Karine Tuil, Les choses humaines, Gallimard, 2019
Par François Lechat.
Ce roman mérite-t-il les deux prix qu’il a obtenus coup sur coup, le prix Interallié et le Goncourt des Lycéens ? Sans aucun doute, si l’on tient compte de son efficacité : le livre est prenant, vivant, sans mauvaise graisse, et comporte pas mal de scènes frappantes et de dialogues qui sonnent juste. On y retrouve le réalisme cher à Karine Tuil, qui après quelques chapitres d’exposition nécessaires pour donner de l’épaisseur à ses personnages, les plonge dans des péripéties que nul n’aimerait vivre et que tout le monde peut redouter tant elles font partie de notre époque. Celle, en l’occurrence, du mouvement #Metoo, mais aussi des ambiguïtés de certains courants féministes, finement rendues par un beau portrait de femme journaliste. Les hommes en prennent pour leur grade, comme il se doit, mais ils ne sont pas caricaturés, pas plus que les personnages féminins n’apparaissent sans reproches.
Ce qui frappe le plus, dans ce roman, est sans doute la violence implacable des institutions et des réseaux sociaux. La froideur et l’impudeur des procédures policières et judiciaires alimente le déchaînement des passions sur Internet, broyant les personnages entre deux types de violence, procédurale d’un côté et passionnelle de l’autre côté. On n’en vient certainement pas à regretter la période d’avant, la quasi-impunité des violeurs, mais Karine Tuil joue sur deux registres, épousant la soif de justice qui se fait jour tout en s’interrogeant sur la manière dont elle tente de s’imposer. Il en résulte un livre coup de poing et déstabilisant, criant de vérité, à la limite du documentaire dans sa seconde moitié : comme L’insouciance, un très bon roman à défaut d’être un beau roman. Mais dont les dernières pages, cette fois, laissent percer un sens de la finesse et de la suggestion qui augure peut-être un changement dans le style de l’auteur.
Catégorie : Littérature française.
Liens : chez l’éditeur.
Entièrement d’accord !