J’ai lu tout Fred Vargas

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Série « J’ai lu tout… »
Policiers et thrillers – Hommages
Par Florence Montségur

D’abord, il y a eu Ceux qui vont mourir te saluent. C’était pas mal, comme titre ! Et ces deux personnages d’aujourd’hui qui s’appellent Tibère et Néron, c’était trouvé ! Puis comme l’intrigue se tenait, le style aussi, on a mordu à l’hameçon.

Alors Vargas nous a régalés avec Debout les morts, L’homme aux cercles bleus, Un peu plus loin sur la droite, Sans feu ni lieu, L’homme à l’envers, Pars vite et reviens tard, tous des titres qui assumaient la catégorie « polar » sans décevoir, en lui donnant plutôt du charme. Car il y a du charme dans l’écriture de Vargas. Dans les deux sens du terme.

Adamsberg se laissait descendre vers la Seine, suivant le vol des mouettes qu’il voyait tourner au loin. Le fleuve de Paris, si puant soit-il certains jours, était son refuge flottant, le lieu où il pouvait le mieux laisser filer ses pensées. Il les libérait comme on lâche un vol d’oiseaux, et elles s’éparpillaient dans le ciel, jouaient en se laissant soulever par le vent, inconscientes et écervelées. Si paradoxal que cela paraisse, produire des pensées écervelées était l’activité prioritaire d’Adamsberg.[1]

Alors, il n’a plus été nécessaire de jouer avec les titres – et ce sont mes romans préférés – : Dans les bois éternels, Un lieu incertain, L’armée furieuse, Temps glaciaires, Quand sort la recluse

Enquêtes et enquêteurs sortant de l’ordinaire, intrigues à nœuds et surtout – surtout ! – ficelles invisibles. Du mystère, de la poésie, des métaphores, beaucoup de dialogues – sans jamais une fausse note – et une bonne bande de flics bien campés, aux caractères très distincts.

[Estalère], tous ses collègues considéraient plus ou moins qu’[il] ne tenait pas la route, voire qu’il était un crétin complet. (…) [Il] suivait Adamsberg pas à pas comme un voyageur fixant sa boussole, dénué de tout sens critique, et idolâtrait simultanément le lieutenant Retancourt. L’antagonisme entre les manières d’être de l’un et de l’autre le plongeait dans de grandes perplexités, Adamsberg allant au long de sentiers sinueux tandis que Retancourt avançait en ligne droite vers l’objectif, selon le mécanisme réaliste d’un buffle visant le point d’eau. Si bien que le jeune brigadier s’arrêtait souvent à la fourche des chemins, incapable de se décider sur la marche à suivre.[2]

Vargas nous fait voyager dans des ambiances extraordinaires qui semblent à la fois d’hier et d’aujourd’hui. Paris, la Bretagne, l’Islande, des croyances, des légendes, l’Histoire… Mais, si j’aime et souligne l’intriguant de ses intrigues, leur force et leur complexité font des romans de Fred Vargas des policiers à part entière !

Que dire de plus pour lui rendre hommage et vous donner envie de la lire ou de la relire ? Qu’ il y a chez Vargas des trouvailles merveilleuses :

Danglard, tremblant de colère, s’était éloigné à grands pas, aussi vite que le lui permettait sa démarche bien particulière, basée sur deux grandes jambes qui semblaient aussi peu fiables que deux cierges partiellement fondus.[3]


[1] Dans les bois éternels, J’ai Lu, p. 262. [2] L’armée furieuse, J’ai Lu, p. 112-113. [3] L’armée furieuse, J’ai lu, p. 117.

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Fred Vargas n’écrit pas que des romans policiers, comme vous pourrez le découvrir sur la page que les éditions Flammarion lui consacrent. Et elle est publiée en J’ai lu.
Sur Les yeux dans les livres retrouvez les articles qui lui sont consacrés à la lettre V du classement alphabétique.

Le dernier thriller norvégien

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Policiers et thrillers
Par Catherine Chahnazarian et plus

C’est mon frère qui me l’a passé, en me disant : « Ça, c’est complètement fou ! » et il riait en me le tendant.

