Noël 2021
Offrir, lire ou relire de grands classiques

Gustave Flaubert, Madame Bovary, Lévy Frères, 1857
— Par Anne-Marie Debarbieux
« Bovary, me disait un ami qui aimait la provocation, oui d’accord, elle est malheureuse, mais surtout, elle est bête ! » Peut-on cautionner un jugement aussi lapidaire, même s’il n’est pas tout à fait faux ?
Nourrie de lectures « à l’eau de rose » qui la font rêver d’un monde irréel, d’histoires qu’elle dévore d’autant plus goulûment qu’elles circulent en cachette au pensionnat où elle est élevée, Emma n’a qu’une certitude : « Adieu, veaux, vaches, cochons, couvées ! » Elle ne restera pas toute sa vie dans la ferme paternelle au milieu de gens rustres et voués à des tâches domestiques ! Elle mènera une existence qu’elle se représente comme remplie de paillettes et fort exaltante. Elle épouse trop rapidement Charles Bovary, un médiocre officier de santé qui la fait entrer dans le monde de la petite bourgeoisie de province dont elle va vite mesurer l’ennui et les limites. Invitée à un bal mondain de la noblesse locale, elle est confortée dans ses aspirations et ses illusions alors que la petite ville de Tostes où le couple s’est installé est bien loin d’être le théâtre d’une vie passionnante. Emma, certes, n’évolue plus au milieu des vaches et des canards, mais elle est à jamais liée à Charles qui est incapable de susciter son admiration, et elle est vouée à n’être, et c’est tout son drame, que « Madame Bovary », réduite à un statut d’épouse oisive et inadaptée à la réalité. Elle aura beau rêver du grand amour romantique, chercher des exutoires, sa candeur et son romantisme exacerbé ne lui apporteront que des désillusions, et elle restera comme une abeille contre la vitre qui cherche en vain l’issue vers la liberté. Son histoire est pathétique parce qu’Emma est avant tout une victime, moins de ses rêves naïfs que de son époque où le paraître tient lieu de profondeur, et d’une éducation qui formate les filles à rester des épouses et des mères, dépendantes de leur mari et des convenances de leur milieu. Et l’on pense à tous les combats que mènent encore aujourd’hui bien des femmes confrontées à l’obscurantisme et au manque de reconnaissance !
Alors, « pas très fûtée » Emma ? Oui, elle manque d’envergure et elle n’est sans doute pas assez fine pour susciter l’empathie du lecteur, mais suffisamment malheureuse pour engendrer néanmoins sa compassion devant une vie sans attrait et une solitude qui ne peuvent que la conduire à l’échec.
Quant à l’écriture de Flaubert, elle est tout simplement magistrale ! Car son ironie constamment sous-jacente sous le regard d’Emma est là pour dire qu’il n’est en rien solidaire d’une société où ne triomphent que les médiocres et les vaniteux !
Catégorie : Littérature française.
Liens : en Folio classique (préface d’Elena Ferrante) ; au Livre de Poche (préface de Jacques Neffs). Nous vous avions précédemment proposé cette édition de la correspondance entre Gustave Flaubert et George Sand.
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