Aurélien

Louis Aragon, Aurélien, Gallimard, 1944 (disponible en Folio)

— Par Brigitte Niquet

Pour compléter mon évocation des « écrivains dans le rétro », je voulais parler plus longuement d’Aragon romancier, mais quel livre retenir ? Le choix a fini par s’imposer : ce serait Aurélien, peut-être parce que c’est le roman-phare de l’auteur, « l’un des plus admirables parus depuis Proust », dixit Yourcenar qui n’était pourtant pas tendre. Ou parce qu’il a été écrit en même temps et dans la même veine qu« Il n’y a pas d’amour heureux », mon poème préféré d’Aragon. Et enfin parce que, dixit l’écrivain lui-même, Aurélien a tellement à dire aux jeunes gens de toutes les époques et peut leur apprendre à mieux aimer. D’où sans doute sa pérennité, dont Gallimard se frotte les mains.

S’il leur apprend à mieux aimer, en tout cas, ce ne peut être qu’a contrario car dans le genre ratage, la relation qui unit Aurélien et Bérénice atteint des sommets. Déjà, ça commence mal. Nous sommes dans les années 20. Aurélien, de retour du front où il a passé 6 ans, est un dandy, célibataire et oisif qui traîne dans Paris (omniprésent et admirablement décrit) son ennui et sa mélancolie, en répétant ce vers de Racine devenu son leitmotiv : « Je demeurai longtemps errant dans Césarée » ; quant à Bérénice, c’est une jeune provinciale mal mariée, de passage à Paris, et pour tout arranger, la première fois qu’il la vit, Aurélien « la trouva franchement laide ». C’est la 1e phrase du roman, et ça augure mal de la suite.

Pourtant les amours d’Aurélien et de Bérénice vont presque aboutir. Lui est revenu sur ses préjugés esthétiques et elle, malgré ses angoisses, est prête à se rendre.  S’ensuit une sorte de très long flirt, une valse-hésitation dont les danseurs ne se décident pas à passer à  l’acte. Les tourtereaux vivent des moments à la fois idylliques et tourmentés dans la superbe garçonnière d’Aurélien qui domine l’Île Saint-Louis. Au mur, un masque de plâtre, celui de « L’inconnue de la Seine », que Bérénice brise par maladresse, une maladresse peut-être mâtinée de jalousie. Nous sommes à peu près à la moitié du roman et les amoureux, sans le savoir, viennent de franchir un sommet après lequel ils ne pourront plus que redescendre. La faute à Aurélien et à sa nature un peu pusillanime, la faute à Bérénice surtout, incapable au contraire de se satisfaire d’à-peu-près. « Il y a une passion si dévorante qu’elle ne peut se décrire. Elle mange qui la contemple. […] On ne peut l’essayer et se reprendre. On frémit de la nommer : c’est le goût de l’absolu. » On entend en écho le vers de Lamartine : « L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux ». Tout est dit. Cette page est sublime, et c’est sans doute cela le vrai sujet d’Aurélien. Tout le reste n’est qu’habillage romanesque, magnifique, foisonnant mais secondaire.

Alors, bien sûr, si l’on prend les choses par le petit bout de la lorgnette, sept cents pages pour savoir si finalement Aurélien va baiser Bérénice, cela peut paraître ridicule, et insupportable à certains lecteurs. Aragon leur a répondu d’avance dans son Poème à crier dans les ruines :

« L’amour salauds l’amour pour vous/C’est d’arriver à coucher ensemble/Et après/Ah ah Tout l’amour est dans ce/Et après ».

Catégorie : Littérature française.

Liens : Aurélien en Folio. « Il n’y a pas d’amour heureux », la chanson, par Georges Brassens.

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