Dans cette parodie mordante de polar nordique, un éditeur français venu à Copenhague pour négocier les droits du dernier roman d’un auteur à succès se retrouve dans le roman en question. Évidemment, c’est désagréable… Surtout qu’il y a un tueur en série qui sévit à ce moment dans la région.

PIERRE — Il ne sait jamais si ce qu’il vit est la réalité ou s’il est dans la fiction ! Tu vas voir, c’est très marrant. »

C’est effectivement avec un humour délicieux que plusieurs niveaux s’imbriquent : l’histoire qui nous est racontée, le livre dans l’histoire (et vous verrez que la frontière est bien plus floue que dans une mise en abîme classique), le fait que c’est un livre et la critique de ce livre, donc un certain regard sur sa lecture et son écriture. Mais c’est gai et facile à lire, hein ! (Et méditatif si on le souhaite.)

Je conseille le livre à François Lechat, convaincue que ça devrait lui plaire :

CATHERINE — Mais c’est bien un roman policier nordique (dans un roman français) : des personnages (réels ou fictionnels, ou réels mais pris au piège dans une fiction ?) recherchent un tueur en série très cruel dans un décor très froid. Puis des rebondissements purement narratifs, et d’autres – disons – plus méthodologiques, empêchent que l’on puisse se dire ‘’OK, j’ai compris le truc’’ et que l’on s’ennuie. »

Après quelques jours, François me répond :

FRANÇOIS —  Effectivement, c’est très amusant, car les personnages sont comme des marionnettes qui ne se contrôlent plus ; et subtil, car l’auteur nous laisse forger nos objections pour y répondre le moment venu. Il nous confronte aussi à nos plaisirs inavoués en tant que lecteurs (l’irruption de gros mots ou de fantasmes sexuels) et dézingue les courants philosophiques à la mode. Tout en donnant à réfléchir sur ce que devient la littérature quand le livre n’est plus qu’un produit (il ne parle pas de l’IA, mais on la devine).

C’est un cocktail très réussi de suspense et de troisième degré. »

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Luc Chomarat
Le dernier thriller norvégien

La Manufacture de livres
2019

Lien : http://www.luc-chomarat.com/

J’ai lu tout Erik Larson

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Série « J’ai lu tout… »
Policiers et thrillers (U.S.A.) – Hommages

Par Pierre Chahnazarian

D’Erik Larson, on peut tout lire.

Ce sont toutes des histoires vraies, écrites d’une manière… palpitante ! Tout est passionant. Ce sont des thrillers – alors qu’on connaît l’histoire d’avance ! Que ce soit La Splendeur et l’Infâmie (2021), sur Churchill ; Dans le jardin de la bête (2012), sur la montée du nazisme ; Lusitania 1915, la dernière traversée (2016), sur ce célèbre naufrage… Qui va lire un bouquin sur le naufrage du Lusitania ? Eh bien, c’est palpitant !

Il y a souvent deux fils narratifs qui se rejoignent, comme dans Le Diable dans la ville blanche (2011), où l’on suit, d’une part, l’architecte de l’exposition universelle de Chicago (1893) et, d’autre part, H. H. Holmes, un serial-killer américain ; ou comme dans Les passagers de la foudre (2014), une histoire de poursuite en pleine mer dans laquelle on suit, d’une part, un médecin qui a tué sa femme et, d’autre part, Guglielmo Marconi, l’inventeur du télégraphe.

Larson fait des recherches très approfondies, ses romans sont pleins de détails précis, ce qui fait qu’il nous raconte toutes ces histoires « preuves à l’appui ». Et cette démarche ne rend pas les livres austères, au contraire : l’intrigue policière est toujours réussie.

Pour moi, ce sont tous des chefs-d’œuvre.

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Erik Larson est publié en français au Cherche Midi. Ses romans sont réédités au Livre de Poche.

Le dernier paru est Une histoire vraie (2022). Vous souhaitez le chroniquer ? Envoyez votre article à les-yeux-dans-les-livres@orange.fr.

