Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, Actes Sud, 2018
Par Brigitte Niquet.
On a déjà beaucoup écrit sur le Goncourt 2018, et presque toujours de manière laudative, voire dithyrambique, ce qu’il mérite amplement. À quoi bon en rajouter, alors, dira le lecteur blasé, qui n’a pas attendu « Les yeux dans les livres » pour se faire son opinion et dévorer – ou pas – ledit bouquin. À quoi bon, c’est vrai, d’autant qu’il est quasiment impossible de prendre le contrepied de l’opinion générale et d’assassiner le chef-d’œuvre, ou même de l’égratigner, tant il est à la fois dérangeant et consensuel.
On peut simplement remarquer, à lire les critiques, que tous ne sont pas d’accord sur ce qui fait l’intérêt, la beauté et la force de ce roman. Ou plutôt que certains s’attachent davantage au parcours initiatique d’Anthony, Yacine, Stéphanie et les autres, en pleine crise d’adolescence et premiers émois amoureux dans les années 90, et d’autres à la fresque sociale qui situe tout ce petit monde dans une vallée de l’Est de la France, vallée qui fut prospère quand les hauts-fourneaux brûlaient de toutes leurs flammes et qui n’est plus qu’un piège à rats pour la génération suivante. Après tout, le livre est assez riche pour permettre les deux lectures et c’est avec beaucoup de maîtrise que l’auteur en entrecroise les fils qu’il devient impossible de démêler, ceux des destins individuels et ceux de la débâcle collective, tenant toujours son lecteur en haleine, d’autant que les principaux personnages (essentiellement les ados) sont très attachants chacun à sa manière. On suit leur parcours sur huit ans et on sait déjà que ces huit années décideront de tout et que ça n’ira pas dans le bon sens. Qu’il s’agisse de démoralisation impuissante ou de révolte farouche, de résignation bovine à un destin minable déjà tout tracé ou de volonté opiniâtre de s’en sortir par tous les moyens, à 14 ans, on peut tout espérer, à 22, on a déjà presque sa vie derrière soi. On devine sans peine de quel côté penche Nicolas Mathieu, le magnifique titre du livre nous ayant d’ailleurs éclairés d’emblée sur ses intentions. Comme l’écrivait déjà Musset, « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux », celui-ci l’est assez sans doute pour expliquer ce remarquable succès de librairie.
Un regret cependant : comme tant d’autres, l’auteur s’est cru obligé (ou a choisi) de sacrifier à la mode devenue incontournable des descriptions quasi cliniques d’ébats amoureux, dont aucun détail ne nous est épargné, ce qui peut sembler superflu et, ici, un peu hors de propos. Que la sexualité naissante polarise la vie des adolescents, on le sait et on le comprend, surtout dans ce contexte, mais quel besoin d’en infliger la description minutieuse au lecteur qui en a vu (lu) bien d’autres ? Ce bémol n’empêchant pas, bien sûr, que la symphonie soit harmonieuse, d’aucuns penseront peut-être qu’il la magnifie…
Catégorie : Littérature française.
Votre commentaire