Lauren Groff, Les furies, éditions de L’Olivier, 2017
Par Brigitte Niquet.
Il est bien rare de partager ses coups de cœur avec des célébrités aussi respectables que Barack Obama. Eh bien voilà, c’est le cas : l’ex-président des Etats-Unis avait élu Les furies meilleur roman de l’année 2015, j’y souscris de tout cœur et j’ajoute que, pour ma part, c’est un des meilleurs romans que j’aie jamais lus. Il « scotche » le lecteur du début à la fin, tant par le contenu (bouleversant) que par le style (époustouflant).
Pour ce qui est du contenu, soulignons d’emblée la parenté entre Groff et Fitzgerald, entre le couple Lotto/Mathilde imaginé par Lauren Groff et le couple mythique Scott/Zelda, bien réel celui-là nonobstant sa dimension littéraire. On pense à Gatsby le magnifique, à Tendre est la nuit… « N’est pas Fitzgerald qui veut », certes, mais qu’elle le veuille ou non, Groff s’inscrit dans cette lignée tout en traçant son propre chemin. Un point commun évident au départ de l’histoire : deux jeunes gens solaires, beaux, talentueux, charismatiques, se rencontrent et tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. Dans le roman de Groff, ils se marient au bout de quinze jours et semblent promis à un avenir radieux. Elle est mannequin et abandonne son métier pour se consacrer corps et âme à son grand homme. Il est comédien débutant fauché, puis bientôt dramaturge célèbre brassant beaucoup d’argent et en claquant davantage dans une vie de fêtes sur lesquelles règne Mathilde avec son éternel sourire, Lotto n’ayant qu’à paraître pour enflammer les cœurs et les corps. Où est la faille ? Dans le passé de l’un et de l’autre, sur lequel ils ne se sont jamais menti mais se sont tus. Chaque personne a sa zone d’ombre, paraît-il. Celle de Mathilde est tellement gigantesque que sa révélation obscurcira à jamais la vue de son amant et détruira jusqu’au souvenir du bonheur. La première moitié du roman se lit à travers les yeux de Lotto, la seconde à travers ceux de Mathilde, qui livre peu à peu au lecteur les bribes de ses vingt premières années auxquelles on se demande comment elle a pu survivre.
Quant au style, il est tellement admirable qu’à la fin de chaque chapitre, on a envie de le relire pour le goûter davantage indépendamment de l’intrigue. Un critique l’a qualifié de « lyrique » et je ne chercherai pas d’autre mot car c’est celui-là qui m’est venu spontanément. En outre, l’auteure maîtrise si bien l’art de la métaphore que celle-ci semble couler de source, non pas plaquée comme chez certains qui semblent toujours dire au lecteur : « Regardez comme j’écris bien », mais parfaitement intégrée, si évidente qu’elle éclaire le sens de la phrase, le rend palpable au lieu d’en occulter le contenu. Du grand art, qui concourt très largement à faire de ce livre une totale réussite.
Catégorie : Littérature étrangère anglophone (USA). Traduction : Carine Chichereau.
Liens : chez l’éditeur. Un débat sur le livre à la radio belge (vidéo 8 min.) : RTBF.
J’ajouterai simplement, à cette présentation précise et très juste, que ce livre remarquable allie le talent narratif à l’intelligence sociale : c’est un roman impressionnant, qui s’adresse à des lecteurs bien armés. Et qui propose, à de multiples moments, des formules fulgurantes, notamment d’inspiration féministe. Sans que cela enlève quoi que ce soit au plaisir du lecteur, bien au contraire.