De trop grosses ficelles

Lucia

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Policiers et thrillers (France)
Par Julien Raynaud

Bernard Minier est notamment connu pour avoir écrit le thriller Glacé en 2011, qui a fait l’objet d’une adaptation en série par Gaumont. Cette enquête pyrénéenne diabolique obéissait à tous les codes du genre, mais abordait une thématique peu agréable qu’on ne peut divulguer sans briser le suspense. Dans Lucia, sorti en 2022, l’auteur récidive avec la même thématique en toile de fond, toujours aussi dérangeante, ce qui devient sinon une obsession du moins une facilité. L’enquête menée par la policière Lucia en Espagne fournit quelques éléments intéressants, mais qui ne sont pas à la hauteur de la scène d’ouverture. Quant à l’explication finale, laborieuse, elle est expédiée par l’auteur, qui avait manifestement envie d’en découdre. Si l’on ajoute à cela un titre tout à fait raté et une couverture Pocket sans lien véritable avec l’histoire, c’est quand même la déception qui l’emporte.

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Un oeil dans la nuit

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Policiers et thrillers
Par François Lechat

C’est mon premier Bernard Minier, et ce sera sans doute le dernier. Pas parce que l’intrigue m’aurait déçu : elle en vaut une autre en nous plongeant, au fil de meurtres sadiques, dans le monde des films d’horreur, et surtout dans celui du maître du genre, un certain Morbus Delacroix. Comme il se doit, le coupable ne sera pas celui qu’on imaginait. Contrat rempli, donc, mais avec quelle maladresse… Pourquoi nous annoncer systématiquement que l’on va bientôt avoir peur ? Pourquoi suggérer d’avance le lien entre deux personnages importants, au lieu de nous réserver la surprise ? Pourquoi mettre en majuscules les phrases censées nous frapper ? Pourquoi ces longues descriptions de l’état psychologique des personnages, alors qu’il se comprend chaque fois de lui-même ? Pourquoi ces dialogues ou ces monologues servant de rappel, et qui sont parfaitement inutiles ? Il y a une belle scène de suicide, assez corsée, et des idées horrifiques, mais l’ensemble est écrit comme si les lecteurs avaient 14 ans.

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Bernard Minier
Lucia et Un oeil dans la nuit
publiés chez XO Éditions
2022 et 2023

Lucia est disponible en Pocket, Un oeil dans la nuit le sera bientôt.

J’ai lu tout Agatha Christie

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Série « J’ai lu tout… »
Policiers et thrillers (Grande-Bretagne)Hommages
Par Marie-Hélène Moreau et Catherine Chahnazarian

CATHERINE – Ça t’est arrivé, à toi, de lire tous les livres d’un même auteur ?

MARIE-HÉLÈNE – À quelques exceptions près (la romance par exemple), tout livre est susceptible de satisfaire mon goût de la lecture, mon grand plaisir étant de changer d’univers. Passer d’un roman flamboyant à un style épuré, d’un thriller à un livre intimiste pour ensuite naviguer vers la science-fiction. Aussi n’ai-je jamais ressenti le besoin de “lire tout un auteur” aussi brillant soit-il. Même la lecture d’un livre exceptionnel ne m’en donne pas l’envie car c’est ce livre-là qui est exceptionnel, pas forcément les autres.

CATHERINE – C’est amusant, je fonctionne tout à fait différemment. Quand un livre me plaît – je veux dire, me plaît vraiment -, j’ai envie d’en lire d’autres du même auteur. Et si l’auteur me plaît, je les lis tous (ou presque). Toi tu ne l’as jamais fait ?

MARIE-HÉLÈNE – Non, la seule exception, sans doute à mettre sur le compte de la jeunesse, je l’ai faite pour Agatha Christie. Je me souviens de cette bibliothèque lorsque j’étais collégienne. S’y trouvaient de gros volumes, chacun regroupant plusieurs de ses romans, et ils me fascinaient littéralement. Je les ai dévorés les uns après les autres jusqu’à épuisement et en ai gardé un respect profond pour cette grande dame de la littérature ainsi sans doute que cet amour immodéré des livres.

CATHERINE – Moi aussi j’ai eu ma période Agatha Christie. J’adorais les ambiances rétro qui m’évoquaient les récits de ma grand-mère, réfugiée à Londres pendant la Première Guerre mondiale, j’apprenais l’esprit anglais et je rêvais de voyages au Moyen Orient, surtout en train ! Je ne devinais jamais qui étaient les coupables et j’adorais me laisser embarquer dans ces intrigues qui me dépassaient, toujours à la fois exotiques et énigmatiques. Elle a écrit plus de quatre-vingt livres, dont près de soixante-dix romans policiers, c’est fou. Je voulais tous les lire, mais j’avoue avoir abandonné après quelques dizaines.

