et le ressenti limite injuste. La toute fin m’a cependant réconciliée avec lui car ce récit, ce roman, a été au fond  pour lui une forme de thérapie qui lui a permis de pouvoir, pour la première fois, appeler son père « papa ».

Catégorie : Littérature française.

Liens : Papa chez l’éditeur . Dans L’Obs, belle interview croisée de Régis Jauffret et Iegor Gran : « Qu’avons-nous fait de nos pères ?« .

Un commentaire sur “Papa

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  1. Dans « Papa » Régis Jauffret effectue des variations sur son père. Le roman, écrit à la première personne, s’ouvre sur un étonnement : Régis reconnait son papa à la télé, dans une actualité de 1943. L’homme y apparaît menotté, aux mains des nervis de la Gestapo marseillaise. Jauffret n’en croit pas ses yeux : l’image est-elle authentique, est-ce une reconstitution d’après-guerre ? Papa, un héros inconnu ?

    Mais comment cet homme que la mélancolie et les traitements neuroleptiques ont effacé aurait-il pu être ce héros ?

    S’ensuit le portrait détaillé d’un père manquant, absent aux siens comme à lui-même, qui n’aura eu d’autre vocation que disparaître. Jauffret l’écrit : jamais, il n’aurait jamais songé à écrire sur son père. Il l’avait enterré, en toute simplicité, et oublié.

    Héroïque et ambigüe, l’image de l’arrestation agit comme une coupure : il y aura un avant et un après, un retournement du regard. Mais qui fait signe à qui ? Le père au fils ? Le fils au père ?

    Le livre peut se comprendre comme le portrait d’un revenant, fantôme moderne, qui choisit la télévision pour apparaître. Mais tout autant, le fils fait signe au disparu-de-son-vivant.

    De quoi s’agit-il alors ? Peut-être d’augmenter le personnage, d’offrir au fantôme l’existence qu’il n’a pas eue. Par un merveilleux tour de passe-passe littéraire, Jauffret fils en vient à rendre à Jauffret père la paternité que la vie lui a refusée. Ce revenant-là ne demandait pas à être vengé, mais complété, augmenté. Il n’exigeait pas vengeance, mais d’avoir existé.

    Père fictif ? Père réel ? Nous sommes dans l’ordre de l’entre, entre l’auteur et le disparu : la construction de Régis Jauffret n’appartient ni à l’un ni à l’autre – la gageure est tout à fait réussie.

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