
Francesca Serra, Elle a menti pour les ailes, Anne Carrière, 2020
— Par François Lechat
Ce roman n’est pas le premier à dresser le portrait d’une génération, celle des jeunes nés avec un smartphone dans la main. Mais c’est de loin le meilleur que j’aie lu sur ce thème, sans doute parce que l’auteure va jusqu’au bout de son propos. En 500 pages bien tassées, dont quelques-unes, brillantes, tiennent de l’essai plutôt que du récit, elle brosse un tableau saisissant de nos adolescents sous emprise, et des dangers qu’ils courent à force de vivre sous le regard perpétuel des réseaux sociaux. Il n’y a, pour autant, pas de moralisme dans son propos, qui fait preuve au contraire d’une formidable empathie : il s’agit de comprendre et de faire comprendre. Et de nous tenir en haleine, aussi, grâce à un entrelacement temporel des chapitres qui, pour une fois, accentue la dramatisation au lieu de la diluer. Ce que l’on entame comme un document prend l’allure d’un suspense difficile à lâcher.
Le livre peut surprendre au début, car il mêle quelques termes savants avec le jargon du Net et l’écriture si particulière des jeunes sur les réseaux. Et il déroute, dans le meilleur sens du terme, en confrontant subitement son héroïne à ce qu’elle n’a jamais connu à force de vivre par écrans interposés, un certain sens du corps, de la mort et de la nature. Avec une liberté qu’on lui souhaite de conserver dans ses prochains romans (celui-ci est son premier), Francesca Serra se paie le luxe d’une fin ouverte parce qu’elle a dit ce qu’elle voulait dire, et qui mérite d’être médité.
Catégorie : Littérature française.
Liens : chez l’éditeur.
Belle chronique, sur un sujet si complexe aujourd’hui.