Noël 2021
Offrir, lire ou relire de grands classiques

Emile Ajar, La vie devant soi, Mercure de France, 1975
— Par Florence Montségur
La première chose que je peux vous dire c’est qu’on vivait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu’elle portait sur elle et seulement deux jambes, c’était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines.
Ce jeune garçon qui s’exprime au « je » va vous interpeller tout au long du récit qui vous apprendra à le connaître « si vous trouvez que ça vaut la peine ». Moi j’ai trouvé. Je l’avais lu d’une traite avec passion à l’époque (il venait de recevoir le prix Goncourt) et je l’ai relu avec admiration aujourd’hui.
Mohammed, cet enfant placé qui ne connaît pas son âge car il n’a « pas été daté » et dont la puberté débarque sans prévenir, décrit son monde : le quartier de Belleville, entre Noirs, Arabes et Juifs, Madame Rosa, traumatisée par Auschwitz, les enfants de putains qu’elle garde pour gagner sa vie, et des personnages de toute sorte, dont Madame Lola, une travestie « qui travaillait au Bois de Boulogne et qui avait été champion de boxe au Sénégal ».
Que sait Momo de la vie ? Il en sait assez pour nous remettre à notre place, nous qui nous apprêtions à le trouver mignon, avec son français mal maîtrisé et sa naïveté apparente. Il nous immerge dans le souvenir de la Shoah, le racisme, la misère dans ses versions pécuniaire, physique et morale, l’entraide cependant, la responsabilité, l’amour enfin, celui qui n’a pas besoin de s’appeler comme ceci ou comme cela pour exister.
Ce roman beau, drôle et pathétique, stylistiquement sans pareil, est un des chefs-d’œuvre de Romain Gary, qui s’est bien moqué des critiques qui le croyaient fini ou incapable d’encore créer la surprise.
Catégorie : Littérature française.
Liens : La vie devant soi en Folio ; un résumé de l’affaire Emile Ajar ; une bonne biographie de Romain Gary ; deux articles des Yeux dans les livres dans lesquels vous le retrouverez : Romain Gary s’en va-t-en guerre et Un certain Monsieur Piekielny.
Merveilleux souvenir, en effet. Vous me donnez l’envie de le relire.