MARIE-HÉLÈNE – Lesquels as-tu préféré ?

CATHERINE – Le meurtre de Roger Ackroyd et Le crime de l’Orient-Express (j’ai envie d’ajouter « bien sûr »), Pension Vanilos (avec Hercule Poirot) et Un cadavre dans la bibliothèque (avec Miss Marple).

Je n’ai pas retrouvé, en feuilletant rapidement les premières pages de plusieurs de mes Agatha Christie, quel est celui dans lequel une jeune fille (ou une secrétaire ?) se fait sermonner par une dame plus âgée (ou sa patronne ?) parce qu’elle sert le thé, ce qui est bien, certes, sauf qu’il n’est pas très bon : « Je suis sûre que l’eau n’avait pas frémi ». Sooo british !

MARIE-HÉLÈNE – Il se trouve que mon Agatha Christie préféré est, de très loin, le meurtre de Roger Ackroyd 😊

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Agatha Christie est publiée en français chez JC Lattès (Éditions du Masque).

Huit crimes parfaits

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Policiers et Thrillers (U.S.A.)
Une brève de Pierre Chahnazarian

Malcolm, libraire spécialisé en polars, est contacté par une agente du FBI, qui voit une corrélation entre une série de meurtres récents et un article qu’il avait publié sur son blog, une liste de 8 bouquins célèbres aux intrigues bien ficelées.

Bientôt, il sent que la menace le concerne, son passé resurgit, ça se complique pour lui…

Démarrage un peu lent, mais très vite quand même on accroche !

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Peter Swanson
Huit crimes parfaits

Traduction : Christophe Cuq
Éditions Gallmeister (Totem)
2022

Viscères

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Policiers et thrillers (Grande-Bretagne)
Par Julien Raynaud

On ne présente pas Mo Hayder, de son vrai nom Clare Dunkel, décédée en 2021 : reine du polar, du crime, de l’enquête glaçante et bien ficelée. Dans Viscères, Wolf selon le titre original, le talent de Mo Hayder consiste à tirer plusieurs fils, de façon à façonner une intrigue qui aurait pu prendre diverses directions. L’auteure va vous cueillir à froid, car dès le début du livre, une surprise vous cloue sur place. Et il y en aura d’autres.

Parfois présenté comme le tome 7 des enquêtes de l’inspecteur Caffery, ce dernier opus peut tout à fait être lu de manière indépendante. En tous cas, comme souvent, c’est encore mieux de l’aborder sans rien savoir, sans même lire la quatrième de couverture.

On lit ici ou là que Viscères « est en cours d’adaptation pour la BBC ». Ce sera un sacré film.

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Mo Hayder
Viscères
Traduction : Jacques Martinache
Les Presses de la Cité
2015

Existe en Pocket

3 livres à succès qui nous ont plutôt déçus

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Les Armes de la Lumière

Littérature anglophone (Royaume-Uni)
Stylo-trottoir : ce que Pierre vient de lire

Les Armes de la Lumière sera le dernier opus de la fresque de Kingsbridge commencée avec Les Piliers de la Terre. Pierre nous avait parlé d’Une Colonne de Feu. Ce roman-ci se passe deux siècles après le précédent (Le Crépuscule de l’Aube).

« On est au temps des filatures, de l’évolution avec les premières machines à vapeur, la montée des syndicalismes, travailleurs contre patrons, et les guerres napoléoniennes », explique Pierre avec un enthousiasme modéré. Car, pour lui, le roman reste assez classique, les personnages se partagent entre les bons et les moins bons… Un effet de lassitude devant le Xème roman de Ken Follett conçu de la même façon ? « Mais ça se lit et on a envie de connaître la suite. »

Angle mort

Policiers et thrillers (Grande-Bretagne)
Une brève de Florence Montségur

Je viens de relire les articles sur La fille du train et Celle qui brûle. La régression s’accentue, hélas. Angle mort est décevant. Il y a peu de substance, peu de psychologie, peu de suspense… Les ingrédients sont classiques et employés platement (il y a de l’orage quand les choses vont mal). On sent que l’auteure devrait respirer un peu, attendre la bonne histoire et une réelle envie d’écrire. Je l’ai fini car il se lit vite et que ce sont les vacances.

