Claire Castillon, Ma grande, Gallimard, 2018 (existe en Folio)
Par Brigitte Niquet.
Je dois être un brin masochiste car, à peine remise de la lecture de Marche blanche, voilà que je me suis attaquée à Ma grande, de la même auteure. Pire encore, si Marche blanche distillait un venin progressif dont on se doutait bien qu’il finirait par nous empoisonner mais sans en être jamais sûr, ici pas de quartier, on entre tout de suite dans le vif du sujet et on sait d’avance que « Noir, c’est noir – Il n’y a plus d’espoir ».
Ni espoir, ni suspense : le personnage narrateur (il n’a pas de nom) a tué sa femme (anonyme aussi, seulement appelée « Ma grande »), ne reste qu’à savoir pourquoi. Claire Castillon imagine donc qu’il écrit à son épouse une lettre posthume, lui rappelant les étapes du long calvaire qu’il a vécu, qui a duré quinze ans, et dont le lent cheminement est le sujet unique du livre. C’est que « Ma grande » était une super emmerdeuse doublée d’une sorte de perverse narcissique (oui, oui, les femmes aussi…), sous la coupe de qui l’homme est tombé on se demande comment tant la donzelle était, dès le début, odieuse et presque caricaturale, cherchant systématiquement à anéantir l’autre sous les reproches, les vexations, les humiliations… Même la venue d’un enfant, aussitôt instrumentalisé par sa mère, n’y avait rien changé, au contraire. Au fur et à mesure de la lecture, on comprend mieux le geste meurtrier de l’homme et on finit même par se demander pourquoi il ne l’a pas fait plus tôt.
Relative minceur du sujet ? Certes, mais elle est largement compensée par la densité du récit et la progression implacable, strate par strate, de l’entreprise de démolition initiée par la femme. Transcendée aussi par l’écriture de Claire Castillon, qui de livre en livre confirme sa virtuosité en adaptant son style à chaque fois au narrateur, au point qu’il en est méconnaissable. Ici, ce sont des phrases courtes, un langage familier (voire incorrect, diront certains !), celui-là même d’un brave homme coincé bien malgré lui dans une situation qui le dépasse. Pour ma part, j’ai particulièrement aimé : « Tu me faisais des brûlures et je débrûlais jamais ». Mais ce n’est qu’un exemple.
Catégorie : Littérature française.
La prouesse de Claire Castillon est de réussir à nous intéresser durant presque 200 pages à la vie d’un couple où la femme maltraite son mari qui subit, sans broncher, sans se rebiffer (ou si peu) un calvaire psychologique de 15 ans, remettant sans cesse ,sous de faux prétextes, la décision de mettre fin à l’enfer de sa vie. Elle est habile et perverse, elle tisse habilement et impitoyablement sa toile, il est victime quasi consentante qui accepte inexorablement l’inacceptable. Elle est implacable, il est soumis, et plus il baisse l’échine, plus elle l’isole et plus elle le méprise. C’est sordide.
Le lecteur, lui, assiste à cette emprise destructrice en se demandant comment on peut en arriver là avec une personne qu’on a cessé d’aimer depuis longtemps.
Acharnement de l’une, veulerie de l’autre, une enfant instrumentalisée au milieu des deux.
Le style volontairement relâché mais néanmoins très travaillé de l’auteur est l’atout majeur de ce petit roman original qui raconte comment , à force de manquer de courage et de dignité, on en vient à ne plus avoir que l’issue du meurtre pour assurer sa survie.