Agnès Desarthe, Ce cœur changeant, Editions de l’Olivier, 2015
Par François Lechat.
Difficile de présenter ce livre dont l’habileté et la richesse défient la critique… Fondamentalement, c’est l’histoire de deux êtres dominés, qui subissent les événements dans la candeur et la stupéfaction. Il y a l’héroïne, Rose, qui connaîtra au début du 20e siècle, à Paris, une descente aux enfers interrompue par hasard. Et il y a son père, René, militaire français qui a épousé une Danoise et ne s’en est jamais remis. Il faut dire que René, comme sa fille, est mal armé pour affronter l’existence : il lit Spinoza et admire les stoïciens, mais son cerveau lui joue des tours et l’empêche de raisonner convenablement. Comme le dit sa fille : c’est un homme qui, s’il devait construire une maison, commencerait par le toit. Rose, elle, pense de manière plus juste, mais elle pense moins : c’est une femme qui n’a ni le savoir ni l’arrogance des hommes de l’époque. Mais il ne faut pas s’y tromper : quand on la résume, l’histoire de Rose semble devoir sombrer dans le misérabilisme, et pourtant, c’est l’inverse qui se produit. Dans ce qui aurait pu prendre l’allure d’un roman social, Agnès Desarthe insuffle de la poésie, de l’humour à froid, de l’érotisme (allusif mais torride), du romanesque, de la fantaisie, du suspense… Rose et René nous touchent par leur innocence, leur infinie bonne volonté et leur envie de vivre ; et autour d’eux gravitent des personnages hauts en couleur, aux noms improbables et qui fourmillent d’inventions. On peut se sentir un peu dépassé, par moment, par la richesse d’expression de ce roman haut de gamme, mais il ne faut pas passer à côté : c’est de la grande littérature.
Catégorie : Littérature française.
Liens : sur l’auteur, sur le livre ; l’article de François Lechat sur L’éternel fiancé (2022).
De la même auteure, j’avais bien aimé — pas adoré mais bien aimé — « Une partie de chasse » (2012). Il y avait une situation prenante, un ou deux personnages attachants, des flash-back éclairants qui donnaient de la substance au présent, de vrais sentiments, une action inattendue. Si la fin était exagérée, je n’avais toutefois pas regretté de la lire. Alors comme François Lechat avait aimé « Ce coeur changeant », j’ai voulu essayer « La chance de leur vie » (2018).
Tout, dans ce roman, repose sur le ressenti des personnages, leur vision des choses, leur réaction à ce qui leur arrive. Il y a des trouvailles et de bons effets de style, mais le style n’est pas la littérature, et celui-ci présente en outre le défaut de reposer sur d’abondantes énumérations, certaines d’un didactisme affolant (ex. p. 125). Si bien que « La chance de le leur vie » plaira peut-être à ceux qui aiment les mots et n’ont pas besoin de péripéties mais il ne plaira pas à ceux qui attendent qu’il se passe vraiment quelque chose. Car, en tout cas jusqu’à la moitié du livre, le scénario n’a rien d’original ; si l’on sourit ici et là, il n’y a pas de surprises ; rien ne passionne et la parole remplace le récit (au lieu qu’un narrateur raconte la rencontre de deux personnages, par exemple, un personnage dit qu’il a rencontré tel autre). Je n’ai donc pas terminé ce livre. Montre-t-il les limites d’une auteure que sa maison d’édition presse peut-être de publier tous les ans ou presque ?