Rocky, dernier rivage

Littérature francophone (Belgique)
Par Catherine Chahnazarian

J’ai lu ce roman presque d’une traite, en me demandant sans cesse « Mais où vont ces personnages ? », « Mais où va l’auteur ? ». Et j’ai été déçue par la fin, mais ce n’est pas ce qui compte. C’est que, à travers le survivalisme, le thème de cette fiction au drôle de titre est notre incapacité à changer de mode de vie alors même que ça urge, le temps inouï qu’il nous faut pour nous adapter à la réalité du réchauffement climatique, notre indifférence au sort des autres, notre égoïsme et en particulier celui des – de certains – riches… Genre « on va droit vers l’apocalypse », mais dans un roman léger, qu’il serait facile de prendre au premier degré comme si ce dont il est question n’était pas si grave. L’intrigue est bien construite (sauf, à mon avis, pour la temporalité) et bien écrite, les personnages (sauf celui du père, qui n’est pas très bien maîtrisé) sont bons, Gunzig distille un humour discret… mais comme s’il s’agissait de nous distraire, alors que le message est autrement ambitieux. J’ai été très gênée par ce décalage. Le traitement psychologique est ahurissant. Pour le dire autrement, ça manque de tripes, c’est impossible de croire au désastre qui est supposé s’être produit, impossible de croire aux réactions des personnages. Et en même temps, quelque chose a fait que je l’ai lu presque d’une traite. Ce roman me laisse tout à fait perplexe.

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Ken Follett
Les Armes de la Lumière
Éditions Robert Laffont
2023

Paula Hawkins
Angle mort
Traduction : Corinne Daniellot
Éditions Sonatine
2023

Thomas Gunzig
Rocky, dernier rivage
Éditions Au Diable Vauvert
2023

Les jaloux

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Policiers et thrillers (U.S.A.)
Par François Lechat

Un jeune homme de 17 ans, impulsif et sujet à des absences au terme desquelles il ignore ce qu’il a bien pu faire pendant quelques heures, s’attire forcément des ennuis. Mais à Houston, en 1952, ces ennuis risquent d’être particulièrement graves, la ville étant l’épicentre de la mafia et de la corruption. Quand notre jeune homme met en boîte le fils d’une riche famille liée à la pègre, il enclenche un engrenage qui va lui donner des sueurs froides. Sur 400 pages de plus en plus tendues, le héros des Jaloux, mal conseillé par son meilleur ami (qui est encore plus chien fou que lui), protégé par deux figures paternelles à qui la baston ne fait pas peur, en butte à des policiers impuissants et ambigus, ira de provocations en provocations, miraculeusement toujours en vie avant un final d’une grande maîtrise. Un apprentissage accéléré de la vie, une réflexion sur le bien, le mal et les limites de la loi.

Si la vraisemblance lui fait parfois défaut, James Lee Burke nous embarque par ses dialogues ciselés et une foule de détails visuels qui font époque, entre voitures, vêtements, coiffures, armes à feu… Sans compter un trio féminin classique mais très bien campé (la mère, l’amoureuse, la putain) et de belles envolées lyriques. Ode à l’amitié, à l’amour et au courage sur fond de violence et de racisme, ce livre est moins noir qu’il n’y paraît.

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James Lee Burke
Les jaloux
Traduction de Christophe Mercier
Éditions Rivages
2023

Un flic bien trop honnête

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Policiers et thrillers
Par Marie-Hélène Moreau

Les livres de Franz Bartelt sont toujours une bien agréable récréation littéraire et celui-ci, comme toujours un brin décalé, ne fait pas exception. Auteur français prolifique récompensé plusieurs fois par la critique, il y déploie encore une fois un univers burlesque non dépourvu de poésie.

Comme l’indique fort explicitement le titre, il est question ici des aventures d’un inspecteur, le dénommé Wilfried Gamelle, un flic bien trop honnête. Depuis plusieurs années, il court derrière un mystérieux tueur en série, adepte des arrêts de bus et des passages piétons, épaulé dans cette mission par un adjoint cul-de-jatte assez peu efficace. Malheureux en amour – sa compagne vient de le quitter pour un milliardaire -, peu soutenu par un patron plus porté sur les astres que sur les méthodes d’enquêtes conventionnelles, il ne renoncera cependant jamais à sa mission, écumant les lignes de bus et procédant à mille recoupements, allant jusqu’à mesurer la taille de centaines de suspects. Sa quête l’amènera à croiser la route d’un riche aveugle amateur de faits divers et d’une jolie employée dont il tombe amoureux, mais n’en disons pas plus pour ne pas dévoiler une intrigue pleine de rebondissements.

Quelle imagination ! C’est enlevé, drôle et, pour tout dire assez délirant. À condition de ne pas aimer que le noir le plus sombre, l’amateur de thriller y trouvera son compte puisque l’enquête avance à bon pas, parsemée de nouvelles victimes et de personnages plus truculents les uns que les autres. Un excellent moment de lecture, servi par un style fluide et léger.

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Franz Bartelt
Un flic bien trop honnête

Editions du Seuil
2021

Reflex

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Policiers et thrillers
Par Julien Raynaud

Oubliez tous vos a priori sur les polars et thrillers : écriture fade et stéréotypée, mécanique un peu toujours identique, dénouement que l’on voit venir gros comme un char d’assaut… Dans Reflex, de Maud Mayeras, si l’atmosphère est sombre, la plume est de haute voltige. Il est clair que l’auteure pourrait écrire de la littérature blanche qui serait saluée. Tout est travaillé, ciselé. Exemple dans cet extrait qui ne relève pas de l’intrigue, et qui aurait donc pu être écrit à la hâte, mais qui justement ne l’est pas.

« Inventaire de la victime. (…) Les tatouages sur ses doigts. (…) Un LOVE et HATE mal encrés sur ses mains pataudes, sauf qu’à ce type-là, il manquait l’auriculaire de la main droite. Love hat. Le gars se retrouvait bêtement à aimer les chapeaux. »

Et l’intrigue dans tout ça ? Oh, vous verrez bien ! Bon, allez : un couvent lugubre, une photographe de scènes de crimes, un enfant disparu, une mère internée… Vous découvrirez le reste, et le coup de théâtre des pages 300 et 301. Et vous vous demanderez pourquoi le film n’existe pas.

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Maud Mayeras
Reflex

Éditions Anne Carrière
2013

Intrigue à Brégançon

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Policiers et thrillers
Par Florence Montségur

Voilà un roman qui plaira aux amateurs de polars et d’histoire de France. L’écriture est moderne, vive, amusante. Elle reproduit l’enchaînement plus ou moins fluide des pensées. Elle est cultivée aussi. Le roman est cultivé : le fort de Brégançon dans l’Histoire, du roi Louis à nos jours en passant par Napoléon, la Résistance, Charles de Gaulle ou Claude Pompidou.

J’ai beaucoup aimé le personnage de Wandrille, plus caractérisé que Pénélope, qui est pourtant l’héroïne d’une série de Goetz depuis… Tiens ! Grasset n’indique pas les dates, c’est ballot ! Il y a aussi une, non, deux historiennes, un paparazzi sur le déclin, une éditrice et son photographe, et quelques autres personnages, tous suspects, du moins ceux qui étaient au Fort au moment du meurtre.

Il faut passer sans vergogne par-dessus certaines descriptions du mobilier du fort, qui sont pour le moins documentées mais trop longues et sans incidence sur la suite. Vous ne regretterez pas d’avoir continué. Car la construction du roman est assez géniale, même si on se demande par moments si l’auteur ne s’est pas simplement fait plaisir en racontant des pans de l’histoire du Fort et de la Provence sans doute tout à fait inutiles à l’intrigue.

Je ne crierai pas au grand roman, mais j’ai pris du plaisir à passer quelques jours à Brégançon, j’ai adoré le coup de force du Capitaine de Leusse, et j’ai eu vraiment envie de savoir où l’auteur m’emmenait. À la révélation d’un secret d’État… Peut-être.

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Adrien Goetz
Intrigue à Brégançon

Éditions Grasset
2023

Des goûts communs

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Littératures française et écossaise
Stylo-trottoir de Catherine Chahnazarian

Elles ne se connaissent pas. Elles sont assises côte à côte dans la salle d’attente, avec chacune son livre. Je les déconcentre mais, parce que je les interroge sur ce qu’elles lisent, elles se mettent à discuter et découvrent qu’elles ont des goûts communs. Toutes deux aiment beaucoup Virginie Grimaldi, Jean-Christophe Grangé (dont François Lechat avait lu La terre des morts), les polars suédois…

Mais aujourd’hui, l’une commence un nouveau Inga Vesper, dont elle vient de terminer Un long, si long après-midi (2023), sur la liberté de la femme. Elle a adoré. « Ce sont des policiers, hein, précise-t-elle, genre thrillers. »

L’autre était plongée dans Le bonheur n’a pas de rides (2019), d’Anne-Gaëlle Huon. Toutes deux connaissent bien cette autrice : elles échangent très positivement sur Les Demoiselles (2021), qui « se lit facilement » tout en étant « bien documenté, ce qui fait que c’est intéressant ».

Même remarque pour Changer l’eau des fleurs (2018), de Valérie Perrin, qu’elles ont lu et particulièrement bien aimé toutes les deux (visages émerveillés, sourires complices), et que Brigitte Niquet avait commenté sur Les yeux dans les livres.

La première a également apprécié le plus récent Valérie Perrin, Trois (2022), où plusieurs narrateurs racontent la vie de trois amis de collège sur lesquels le temps a passé.

La seconde explique qu’elle a aussi un livre du soir, qu’elle écoute en audio. Ça m’interpelle. « C’est un peu comme pour un enfant à qui on lit une histoire, dit-elle simplement. Ça m’aide à bien dormir. » Pour le moment, c’est Demain, de Guillaume Musso (2017).

Quelqu’un sort du cabinet, le médecin appelle le patient suivant, cela nous distrait, déçoit celle qui espérait que ce serait son tour, et chacune retourne à sa lecture.

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Les liens compris dans cet article renvoient vers les éditions de poche.

La série des « Poulets grillés »

Policiers et thrillers
Par Catherine Chahnazarian

Juillet 2020

J’ai dévoré les trois premiers romans de cette série de Sophie Hénaff à la suite l’un de l’autre et, le troisième à peine terminé, les personnages me manquent déjà ! Car l’humain tient, chez Sophie Hénaff, une place de choix. Ces « poulets » sont ceux d’une équipe de la police judiciaire parisienne qu’on voit grossir, se souder, et à laquelle on ne peut que s’attacher, chacun des personnages ayant ses fêlures et ses différences, et tenant un rôle spécifique dans les intrigues et les rebondissements. Rebondissements qui savent nous prendre par surprise : les actions sont comme des trébuchements, elles avancent, titubent comiquement, sont tout sauf linéaires, et c’est très bien comme ça.

Dans Poulets grillés, la brigade des Innocents se constitue, ramassis de policiers dont les autres services ne veulent pas, dirigée par la commissaire Anne Capestan, intelligente et orgueilleuse, têtue et diplomate, une excellente flic et une chef sans besoin d’autorité – c’est un exemple de lucidité et de tolérance ! On y rencontre notamment Louis-Baptiste Lebreton, grand et bel homme, droit et triste – une occasion pour l’auteure d’aborder l’homophobie sous un angle inattendu, avec une finesse remarquable.

Poulets grillés est le plus étonnant des trois romans. Peut-être du fait que quelque chose s’y construit contre toute attente ; certainement en raison de ses multiples qualités : originalité, sensibilité, justesse du ton, intelligence de la construction et j’en passe. Il mérite amplement les prix qui lui ont été attribués ! La brigade y résout sa première affaire puis…

… dans Rester groupés, alors qu’elle se croyait placardisée et juste bonne à enchaîner les parties de billards dans la « salle de jeu » du commissariat, l’équipe est plongée dans une nouvelle enquête, construite sur un modèle à tiroirs qui fonctionne parfaitement bien, avec notamment des courses-poursuite dans Paris, dont une qui m’a beaucoup fait rire, et une scène de rue (une manifestation de hooligans) exceptionnelle. Cet opus est le plus épique des trois, et la palme de l’originalité et de la drôlerie y revient sans conteste à Saint-Lô, le mousquetaire de la brigade.

D’une dynamique assez différente, Art et décès, comme son titre l’indique, se situe dans le milieu du cinéma – à peine caricaturé –, autour du personnage d’Eva Rosière, capitaine excentrique s’étant enrichie sur le dos de la police (je vous laisse découvrir comment). Elle est cultivée et vulgaire juste ce qu’il faut pour constituer un excellent personnage de polar ! Dans cette histoire, un bébé vient constamment interférer et participera d’ailleurs à la résolution finale – un fameux clin d’œil aux femmes seules qui jonglent au quotidien entre enfant(s) et travail. C’est l’épisode le plus burlesque, et peut-être celui par lequel Sophie Hénaff démontre définitivement qu’elle n’est pas une autrice d’occasion, que les premiers opus n’étaient pas accidentels : elle a décidément à la fois une grande capacité à caractériser ses personnages, un fameux talent de narratrice, d’excellents dialogues et un style affirmé, homogène, drôle et efficace.

Une mention particulière pour ces tout petits chapitres, un pour chaque personnage dans chaque opus, distribués ici et là au fil des occasions et qui tombent toujours juste. Impressionnistes, hors champ, inattendus, délicieux, ils atteignent leur cible à chaque fois : le cœur du lecteur.

Juillet 2023

Le temps passant, je craignais que la série s’arrête là mais – heureuse surprise ! – voici Drame de pique, dans lequel on retrouve la commissaire Anne Capestan et sa bien nommée Brigade des Innocents, un nouvel opus qui ne dément pas la réputation que s’est faite Sophie Hénaff.

Quel plaisir de revoir l’extravagante Rosière et son chien Pilou, le digne Lebreton, le malheureux Torrez, le gourmand Lewitz ou cet assoiffé de Merlot… Leurs singularités les personnalisent, leur tolérance à l’égard les uns des autres les unit, dans un commissariat qui n’a rien d’un commissariat et où, quand ils sont par miracle mis sur une affaire, ils travaillent sans moyens, souvent sans autorisation et non sans maladresse.

Cette fois, ils poursuivent un serial killer qui tue en rue en se jouant de la police, dans le contexte non fictionnel de cette vague de mystérieuses piqûres subies par des femmes dans des boîtes de nuit. Il y est question d’orgueil, de trahison, de vengeance, d’amour aussi, et des valeurs qui animent ces policiers sous leurs comportements fantaisistes et malgré les injustices dont leur brigade est l’objet : humanité, justice, engagement, gratuité.

Une excellente lecture de détente, amusante, facile, fluide, intelligente avec ses rebondissements et sa construction savante. J’adore décidément les personnages de cette série aussi bien que le style de l’autrice, sa capacité à nous faire pouffer de rire, à créer des tensions, à croquer Paris et le monde d’aujourd’hui.

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Sophie Hénaff
Poulets grillés, Rester groupés, Art et décès, Drame de Pique

Chez Albin Michel : Poulets grillés, Rester groupés, Art et décès, Drame de Pique
La page consacrée à l’autrice

Au Livre de Poche : Poulets grillés, Rester groupés, Art et décès, Drame de pique

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Lire aussi, sur un autre sujet, Voix d’extinction, de la même autrice.

Janvier noir

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Policiers et thrillers (Écosse).
Par Pierre Chahnazarian

L’inspecteur Harry (ça ne s’invente pas) McCoy mène l’enquête avec le jeune adjoint Wattie, contre l’avis de ses supérieurs, dans Glasgow gelée. En 1973.

Naviguant entre de très riches prédateurs sexuels et un âpre milieu interlope où coulent l’alcool et la came, le très très dissolu et ambivalent Harry, bien qu’effrayé par la vue du sang, ne s’en laisse pas conter, même s’il encaisse quelques mauvais coups !

Très noir foncé (avec hémoglobine en sus), ce premier polar d’une série de 12, un par mois de l’année, plaira aux amateurs du genre, mais pas aux autres à mon sens. Pour les fondus du polar noir : 3,5 voire 4/5.

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Alan Parks
Janvier noir
Éditions Rivages Noir (poche)
Traduction d’Olivier Deparis
2020

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